ITV AVEC ABDOULAYE NIANE / « On ne peut pas effacer d’un claquement de doigt les séquelles de 60 ans d’urbanisation incontrôlée … Xëyu Ndaw Ñi est un pansement sur une jambe de bois »

Expert fiscal, leader politique promoteur de « Téranga Sénégal », directeur de campagne de Ousmane Sonko lors de la présidentielle de 2019, Abdoulaye Niane est très assurément la nouvelle coqueluche du landerneau politique Sénégalais, surtout lorsqu’il a pris la décision d’accompagner le Président Macky Sall à quelques encablures des dernières législatives. Enseignant chercheur et maître de conférence assimilé depuis 2014 au niveau de l’Université de Bambey, le natif de Touba est sorti, avec cette interview accordée à Dakaractu- Touba, de « son silence stratégique » pour aborder les sujets au sommet de l’actualité.


Dakaractu- Touba : Vous êtes de Touba. Le magal se prépare. Le contexte, vous-inspire quoi  ?

 

 

Le Magal est un fait social total pour la communauté mouride, un moment majeur pour la nation Sénégalaise. Cheikh Ahmadou Bamba inscrit son œuvre dans le pardon, après son retour d’exil du Gabon que nous fêtons par le Magal. Le monde est éprouvé par des crises majeures et le peuple Sénégalais doit continuellement s’inspirer de ses hommes de valeur pour inventer des solutions idoines. Nos politiques publiques, pour être consensuelles et efficaces doivent s’inspirer de ses enseignements toujours actuels.  

 

Dakaractu : Quand nous parlons de contexte, on fait aussi allusion aux inondations. Et visiblement l’État a échoué si on en croit l’opposition malgré les 700 milliards investis  ?    

 

L’opposition est en train de créer une fausse polémique sur les 700 milliards du Plan Décennal de Lutte contre les Inondations. Personnellement, je trouve que les termes du débat sont mal posés. La première question que l’on doit se poser c’est « est-ce que les 700 milliards ont été effectivement dépensés ? » Car il ne s’agissait que d’une prévision. Il n’est pas dit qu’elle se soit réalisée exactement dans les termes prévus. On a pu dépenser moins, comme on a pu dépenser plus, car 10 ans, c’est long ; c’est sûr que le Plan a subi de nombreux ajustements. Je trouve que le ministère des Finances doit d’abord élucider ce point.

 

Dakaractu : 700 milliards, quand-même !

 

700 milliards sur 10 ans, ce n’est jamais que 70 milliards par an, pour l’ensemble du Sénégal. Les contempteurs poussent des cris d’orfraie mais à l’échelle du territoire national, ce n’est pas énorme. Car il y a deux manières de lutter contre les inondations :

- la méthode curative, consistant globalement à pomper l’eau, ce qui est fait dans le cadre du plan ORSEC ;

- la méthode préventive, consistant globalement à construire, réparer et entretenir les ouvrages permettant d’éviter la stagnation de l’eau.

Toutes les deux méthodes coûtent cher, très cher.

 

Le problème du phénomène des inondations, c’est qu’on perçoit ce qui ne me marche pas (les images de quartiers sous l’eau, qui tournent en boucle sur les réseau sociaux). Mais on ne perçoit pas ce qui se serait passé si l’État n’avait pas dépensé plus ou moins 700 milliards. Certainement que le bilan serait autrement plus catastrophique.

 

Pour finir sur ce sujet, il faut quand même accepter une réalité : celle du changement climatique, avec son cortège de catastrophes naturelles, dont les inondations que nous vivons. Et sur ce plan, il suffit de suivre l’actualité pour se rendre compte que la situation du Sénégal est très enviable à celle de beaucoup d’autres pays, y compris des pays riches. Du Pakistan à la France, des États-Unis à la Corée du Sud, en passant par l’Ouganda, tout le monde souffre. Lorsqu’il tombe en deux jours l’équivalent de deux mois de pluie en période normale, dans des quartiers dont la population a doublé voire triplé en dix ans, avec le même réseau 

d’assainissement, c’est impossible qu’il n’y ait pas de problème. Il faut vraiment être de mauvaise foi pour le nier.

 

 

Dakaractu : Néanmoins, comme le problème est toujours là, il y’a échec ?

 

L’État n’a pas de baguette magique. On ne peut pas effacer d’un claquement de doigt les séquelles de 60 ans d’urbanisation incontrôlée. L’État doit se battre, doit être imaginatif, mais il doit aussi tenir le langage de la vérité car les Sénégalais sont intelligents, ils sont lucides et ils sont capables de supporter la vérité.

 

Mais lorsqu’on communique peu ou mal, on ouvre la porte aux affabulateurs et aux marchands d’illusions. C’est facile de critiquer lorsqu’on n’est pas aux responsabilités.

 

C’est pourquoi, dans notre démarche politique, nous n’avons jamais voulu verser dans un certain type de critique, qui consiste à énoncer des énormités sur des problèmes complexes dont on ne maîtrise pas les données.

 

 

Dakaractu : Que dites-vous de la question de l’emploi des jeunes ? Cela demeure un serpent de mer ?

 

Voici également une problématique complexe mais qui est trop souvent abordée de manière superficielle. Il faut que nous ayons le courage de dire à nos enfants, nos petites sœurs et nos jeunes frères qu’un emploi viable nécessite une qualification. Pour posséder une qualification, il faut passer par une formation, professionnelle ou académique.

 

Lorsque vous avez des centaines de milliers de jeunes non scolarisés ou qui ont quitté l’école sans même le certificat d’études, qui depuis lors n’ont jamais subi la moindre formation qualifiante dans un domaine créateur d’emplois, comment pouvez-vous leur trouver un emploi digne de ce nom ? Malheureusement, l’État multiplie les fausses solutions.

 

 

Dakaractu : Xëyu Ndaw Ñi, par exemple ?

 

Le programme Xëyu Ndaw Ñi » en est une, je regrette de le dire. Qu’est-ce qu’on voit ? Dix jeunes, armés de balais, chargés de balayer un trottoir. Ils seront forcément frustrés car un tel travail ne peut pas être bien payé. La preuve, beaucoup d’entre eux passent leur temps à faire la manche auprès des automobilistes. Je ne parle pas de l’impact sur leur estime de soi car personne ne rêve d’une carrière de balayeur.

 

Mais ce n’est pas de leur faute : ces jeunes sont des victimes de plusieurs décennies d’échecs de notre système éducatif. On les a rendus inaptes à se procurer de vrais emplois, bien rémunérés, socialement valorisés, grâce auxquels ils pourront fonder une famille, s’élever dans la société, être des citoyens à part entière et non pas des citoyens de seconde zone.

 

 

Dakaractu : Quelle panacée pour juguler ce mal , ce fléau, ce drame du chômage, sans trop exagérer ?

 

 

Ces jeunes, il aurait d’abord fallu, sur la base d’un bilan de compétences personnalisé, leur construire une employabilité. Ouvrir des établissements spécialisés pour ceux qui ont quitté l’école trop tôt, afin de les doter du socle de compétences sans lequel il est difficile voire impossible d’avoir un travail viable.

 

Dans ma jeunesse, lorsqu’on quittait l’école sans diplôme, on pouvait être placé comme apprenti dans un garage de mécaniciens. Mais aujourd’hui, les moteurs sont électroniques. Le diagnostic des pannes se fait avec des logiciels. Demain, ce sera la voiture électrique. Un jeune déscolarisé ne pourra même plus devenir mécanicien.

 

Pareil pour le métier de menuisier. Pour manipuler certaines machines, encore faut-il pouvoir lire la notice. Sinon, on est condamné à travailler à l’ancienne, comme les menuisiers des années 60, et on ne pourra jamais atteindre le niveau de finition qui permet de concurrencer le mobilier importé.

 

En bon Baol-Baol, je suis dans l’agriculture, du moins quand j’arrive à arracher un peu de temps libre à mon agenda professionnel, politique et social. Mais je peux vous dire que l’agriculture, la vraie, celle qui permettra d’atteindre les niveaux de productivité assurant la sécurité alimentaire du Sénégal, tout en préservant l’environnement et sans abuser des pesticides nuisibles à notre santé, cette agriculture-là demande une approche scientifique, des connaissances modernes, une maîtrise de la technologie, en résumé : une solide formation.

 

Et je pourrais continuer ainsi, en multipliant les exemples…

 

Dakaractu : Autrement dit , xëyu ndaw ñi est un échec ?

 

Pas exactement ! Xëyu Ndaw Ñi est, néanmoins,  un pansement sur une jambe de bois. On diffère le problème mais on ne le règle pas. Le vrai enjeu, c’est l’éducation, l’apprentissage, la formation.

Cela demande du temps, de la patience, des efforts de longue durée.

 

Mais, je comprends le Gouvernement. Face à la colère sans cesse attisée des jeunes sans emploi, il fallait trouver rapidement une solution de secours. XEYU NDAW GNI, c’est de l’aspirine, pour faire tomber la fièvre. Mais on ne s’est pas encore attaqué aux vraies racines du mal.

 

Dakaractu : Parlons maintenant  de la vie chère. L’unanimité se fait sur l’impuissance des autorités à régler ce problème …

 

La vie est chère, tout le monde en convient. Mais c’est un phénomène mondial. Encore une fois, il suffit de s’intéresser à l’actualité pour s’en rendre compte. France, Grande-Bretagne, États-Unis, pour ne prendre que ces 3 pays que les Sénégalais connaissent bien : l’inflation est en train d’y faire des ravages, qu’il s’agisse de l’automobiliste qui fait le plein ou de la ménagère qui fait ses courses au supermarché.

Le Sénégal, malheureusement, ne pouvait pas y échapper car nous vivons dans un monde globalisé.

 

C’est pour cela que je dis que l’État a un devoir, je ne dirais même pas de communication, mais de pédagogie. Moi, je fais confiance à l’intelligence des Sénégalais ou, plus simplement, à leur bon sens. Nos concitoyens savent comment le monde fonctionne. Mes parents Baol-Baol qui sont tout le temps entre le Sénégal et l’Europe savent que notre sort est plus enviable que celui de la majorité des Européens.

Car ici au moins, l’État a mis en place beaucoup d’amortisseurs sociaux.

 

Je ne suis pas aux responsabilités, donc je ne maîtrise pas les chiffres exacts, mais je sais que depuis au moins un an, les denrées de première nécessité sont fortement subventionnées, pas des subventions directes mais par des renonciations de taxes, et celles-ci coûtent des dizaines de milliards au Trésor public.

 

Quand le prix du baril de pétrole passe de 75 à 140 dollars en moins de 6 mois, alors dans le même temps la Senelec n’a pas augmenté ses tarifs depuis 2019, pas besoin d’être un devin pour comprendre que l’électricité que nous utilisons est subventionnée, fortement subventionnée.

 

Aujourd’hui, le prix du carburant s’est envolé, dans la plupart des pays du monde, y compris les pays riches. Pourtant chez nous, le gasoil, qui est le carburant le plus utilisé, coûte la même chose. Parce que l’État soutient fortement le pouvoir d’achat.

 

Encore une fois, on préfère ne voir que ce qui ne marche pas. Mais il faut, de temps en temps, se demander ce qui serait passé, où en serait-on, à quel niveau de difficultés et de souffrances la population serait confrontée, si l’État n’avait pas mis en place une batterie de mesures pour protéger le pouvoir d’achat des Sénégalais.

 

 

Dakaractu : Votre engagement auprès du Président Macky, mais pourquoi avoir pris ce risque au vu de votre long engagement dans l’opposition ? Là vous êtes dans un bateau qui coule inéluctablement selon certains...

 

J’ai rejoint la majorité présidentielle et j’assume parfaitement ce choix.

Je prends un risque et j’en suis conscient mais ce n’est pas la personne de Abdoulaye Niane ou l’avenir politique personnel de Abdoulaye Niane qui compte. C’est une question d’enjeux.

Je ne sais pas si les gens s’en rendent compte, mais nous vivons une époque explosive. Le Sahel est déstabilisé par le terrorisme exacerbé par l’implosion de la Lybie. Le Mali et le Burkina sont en train de s’effondrer sous nos yeux.

La crise climatique s’aggrave d’année en année. Les ressources de la planète sont en train de s’épuiser.

 

Les crises économiques se font de plus en plus rapprochées. L’inflation est de retour. Sur fond de crise diplomatique majeure qui frise l’affrontement mondial.

L’intelligence artificielle va révolutionner le marché de la connaissance, le marché du travail, et jusqu’à notre mode de vie quotidien.

 

Dans ce contexte où même les pays industrialisés auront du mal à survivre, soyons réalistes : notre pays pèse peu de chose. Alors, ce n’est certainement pas le moment de gaspiller du temps et de l’énergie dans des querelles politiques médiocres.

 

Car au fond, il n’y a pas de différence de nature entre les principaux acteurs qui s’activent sur la scène politique. Qui se trouve dans YEWI ASKAN WI et WALLU ? Majoritairement, des gens qui étaient au pouvoir du temps de Wade, ou durant les premières années de la gouvernance de Macky. Parfois, des gens qui étaient là sous Abdou Diouf. Pareil, côté BENNO.

 

Et quand ce sont des novices qui arrivent sur la scène, loin de renouveler les codes de la politique, ils embrassent les mêmes vieilles pratiques, parfois avec plus d’entrain que les vieux politiciens qu’ils pourfendaient. On n’a pas besoin de citer des noms mais les exemples sont là, qui crèvent les yeux.

 

 

Dakaractu : Soyez plus détaillé !

 

J’ai appris à devenir lucide. D’aucuns diraient que je suis revenu de mes illusions. Macky Sall n’est pas parfait ; ça tombe bien : moi non plus. Personne ne l’est. Il n’existe pas de supériorité morale de l’Opposition sur la Majorité, et vice-versa.

 

Alors, l’important est de se retrouver autour de l’essentiel, de s’accorder sur un socle minimal de valeurs, de mettre de côté les différends crypto-personnels et de se donner la main pour affronter les défis du futur.

En quoi le choix du Président de l’Assemblée Nationale, ou du questeur, ou des vice-présidents, intéressent le sort du marchand ambulant qui vend des paquets de mouchoirs sur la route, le sort du paysan qui a subi une mauvaise récolte faute de semences, le sort des inondés de Keur Massar ou de Touba, le sort de la jeune femme qui est obligée de se prostituer pour survivre ?

Les politiciens dépensent toute leur salive et leur énergie, mais pire ils détournent l’attention des Sénégalais, pour ce qui n’est au fond que des problèmes de plan de carrière de certaines individualités.

 

Moi j’ai décidé de me recentrer sur l’essentiel, sur les vraies gens, leurs vrais problèmes. J’essaie d’être utile, je veux apporter ma modeste contribution à la prise en charge des défis terribles auxquels nous faisons face.

Et quand je porte sur le Président Macky Sall un regard lucide, un regard dépassionné, débarrassé de toute arrière-pensée politicienne, sincèrement je ne vois aucun obstacle insurmontable à travailler avec lui.

 

 

Dakaractu : Mais là, vous risquez d’être comptable de son bilan, mauvais pour certains .

 

Qui peut dire qu’il n’a pas fait avancer le Sénégal en dix ans ? Qui peut prétendre qu’il ne nourrit pas des ambitions fermes pour ce pays ? Dans ce cas, puisque ce qui nous rapproche est de loin supérieur à ce qui nous sépare, pourquoi ne pas répondre à son appel et travailler pour le Sénégal ?

 

Je ne vois pas de manière plus concrète d’être utile à nos compatriotes. Courir les plateaux de télé et les radios, pourfendre le gouvernement du matin au soir, est facile. Ce qui est moins facile, c’est de prendre sa part du combat pour améliorer la vie des Sénégalais.

Vendredi 9 Septembre 2022




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