Comment faire celui qui n'a rien vu, ni entendu? (Par Amadou Tidiane Wone)


Comment faire celui qui n'a rien vu, ni entendu? (Par Amadou Tidiane Wone)
Cheikh Diop s'est immolé. Il a, comme un dernier appel au secours, donné une interview avant de sombrer dans l'instant de folie qui mène vers l'irréparable.
J'ai longuement hésité avant de partager, sur ma page Facebook, la vidéo rendant la vie, pour ainsi dire à  Cheikh, décédé des suites de ses brûlures. Puis, je me suis senti mal de ne pas faire entendre sa voix. De ne pas l'amplifier. Tant les propos sont sensés. Posés.  Sa voix s'élève et accuse une série de négligences coupables dont il va falloir, pour les autorités, tirer toutes les conséquences. Des accusations qui, au demeurant, s'étendent à nous tous  qui nous laissons engourdir dans le «masla» et le «garawoul». Ces contre-valeurs qui nous tirent vers le bas et nous y maintiennent. Et, hélas pour les plus fragiles d'entre nous, les entraînent vers le suicide!

Les négligences qui ont abouti à cette issue fatale, ont pour origine l'incompétence des uns, le laxisme des autres, le manque d'humanité et d'empathie de certains... Ne nous voilons pas la face, encore une fois,  en condamnant le suicidé. Il appartient à Dieu Seul de le juger. Sa Miséricorde est si Grande!

Oui. Cheikh Diop s'est suicidé. Sur la voie publique, afin que nul n'en ignore. Devant le Palais de la République qui plus est. Disons qu'il a préféré la mort à ce qui lui restait de vie.  Car il est mort de dépit et de désespoir. Épuisé par les promesses non tenues et le dilatoire de certains. Découragé de voir l'indifférence à son sort injuste: amputé d'un bras, suite à une mauvaise  injection pendant un séjour carcéral. Une faute commise par les soins d'un membre du personnel pénitencier. Cheikh Diop aura couru, en vain, après une reconnaissance du préjudice subi et un dédommagement à la hauteur du dommage causé. Pourtant, l'État est, en principe, le recours des faibles. Le seul en vérité. Car il a le monopole de rendre la Justice. Surtout lorsque l'un de ses agents est mis en cause. 

Et il en a vu du Monde Cheikh... Il en a ouvert des portes! Il cite même du très beau monde. Parallèlement, son avocat aura, selon Cheikh Diop, épuisé toutes les voies de droit. Pour se voir débouté. Alors Cheikh, dégoûté, ne comprend pas. Il ne comprend plus... Cette odyssée judiciaire, administrative et hospitalière, aura duré plus d'une année qu'il relate dans cette vidéo, comme un dernier cri du coeur et d'un corps amputé, avant de se donner la mort.
Cheikh Diop est mort. Mais il assiégera, pour longtemps, nos consciences. Pourvu que son sacrifice ne soit  pas vain. Et que son acte soit un électrochoc pour notre société où se nouent des milliers de tragédies silencieuses.
Cette vidéo mérite vraiment d'être regardée. Non pas dans une forme de jouissance morbide, mais plutôt pour éprouver, enfin (!) le choc tant attendu pour réveiller notre Peuple de la torpeur qui l'engourdit. Tout se passe dans ce pays, sans réaction autre qu'une indignation passagère. De la parlotte inoffensive... Le sachant, les malfaisants s'en donnent à coeur joie:« de toutes les façons se disent-ils entre eux, dans quelques jours tout sera oublié. Et on passera à autre chose...»
Cheikh Diop nous dit quant à lui, tout  simplement : « une vie d'homme, c' est quand même plus important que certaines procédures...» Oui Cheikh. Mais on en prend vraiment conscience que lorsque l'on est en cause. Si non, chacun se complaît dans sa zone de confort. Fut-elle étriquée...

Combien de Cheikh Diop se tuent à petit feu pour, sensiblement, les mêmes raisons? Dans l'indifférence totale. Morts lentes par l'alcoolisme, par l'usage de stupéfiants ou le banditisme? Car, repoussé au delà de certains extrêmes, l'homme devient un animal, une bête prête à tout! Or «l'homme est le remède de l'homme» selon nos traditions ancestrales... Où sont donc ces hommes-thérapies pour leur semblables?

Notre société à un profond besoin de se re-sourcer. Une nécessité urgente de se réinventer, pour sauver tous ceux qui peuvent l'être encore, nous interpelle. Pour redonner confiance et joie de vivre au plus grand nombre. 
Commençons par rendre justice à ceux qui, justement, la réclament. 

Celle-là, je la devais à Cheikh Diop...

Amadou Tidiane WONE
Mercredi 7 Novembre 2018




Dans la même rubrique :