INTERVIEW / Elimane Diouf, SG CSA : «C’est toute la galaxie politique qu’il faut amener à reconsidérer toute forme de discours violent, toute forme de surenchère judiciaire »

Le secrétaire général de la confédération nationale des syndicats autonomes du Sénégal (CSA) ne s’est pas abstenu de donner son point de vue sur l’actualité politique minée par une guerre inouïe entre le pouvoir et une partie de l’opposition. Selon Elimane Diouf, il est du devoir des régulateurs sociaux et des syndicats de faire bloc sans oublier la société civile pour une décrispation de la tension politique à 11 mois de la présidentielle de 2024 qui est le talon d’Achille des hommes politiques.


En tant que syndicaliste, quelle analyse faites-vous de la situation politique du Sénégal ?

« C’est une situation qui n’arrange personne parce que dès qu’un jour de travail est perdu, c’est une partie très importante de l’économie qui perd. Des structures commerciales cassées, c’est des emplois qui sont perdus. 85% de notre économie est gérée par le secteur informel. De tous bords, une situation de tension continue n’arrange personne. Les emplois sont menacés, la paix civile est menacée, les travailleurs de l’économie informelle sont menacés. Ce n’est pas bon pour notre économie ni pour notre pays et la sous-région. Le Sénégal est l’un des rares pays où les transitions et changements démocratiques se sont régulièrement faits dans la paix. Malheureusement, ce sont les mêmes erreurs qui se répètent à la veille de ces échéances, et les mêmes combats qui reviennent. Cette fois, c’est la 3ème candidature comme en 2011 qui revient. C’est dommage que nous n’ayons pas pu avec tout ce qui s’est passé en 2011 trouver un modus operandi pour que ce débat ne revienne pas. A mon avis, tout devrait se régler avec le dialogue.
 
Selon vous, qu’est-ce qu'il faut pour décrisper cette situation délétère ?

Primo : Nous appelons les acteurs politiques à privilégier le dialogue. Ils doivent privilégier le respect des règles démocratiques, des lois et règlements de notre pays qui permettent l’organisation des marches pacifiques. Que ça soit du côté de l’opposition que du pouvoir, que chacun ait la liberté d’exprimer ce désidérata. C’est le premier aspect qui permettrait de décrisper la situation.
 
C’est quoi selon vous le nœud de cette confrontation entre le pouvoir et une partie de l’opposition ?

C’est la présidentielle de 2024 qui gangrène le débat politique, avec les enjeux de l’exploitation du pétrole et du gaz. Ça ne sert à rien qu’on y aille de manière dispersée ou chacun tire sur l’autre pour dire qui sera et qui ne sera pas candidat. Certains sont sous le joug de ne paspouvoir  participer parce qu’il faut une amnistie. Cela ajoute à l’air ambiant d’une tension artificielle que le gouvernement et les aspirants au pouvoir se mettent. Qu’il y ait un dialogue pour s’accorder sur un minimum pour aller à la présidentielle de février 2024 dans la paix et dans transparence…
 
L’inflation

Il y a cette crise économique causée par le Covid-19 et par la guerre en Ukraine. Il y a le renchérissement des prix. Malgré tous les efforts qui sont en train d’être faits par l’Etat, matérialisés par la volonté de faire baisser les prix. Le coût de la vie grimpe tous les jours. Jusqu’à présent, les mesures prises pour la baisse du loyer ne sont toujours pas appliquées. La majorité des bailleurs s’y oppose. Le coût du transport des bus « Tata » est en train d’être augmenté. L’Etat est impuissant pour faire appliquer ces mesures. Ce sont les populations qui perdent. C’est cette ambiance de ni paix ni guerre qui emmène cette situation explosive. C’est une situation dommageable, d'où  notre  appel à la société civile, aux centrales syndicales, pour constituer un vaste front pour appeler à la restauration de la paix et du dialogue pour qu'il y ait un minimum de consensus pour qu’on aille dans la paix à ses élections.
 
En tant que syndicaliste avez-vous entamé des médiations ?

Il y a plusieurs cercles qui se sont créés. Lors des législatives, la CSA était avec Africajom Center, la Raddho, la LSDH, le patronat et a participé à côté de l’association des oulémas du Sénégal à la décrispation de la tension politique. Nous étions accompagnés du clergé pour aller rencontrer les différentes parties, les appeler au dialogue. Ce qui nous a permis de trouver des consensus et d’aller à ses élections malgré les difficultés énormes et la situation explosive. Ce cadre de dialogue a repris ses activités. Nous encourageons toutes ces structures voulant aller vers une médiation pour aider les politiques à s’asseoir et trouver des solutions de sortie de crise.
 
Ni Ousmane Sonko ni le Président Macky Sall ne veulent lâcher du lest. Comment comptez-vous les faire changer d’avis dans cette guerre de personne ?

L’angle d’attaque, c’est qu’il y a plusieurs acteurs qui veulent aller à la présidentielle de 2024. Comment faire pour que ces camps s’asseyent et discutent pour trouver un minimum de consensus pour aller à l’élection présidentielle ? C’est ça le combat. C’est toute la galaxie politique qu’il faut amener à reconsidérer toute forme de discours violent, toute forme de surenchère judiciaire. Tous ces
éléments doivent être posés de manière intelligente pour trouver des solutions intelligentes. La justice a son temps, le débat politique a son temps. Éviter qu’il y ait une mayonnaise entre la justice et la politique. D’une manière générale, la communication, les réseaux sociaux, … devraient participer à construire un dialogue qui débourse sur des solutions d’apaisement.
 
Qu’attendez-vous des hommes religieux, les régulateurs de la société sur cette dynamique de dialogue ?

Les autorités religieuses ont leurs mots à dire. Mais certaines personnes s’attaquent à certains d’entre eux. Cela ne doit pas les empêcher de jouer leur rôle. Il ne faudrait pas qu’ils pensent que les gens n’ont pas suivi leur première sortie qu’ils ne devraient pas parler à nouveau. Ils ont pour mission de prôner la paix, l’éducation, la sensibilisation. C’est dans ce cadre qu’ils ont un rôle à jouer.
 
Quels messages lancez-vous à la jeunesse ?

Nous avons une jeunesse partagée. Maintenant, vouloir montrer que son candidat est plus fort, ça doit se montrer dans les inscriptions sur les listes électorales et plus tard dans les urnes. Si c’est des étudiants et élèves, qu’ils aillent étudier, si c’est des jeunes à la recherche d’emplois ou qui travaillent encore moins qui sont dans les structures associatives, qu’ils aillent travailler. Que chacun prenne le soin d’apporter sa contribution pour un Sénégal de paix et un Sénégal développé. Que ça soit le pouvoir ou l’opposition, une situation de chaos, n’arrange personne. Pendant combien de temps l’Ukraine sera reconstruite ? Notre sous-région est une ceinture de feu, il y a le Mali, le Niger, la Guinée. La stabilité de la Gambie et de la Guinée Bissau dépend de celle du Sénégal. C’est une situation qui demande beaucoup d’attention.
Mercredi 22 Mars 2023
Dakaractu




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