CEDEAO, Revenons- y


 
C’est au mois de Mars 2017 que nous tentions d’alerter l’opinion publique sur le manque de fondement de la demande d’adhésion du Maroc à la Communauté  Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et sur les perturbations qui menaçaient les pays membres de l’Organisation au cas où la demande chérifienne serait satisfaite surtout dans la précipitation.
 
A cette époque, pratiquement tout le monde dormait.
 
Entre autres dérives, nous pressentions que cette admission que rien ne justifie, ni au plan géographique, ni au plan juridique, ni au plan de l’organisation du marché commun continental tel que planifié par l’OUA/UA, constituerait un appel d’air en direction du Maghreb.
 
Cela n’a pas raté : Lors du Sommet d’Abuja en décembre 2017, la Tunisie a emprunté la même voie que le Maroc en se masquant derrière la sollicitation du statut d’ « observateur » dans le but non avoué de participer au cannibalisme du marché de 320 millions d’habitants de notre Communauté.
 
Seule la Mauritanie pourrait prétendre à un retour dans l’Organisation sous régionale qu’elle avait volontairement quitté en 1999. Elle a sollicité sa réintégration. Pourtant là, le retour est envisagé pour effectivité à compter de 2019. Cela renforce  le manque de pertinence d’une  adhésion marocaine voulue immédiate.
On ne saurait donner dans le juridisme pour prétendre que tout Etat ratifiant le Traité de la Cedeao (1976 révisé en 1993) devient ipso facto membre de la Communauté. Ce n’est pas vrai. Les seuls pays admissibles à cette formalité sont ceux dont les noms sont, expressément, listés dans le Préambule. La Mauritanie y figure, pas le Maroc ni la Tunisie.
 
Le Sommet d’Abuja  précité n’a pas réservé une suite favorable à la démarche du Royaume du Maroc. Une certaine presse nationale a cru pouvoir fanfaronner en faveur du Chef de l’Etat du Sénégal qui aurait servi de rempart Cedeao contre l’adhésion chérifienne. Cette assertion est fausse.
C’est la pression de la société civile du Nigeria ainsi que celle des opérateurs économiques de ce pays sur leur gouvernement qui a empêché de bâcler l’examen de cette requête marocaine dans l’urgence ; ce que des gens comme Macky Sall , justement, voulaient précipiter et au pas de charge. Lui qui, sans vécu de l’entreprise privée,  nous parle de compétitivité forcée face à des marocains au profit de qui le pouvoir chérifien a tout mis en œuvre pour l’émergence de leurs affaires.
 
La Cedeao a emprunté une porte de sortie à travers le prétexte de l’examen préalable d’une certaine « étude d’impacts ». En vérité, quelques uns commencent à comprendre. Voilà pourquoi le patronat sénégalais doit se départir de sa posture attentiste de monologue, en interne, à Dakar, à travers séminaires , ateliers et autres réunions stériles pour aller, sur le terrain, à la rencontre du monde des affaires nigérian et celui des autres de la sous région afin qu’un bloc solide, celui des peuples, celui du monde économique se dresse face au risque d’invasion économique qui menace les Etats membres de l’organisation.
 
Un autre questionnement sérieux est apparu pour le Sénégal et le Cap Vert notamment : celui de la présidence de la Commission. La direction exécutive de la Cedeao (Secrétariat Exécutif ensuite Président de la Commission depuis Janvier 2007 ) doit être assurée, à tour de rôle, par des ressortissants des Etats membres. Dès le début, la fonction fut assumée par un ivoirien sur 2 mandats : Dr Abubakar Diaby Ouattara. C’était sur exigence du Président Félix Houphouët Boigny qui subordonnait cela à son implication dans la nouvelle tentative d’intégration régionale. Souvenons nous qu’il avait été beaucoup plus partisan de la balkanisation de l’ancienne AOF (Afrique Occidentale Française) que du maintien unitaire de celle-ci. Le Président Senghor qui fera inscrire dans notre Constitution l’Unité Africaine comme une priorité du Sénégal plaidait, par contre, pour le maintien  de l’unité en vue de l’accession commune à l’indépendance plutôt qu’une émancipation en ordre dispersé. Dans l’arrangement, le Nigeria devait abriter le siège, le Togo celui du Fonds de la Cedeao (devenu Banque BIDC ), tandis que la Direction Générale de ce Fonds devait être confiée au Sénégal qui, finalement, ne l’assurera qu’une seule fois.
Ultérieurement, la Sierra Leone, la Guinée, le Ghana, le Burkina Faso (tous sur 2 mandats ) et le Bénin auront le privilège de diriger l’exécutif de l’institution. Il semble que ce soit pour des raisons internes de politique politicienne que le président Talon n’ait pas souhaité la poursuite de la mission de son compatriote de Souza, beau frère de son prédécesseur avec qui le Chef de l’Etat béninois avait eu un sérieux conflit.
 
Voilà qu’après des manœuvres politiciennes ayant écarté la candidature du Cap Vert, la Côte d’Ivoire reprend le poste pour un troisième mandat alors que notre pays n’a jamais géré l’exécutif de la Cedeao. Comment la délégation sénégalaise a-t-elle pu accepter une telle boulimie ?
On nous rétorquera que depuis Juin 2006, avec l’avènement de la dénomination « président de la Commission », débutant en Janvier  2007,  le principe de la rotation au poste, assorti de l’ordre alphabétique avait été retenu pour éviter les tiraillements. OK! Mais la aussi comment le Sénégal qui dispose de tant de diplomates perspicaces, d’hommes politiques d’expérience, de hauts fonctionnaires à expertise avérée dans le milieu de l’intégration régionale a-t-il pu à ce point se laisser mener en bateau, jusqu’à renoncer à assumer ce leadership sous régional ?
Même si l’alternance par ordre alphabétique pouvait se comprendre, il fallait, dès  cette époque, exiger que les pays dont les ressortissants avaient déjà dirigé la Cedeao cèdent leur tour jusqu’à ce que tous les Etats intéressés par le poste passent avant que l’ordre alphabétique ne reprenne. En d’autres termes, après le Bénin, le Cap Vert aurait du assumer la fonction. Ultérieurement la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée etc…devraient  laisser passer leur tour en faveur d’autres pays jusqu’à épuisement de la liste de ceux qui n’avaient jamais dirigé avant que l’ordre alphabétique ne soit repris. IL n’est pas tard pour exiger la mise en œuvre de ce schéma. Dans l’international africain, l’amateurisme sénégalais semble être érigé en règle depuis le cinglant échec à la Commission de l’Uemoa et le revers à l’UA par la faute du pouvoir, pour cause d’impréparation, de peu de soutien effectif et d’inefficacité de l’implication. Au fait, où en est-on avec le poste de vice gouverneur de la Bceao qui devait servir de lot de consolation au Sénégal ?
 
Le  Cap Vert  était ouvertement et clairement candidat. Sous le fallacieux prétexte politicien de non reversement de contributions, il a vu sa candidature écartée au profit d’une troisième mandature ivoirienne. Du temps des versements de cotisations étatiques comme depuis l’avènement des reversements à partir  de prélèvements sur importations, jamais –nous disons bien jamais- un Etat membre n’a été totalement à jour de toutes ses contributions au moment où un de ses ressortissants prenait la tête de  l’exécutif de la Cedeao. La proposition du Cap Vert d’éponger ses arriérés sur 5 ans n’a pas enregistré de suite favorable. Au total, tout a été entrepris pour barrer la route à la République du Cap Vert.
Comment les chefs d’Etat de la région peuvent-ils traiter ce pays de la sorte ? Le plus démocratique de la zone, le seul qui organise des élections libres et transparentes, d’où absence de procès ou de prisonniers politiques ; Celui qui ne change pas les règles électorales du jeu démocratique pendant le jeu. Le seul où Pouvoir et Opposition pourraient signer un document en direction de toutes les organisations pour décliner la supervision de ses élections par des observateurs étrangers. Le champion de la bonne gouvernance, classé 4ème sur 54 pays africains et à la première place de la zone Cedeao selon l’indice Mo Ibrahim 2017. L’Etat membre qui,  sans être pétrolier est sorti du groupe des pays pauvres pour rejoindre, grâce à son travail et à ses efforts remarquables, celui des pays à revenu intermédiaire malgré les contraintes géographiques d’un état archipel. Le seul qui depuis son indépendance  fonctionne sans troubles internes. Le seul dont les jeunes ne tentent pas de traverser le Sahara ou d’emprunter des pirogues pour aller rejoindre l’Europe etc..
 
Au Cap Vert nul ne doit analyser cette déconvenue comme un honte, une déroute, une gifle etc…IL s’agit ni plus ni moins d’un acte inamical, d’un  « abuso » (manque  de considération), d’un « desaforo » (comportement désobligeant), de la part des leaders de la Cedeao, une façon de vouloir marginaliser ce pays exemplaire à tous égards.
En coulisse, on prétendait que l’on reprocherait à cet Etat insulaire ses réticences par rapport à la libre circulation mais surtout à l’établissement des citoyens Cdeao sur son sol. Or, depuis longtemps, le Cap Vert ne cesse d’alerter la Cdeao sur ses difficultés, ses contraintes, ses spécificités dans ce domaine. Le problème est si sérieux qu’il se dit que la population allogène sur l’île de Boa Vista est supérieure à la population autochtone. IL suffirait que 0.26% de la population nigériane, 3.4 % de la population du Sénégal, 1.8%  de celle du  Ghana ou bien le tiers de chacun de ces contingents se fixe au Cap Vert pour qu’en une génération le pays change, dans les faits, de culture et de nationalité. Aucun Etat Cedeao n’est confronté à une telle hypothèse.
 
Même si nous connaissons l’option du gouvernement que nous verrons plus loin, il appartient au pouvoir de se concerter avec l’opposition parlementaire, les représentants des opérateurs économiques, ceux de l’Université, certains nationaux de sa diaspora pour savoir si le pays doit continuer à appartenir ou pas à la Cedeao. L’actuel Président Fonseca et son prédécesseur Pires ainsi que tous les anciens premiers ministres devraient être associés à la réflexion. Ce travail devrait se dérouler en interne et à huis clos.  Rappelons que la Mauritanie a eu à se retirer de la Cedeao en 1999 tout en conservant des liens avec certains Etats membres de la Communauté.
Si le consensus est négatif, les forces centrifuges qui invitent la nation à regarder vers le Brésil  et les pays lusophones (CPLP), l’Europe et l’Amérique vivront leur heure de gloire. Si le statu quo est prôné c'est-à-dire la soumission à l’«abuso» et au « desaforo » des autres, alors chacun assumera.
 
 Par contre, s’il est question de continuer dans la Communauté, la tête haute et compte tenu des intérêts bien compris, des contraintes et des spécificités du pays, alors le Cap Vert devra apprendre à se départir de l’angélisme et à s’affirmer. Pour ce faire, il dispose de cadres nationaux compétents  et d’amis étrangers avisés prêts à l’assister dans la définition d’une stratégie et l’adoption d’une posture destinées à forcer le respect et à l’aider à jouer pleinement le rôle qui lui incombe. A présent que le gouvernement vient de désigner un de ses membres, exclusivement, en charge de l’intégration régionale, qu’il envisage de nommer un ambassadeur à Abuja,  il lui reste à agir dans le sens de l’affirmation nationale. A notre avis, la décision devrait intervenir, au plus tard, à la fin du premier semestre de cette année 2018. S’en suivrait aussitôt, le temps de l’action. Après l’échec à diriger la BAD malgré une candidature de choix, il est temps, pour le Cap Vert, de refuser de se laisser rabaisser au niveau de pays africain de seconde zone. Après le mandat ivoirien (qui devrait être unique), le Cap Vert devrait se positionner pour prendre le flambeau. C’est à négocier voire à exiger dès maintenant et sans faiblesse.
 
                                                                                                    Jean-Paul Dias
                                                                                                    Ancien PCA du Fonds de la CEDEAO  
                                                                                                    (devenu Banque BIDC)
 
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Lundi 8 Janvier 2018




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