Augmentation du salaire des domestiques : L’arrêté du Ministre Abass Fall à l’origine d’une polémique entre les acteurs


Depuis fort longtemps, les personnels ou gens de maison sont destinés à tout faire dans les maisons. En effet, l’ordre social établi dans la société sénégalaise fait que ce sont les domestiques qui gèrent les travaux de la maison en contrepartie d’une somme rémunérée à la fin du mois. Cependant, ce salaire souvent jugé dérisoire par les travailleurs, s’est bonifié au fil du temps, même si on peut encore proposer mieux. 
Dans un arrêté signé le 25 avril dernier, le ministère du Travail, de l’Emploi et des Relations avec les Institutions, a annoncé une revalorisation significative des salaires minima catégoriels des travailleurs domestiques et des gens de maison. Une décision qui a créé une vive polémique au sein de la société sénégalaise plus précisément, entre les employeurs et les domestiques. Si d’aucuns pensent qu’une telle initiative n’est pas adaptée au niveau de vie des populations sénégalaises, d’autres pensent le contraire en soutenant les conditions difficiles de travail de ces dernières dans les maisons. Dans ce dossier, Dakaractu vous propose les avis les plus partagés sur la question.
Plusieurs semaines se sont déroulées depuis que le Ministre Abass Fall, en charge du Travail, de l’Emploi et des Relations avec les Institutions, a signé un décret en vue d’améliorer le traitement salarial des travailleurs domestiques. Depuis lors, les gens de maison continuent discrètement leurs tâches quotidiennes au sein des foyers. Nous nous sommes rendus dans les quartiers de la capitale pour rencontrer certains de ces travailleurs domestiques.

Les travailleurs domestiques se réjouissent de la mesure

Le quartier Liberté 6 est l’un des plus reconnus dans l’utilisation de ce personnel de maison. Certains ont même érigé des agences de placement pour constituer une interface entre les travailleurs domestiques et les employeurs. Fatou Sène a commencé ce travail longtemps. Trouvée à l’agence de placement de liberté 6, elle salue la décision prise par l’autorité. « Quand j’ai entendu la nouvelle à la radio, cela m’a fait plaisir car les temps ne sont plus les mêmes à Dakar où la location est chère, sans compter les frais de l'électricité et de l’eau. Donc, si l’on maintient toujours le salaire des domestiques au fixe, cela devient un véritable problème. Je suis tout à fait d’accord avec ce que le ministre a dit », s’est-elle réjouie. Avant d’ajouter : « les patrons ont de quoi payer les domestiques car, la hausse ne dépasse pas 20.000 Fr et, la plupart d’entre eux ne lésinent pas sur les moyens pour inscrire leurs enfants dans des écoles privées chères. C’est la bonne qui dépose l’enfant à l’école, lave ses tenues, nettoie la télévision et les micro-ondes », précise-t-elle. Elle renseigne qu’elle a arrêté de travailler dans les maisons depuis des années car elle trouve que cela n’est pas du tout avantageux pour elle. « J'avais décidé d'arrêter de travailler à temps plein. Maintenant, je nettoie deux ou trois fois par semaine et je gagne plus d’argent ».
Trouvée dans une autre maison non loin, Ndèye Coumba Diouf abonde dans le même sens. Cette dernière, qui a été mise au courant par sa copine, estime que c’est une bonne chose. « C’est une bonne idée car le travail est dur. Donc, si l’on obtient une augmentation, on ne peut que rendre grâce à Dieu. Je remercie vraiment le ministre du travail pour cet acte car, tout le monde sait que le travail n’est pas facile et que des fois, nous les domestiques, nous tombons sur de bonnes personnes, mais souvent aussi, on croise des gens mauvais qui ne partagent même pas le repas avec la domestique », a rouspété la travailleuse.

Des positions divergentes sur l’applicabilité de la mesure

L’agence de placement de liberté 6, est dirigée par Serigne Bassirou Sall qui n’a pas la même analyse de cette situation que les gens de maison. D’après cet agent, le ministre du travail ne devrait pas prendre une telle décision avant d’avoir organisé des concertations larges avec les agences de placement, les patrons et les domestiques. De son avis, l’idée est bonne mais difficilement applicable d’autant plus que le salaire est négocié entre les deux parties, bref une affaire privée entre l’employeur et l'employé. Dans la même dynamique, il montre que cela peut créer des tiraillements entre les concernés car les patrons ne peuvent pas payer au-delà de leurs moyens au moment où la domestique campe sur sa position. Le mieux, pour lui, « serait que l’on entame des concertations avant de matérialiser cela sur des documents afin d’éviter des problèmes », estime le chef d’agence de placement de domestiques. D’ailleurs, « la situation conjoncturelle du pays n’est pas adaptée à l’application de cette mesure », selon l’employeur.
À l’inverse, Penda Loum, une jeune femme au foyer, est d’une part pour l’augmentation des salaires des domestiques, non sans reconnaître que les temps sont durs au Sénégal. Et même si cela « s’avère être une bonne chose d’un côté, car ce sont eux qui entretiennent la maison », elle note des difficultés pour créer des emplois et leur offrir ce qu’elles veulent. Restauratrice avec une équipe de trois filles, elle prend exemple sur elle-même. Sur cette lancée, elle explique que si l’on respecte cette donne, cela ne l'arrangerait pas, car il serait préférable pour elle de prendre une seule personne au lieu de recruter trois filles et d’appliquer les prix fixés par l’État du Sénégal car, à force de vouloir les satisfaire, les moyens finissent par faire défaut. « Donc, je suis pour l’augmentation des salaires des domestiques d’une part mais d'autre part, les temps sont durs au Sénégal. Il n’y a pas d’argent. S’ils veulent les aider, ils n’ont qu’à nous aider nous aussi et comprendre que la conjoncture du pays est très difficile ».

Que dit le code du travail ?

Juriste en droit du travail, Khadija Diop fait savoir qu’elle est à la fois satisfaite et quelque peu dubitative par rapport à cette revalorisation. Selon elle, cette revalorisation vient à point nommé même si la dernière revalorisation risque de se répéter. D’autant plus que de 2009 à 2025, plusieurs années se sont écoulées et entre temps, les réalités sociales économiques ont beaucoup évolué. Par conséquent, le droit étant le reflet de la société doit suivre le rythme. De ce fait, il est toujours bien de mettre les textes à jour. Mais, elle reste quelque peu dubitative par rapport à certains points qui auraient également dû être pris en compte par cette décision ministérielle. Selon l’experte juridique, « dans la pratique sénégalaise, beaucoup de gens ne savent pas que les personnels de maison sont des travailleurs au sens du code du travail et en tant que tels, ils ont des droits, mais également des obligations. Malheureusement, dans l’entendement populaire on a tendance à croire, et c’est une fausse croyance, que les gens de maison font partie du secteur informel alors que tel n’est pas vraiment pas le cas. Donc, il fallait prendre des mesures pour accompagner celles-ci relativement à cet arrêté, pour être sûr que son application ne posera pas problème ».
De son avis, « une rencontre tripartite entre le patronat, les syndicats de professionnels et les bonnes est une bonne chose tant bien même que c’est une profession qui est quelque peu professionnalisé parce que ceux qui travaillent ne savent pas qu’ils sont des travailleurs au sens du code du travail, pire, ils ne savent pas ce que signifie un contrat, les employeurs non plus ne savent pas, en en tout cas la majorité ne sait pas ce qu'est un contrat de travail, ses obligations », a indiqué Khadija Diop. Pour preuve, soutient-elle, « il est rare aujourd’hui de voir une domestique qui bénéficie d’une cotisation à la caisse de sécurité sociale ou d’une cotisation à l’IPRES ou d’une IPM, les congés ne sont pas non plus respectés, il est rare de voir par exemple une domestique bénéficier de congé annuel, de congé payé etc… » Toutefois, elle atteste que le salaire ne doit pas être en dessous du SMIG (Salaire Minimum Interprofessionnel garanti).

 
Selon les sociologues, l’État est devancé par les réalités du marché sur cette question
« Cette décision a été déjà devancée par ce qui se passe actuellement sur le terrain ». Cet avis est du sociologue Moustapha Wone. À l’en croire, « le marché de l’emploi domestique s’est déjà chargé de cette affaire. L’emploi domestique se spécialise davantage et le salaire se bonifie même si on peut encore proposer mieux, mais c’est le marché qui décidera. Dès lors, l’État n’y peut pas grand-chose ». Il considère que cela peut susciter « un débat comme il a été le cas au début, mais après cela fera flop comme toujours dans les pays ». Ainsi, sur les textes cela peut être écrit noir sur blanc, mais dans les faits, cela fera plus parler qu’autre chose. Tout compte fait, ce marché de l’emploi des domestiques se régule de lui-même depuis quelques années et il faudrait encourager plus sa spécification qu’autre chose. De son avis, il faut juste lutter contre le fait d’avoir une bonne à tout faire plutôt que de vouloir augmenter le salaire.
Le marché de l’emploi domestique continue son bouillonnement. L’État cherche à se positionner dans ce mouvement perpétuel, un mouvement entre la demande et l’offre au moment où les travailleurs domestiques et les employeurs, les agences et les techniciens de l’État se retrouvent de plus en plus dans imbroglio sans précédent. Ces différents acteurs gagneraient mieux à se retrouver autour d’une table pour trouver des solutions durables aux maux qui gangrènent leur secteur.
Mardi 17 Juin 2025
Dieynaba AGNE



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