Les ministres-conseillers sont de retour au pays de la Téranga. Un bien triste souvenir pour les sénégalais.
Revenons au début des années Wade : l’ancien Chef de l’Etat aimait alors à se répandre dans la presse pour louer les membres de son équipe, qui, désintéressés autant que surdiplômés, avaient noblement consenti à sacrifier leur carrière sur l’autel de la patrie, en la servant au titre de « ministre-conseiller ». Le résultat fut, on s’en rappelle encore douloureusement, une basse cour agitée autant que vénale, humiliant la dignité de l’Administration sénégalaise avec ses “éléments hors du commun”1.
Que Macky Sall, président en exercice, souhaite s’entourer de conseillers de qualité et désireux de servir, afin de l’aider à diriger un pays aujourd’hui dans une mauvaise passe, quoi de plus naturel. Mais reprendre le même procédé qu’Abdoulaye Wade, avec comme justification, un titre, «ministre», pour améliorer l’ordinaire de conseillers devenus « héros citoyens » éplorés, est désolant. Quel exemple pour les hauts fonctionnaires, dont certains, après de brillantes études ont choisi de servir l’état ! Le message est clair : partez tous dans le privé, enrichissez-vous, créez un micro parti politique, puis revenez : la soupe sera meilleure… L’administration sénégalaise qui ne cesse de voir partir ses agents les plus qualifiés depuis longtemps, doit savoir que l’hémorragie n’est, semble-t-il, pas près de s’arrêter.
Si, malgré tout, le Chef de l’Etat souhaite retenir auprès de lui des femmes et des hommes en raison de leurs émoluments, l’argument du salaire, pour élever des conseillers « martyrs » au rang de ministres, est à mes yeux, insignifiant: le budget de la présidence peut supporter via les fonds dit « politiques »3 la « mise à niveau » de rémunérations jugées indignes alors qu’elles représentent, unitairement, 30 fois le PIB du Sénégal par habitant2 . Ainsi, ce serait sur « sa » cassette politique, dûment administrée, que le Président pourvoirait aux exigences de son aréopage. En assumant les risques politiques d’une telle conduite, le pays ayant les yeux rivés sur l’évolution de la dite cassette, et bien plus encore sur le prix des denrées de premières nécessité.
Par ailleurs, rien n’empêche les héros, "Ministres Conseillers", insatisfaits par leur solde, d’être classiquement des « visiteurs du soir », conservant ainsi leurs admirables positions professionnelles, et, laissant leur place aux jeunes pousses talentueuses de l’Administration, comme à leurs aînés expérimentés et soucieux de la bonne conduite des affaires du pays . La continuité de l’Etat n'en souffrira pas ... L’externalisation excessive en ces lieux du pouvoir n’est jamais un bon signe. En regardant certains de ses voisins, le Sénégal sait pourtant, malgré les plaies de la corruption et la médiocrité qui entache une partie de l’Administration, ce qu’il doit à son appareil d’Etat.
Politiquement, le plus navrant ici, y compris avec les législatives prochaines et le commerce habituel du clientélisme, c’est l’absence de vision stratégique: si Macky Sall accepte de dépenser des postes sans compter, deux mois seulement après avoir été plébiscité lors des présidentielles de février 2012, afin de s’assurer d'improbables soutiens pour gagner une majorité parlementaire, que devra-t-il offrir, dans trois ans, pour préparer son second mandat ? Le blindage, a ce rythme, risque d’être plus dangereux que l’obus, s’agissant de l’opinion publique.
Mais il est vrai, ici comme ailleurs, qu’une fracture devenue abime, s’est installée entre le quintile supérieur de la société et la majorité de ses concitoyens : une oligarchie se rétracte et devient dangereusement étrangère au destin de sa propre société.
Amadou Amath
Universitaire
1: C’est ainsi que se décrivait Farba Senghor, Conseiller, puis Ministre, caricature sinistre des années Wade
2: On rappelle que le Produit Intérieur Brut sénégalais est d'environ 7 000 milliards de CFA par an soit environ 50 000 CFA par mois et par habitant. 1.5 millions CFA par mois représentent donc 30 fois PIB moyen par habitant. En France un ministre a un salaire de 6 fois le PIB mensuel par habitant (2 500€).
3 : Ou encore fonds « secrets », lesquels n’ont pas disparus sous l’administration Sall.
Revenons au début des années Wade : l’ancien Chef de l’Etat aimait alors à se répandre dans la presse pour louer les membres de son équipe, qui, désintéressés autant que surdiplômés, avaient noblement consenti à sacrifier leur carrière sur l’autel de la patrie, en la servant au titre de « ministre-conseiller ». Le résultat fut, on s’en rappelle encore douloureusement, une basse cour agitée autant que vénale, humiliant la dignité de l’Administration sénégalaise avec ses “éléments hors du commun”1.
Que Macky Sall, président en exercice, souhaite s’entourer de conseillers de qualité et désireux de servir, afin de l’aider à diriger un pays aujourd’hui dans une mauvaise passe, quoi de plus naturel. Mais reprendre le même procédé qu’Abdoulaye Wade, avec comme justification, un titre, «ministre», pour améliorer l’ordinaire de conseillers devenus « héros citoyens » éplorés, est désolant. Quel exemple pour les hauts fonctionnaires, dont certains, après de brillantes études ont choisi de servir l’état ! Le message est clair : partez tous dans le privé, enrichissez-vous, créez un micro parti politique, puis revenez : la soupe sera meilleure… L’administration sénégalaise qui ne cesse de voir partir ses agents les plus qualifiés depuis longtemps, doit savoir que l’hémorragie n’est, semble-t-il, pas près de s’arrêter.
Si, malgré tout, le Chef de l’Etat souhaite retenir auprès de lui des femmes et des hommes en raison de leurs émoluments, l’argument du salaire, pour élever des conseillers « martyrs » au rang de ministres, est à mes yeux, insignifiant: le budget de la présidence peut supporter via les fonds dit « politiques »3 la « mise à niveau » de rémunérations jugées indignes alors qu’elles représentent, unitairement, 30 fois le PIB du Sénégal par habitant2 . Ainsi, ce serait sur « sa » cassette politique, dûment administrée, que le Président pourvoirait aux exigences de son aréopage. En assumant les risques politiques d’une telle conduite, le pays ayant les yeux rivés sur l’évolution de la dite cassette, et bien plus encore sur le prix des denrées de premières nécessité.
Par ailleurs, rien n’empêche les héros, "Ministres Conseillers", insatisfaits par leur solde, d’être classiquement des « visiteurs du soir », conservant ainsi leurs admirables positions professionnelles, et, laissant leur place aux jeunes pousses talentueuses de l’Administration, comme à leurs aînés expérimentés et soucieux de la bonne conduite des affaires du pays . La continuité de l’Etat n'en souffrira pas ... L’externalisation excessive en ces lieux du pouvoir n’est jamais un bon signe. En regardant certains de ses voisins, le Sénégal sait pourtant, malgré les plaies de la corruption et la médiocrité qui entache une partie de l’Administration, ce qu’il doit à son appareil d’Etat.
Politiquement, le plus navrant ici, y compris avec les législatives prochaines et le commerce habituel du clientélisme, c’est l’absence de vision stratégique: si Macky Sall accepte de dépenser des postes sans compter, deux mois seulement après avoir été plébiscité lors des présidentielles de février 2012, afin de s’assurer d'improbables soutiens pour gagner une majorité parlementaire, que devra-t-il offrir, dans trois ans, pour préparer son second mandat ? Le blindage, a ce rythme, risque d’être plus dangereux que l’obus, s’agissant de l’opinion publique.
Mais il est vrai, ici comme ailleurs, qu’une fracture devenue abime, s’est installée entre le quintile supérieur de la société et la majorité de ses concitoyens : une oligarchie se rétracte et devient dangereusement étrangère au destin de sa propre société.
Amadou Amath
Universitaire
1: C’est ainsi que se décrivait Farba Senghor, Conseiller, puis Ministre, caricature sinistre des années Wade
2: On rappelle que le Produit Intérieur Brut sénégalais est d'environ 7 000 milliards de CFA par an soit environ 50 000 CFA par mois et par habitant. 1.5 millions CFA par mois représentent donc 30 fois PIB moyen par habitant. En France un ministre a un salaire de 6 fois le PIB mensuel par habitant (2 500€).
3 : Ou encore fonds « secrets », lesquels n’ont pas disparus sous l’administration Sall.
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