De la dépénalisation des délits de presse


De la dépénalisation des délits de presse

 
Sénégal, modèle de démocratie apaisée en Afrique de l’Ouest ; cet acquis  n’a été possible que grâce à la conscience démocratique exemplaire de ses gouvernants, mais aussi d’une population naturellement éprise de paix et de justice, imprégnant ses valeurs à une presse multiple et vivace qui joue indiscutablement son rôle de contrôle, de contre-pouvoir. Bref de sentinelle de la démocratie.
Mais  cette médaille n’est pas sans revers, qui s’exprime sous la forme d’un bouillonnement   médiatique, faisant même parler d’une presse partisane ou à scandale.
C’est ainsi qu’au moment ou certains organes naissent, d’autres font leurs tristes adieux, par le moyen entre autres de sanctions d’infraction comme l’injure, la diffamation, la diffusion de fausses nouvelles, la violation de la vie privée etc. suscitant dés lors chez toute personne soucieuse de la bonne marche de notre démocratie et de la protection des libertés publiques et particulièrement de la liberté d’expression, le reflexe de s’interroger sur la pertinence de certaines dispositions du droit des media au Sénégal.


 A ce propos, le Sénégal à l’instar de bon nombre de pays africains,  s’est inspiré de la vielle loi française du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et sur d’autres instruments internationaux comme la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples adoptée le 27  juin  1981 à Nairob i au Kenya et la Déclaration de Munich de 1971.
Cette liberté constitutionnelle consacrée à l’article 10 de notre charte fondamentale du 22 janvier 2001 énonce que « Chacun a le droit d'exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume, l'image, la marche pacifique, pourvu que l'exercice de ces droits ne porte atteinte ni à l'honneur et à la considération d'autrui, ni à l'ordre public ».
 
Dans le souci de consolider cette garantie déjà prévue par la Constitution du 07 mars 1963, qu’était intervenue la loi 96-04 du 22 février 1996, relative aux organes de communication sociale et aux professions de journalistes et de techniciens de la communication. 
Au regard des dispositions de cette loi, on constate à l’évidence qu’un véritable problème d’effectivité se pose. Il n’est point nécessaire d’être juriste, sociologue des media ou acteur  du monde de la communication, pour se convaincre de ses nombreux  déboires. En effet, du fait de ses références à une loi française vétuste et obsolète qui comporte beaucoup d’aspects répressifs conférant aux journalistes plus de devoirs que de droits, cette législation se révèle contraignante et dépassée par l’évolution contemporaine. 
C’est peut être, la raison principale qui explique que les délits de presse soient sévèrement sanctionnés. 

Il s’agit principalement des délits de presse portant atteinte à la chose publique et ceux qui concernent les particuliers ; pour les premiers, il s’agit de l’offense au Chef de l’Etat prévue par l’article 254 du code pénal qui ne donne aucune définition précise de l’infraction précitée. 
Chose faisant que pour une affaire anodine,  un journaliste (ou même un simple citoyen) peut facilement retrouver devant le Temple de Thémis et  atterrir à la citadelle du silence.
Le droit tend le même piège aux professionnels de la communication dans la diffusion de fausses nouvelles prévue  à l’article 155 du code pénal qui renferme les mêmes imprécisions pouvant constituer un sérieux recul pour le journalisme d’investigation. 
Pour les délits de presse portant atteinte aux particuliers, la sanction du délit de diffamation est plus spectaculaire et par conséquent plus ahurissante avec le renversement de la charge de la preuve  qui n’est guère libre au regard des dispositions de l’article 414 du code de procédure pénale institué par la loi 65-61 du 21 juillet 1965 qui en pose le principe de la liberté. 

Cette remarque du point de vue législatif est renforcée par loi n° 99-05 du 29 janvier 1999 modifiant certaines dispositions du Code pénal, particulièrement en son article 80 qui énonce que «  Les autres manœuvres et actes de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles politiques graves, à enfreindre les lois du pays, seront punis d’un emprisonnement, de trois ans au moins et de cinq ans au plus et d’une amende de 100.000 à 1.500.000 francs….».
Cette disposition liberticide constitue la menace la plus grave contre la démocratie et fait partie de l’arsenal législatif qui justifie l’urgence d’une dépénalisation.
Sous ce rapport, il y’a de quoi s’alarmer face au retard d’un nouveau code de la presse plus souple et plus promoteur de la liberté d’expression et de l’entreprise de presse, dans la prise en compte de l’évolution des Technologie de l’Information et de la Communication.
En effet, ce sont entre autres ces sanctions pénales évoquées et la violation flagrante des principes fondamentaux de la procédure pénale  qui ont poussé certains acteurs à souhaiter l’orientation vers  la dépénalisation des délits de presse  qui apparaît comme une nécessite au rayonnement de la démocratie et à la survie des  entreprises de presse  à la seule et unique condition que cette dépénalisation ne rime avec l’impunité, synonyme d’injustice.    
Pathé BA.
Juriste-Chercheur en Science Politique UCAD.

                                                                                 
 
 
 
 
 
Jeudi 20 Février 2014




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