Crise du loyer au Sénégal : Les faiblesses d’une loi aux relents populistes (Acte II)

La boulimie législative n’a jamais permis de régler les problèmes de société. Ce n’est pas en ressuscitant une loi tombée en désuétude qu’on va régler la crise du loyer. Mais en posant des garde-fous capables d’empêcher les spéculations qui mènent aux dérives. Pour cela, il y a lieu d’indexer les loyers sur les indices du coût de la vie et du coût de la construction. Il appartient alors à l’Etat de faire respecter les lois existantes, au lieu d’en créer une nouvelle aux relents plutôt populistes.


Crise du loyer au Sénégal : Les faiblesses d’une loi aux relents populistes (Acte II)
Doutes sur la légalité et l’avenir de la loi portant baisse des loyers.
Karl Marx et Friedrich Engels auraient certainement apprécié cette loi qui porte les couleurs communistes par la négation du droit de propriété et la promotion d’une lutte entre classe exploitée (les locataires) et classe exploitante (les bailleurs). On ne peut défendre efficacement les locataires que par l’équité, et point par l’injustice. La constitution sénégalaise reprend la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981, en ce qu’elles bannissent  toute forme d’injustice et consacrent le droit fondamental de chaque citoyen à la  propriété privée. Toute loi qui enfreint directement ou indirectement ce droit serait anticonstitutionnelle. Sauf à verser une indemnité réparatrice aux bailleurs lésés, si la nécessité publique est invoquée pour justifier la loi. Ce qui n’est pas le cas. Dès lors, il est légitime de remettre en cause la légalité de la loi imposant une baisse des loyers.
La nouvelle loi prévoit contre les bailleurs qui ne respectent pas ses dispositions la peine de prison prévue par la loi du 25 juin 1981, réprimant la hausse illicite du loyer des locaux à usage d’habitation. Or, si cette sanction était appliquée, le Sénégal n’aurait pas connu la présente crise du loyer. On peut donc s’attendre à ce qu’il y ait quelques condamnations pour marquer les esprits, et que la loi soit à nouveau rangée aux oubliettes. Sauf à demander au ministre de la justice de construire de nouvelles prisons pour y incarcérer les milliers de bailleurs et pères de famille sénégalais qui ne respecteront pas cette loi. Chimère ! Si tous les conflits que va générer cette loi étaient portés devant la justice, le tribunal de première instance  ne pourrait plus fonctionner.
 
Il faut indexer les loyers pour protéger les locataires sans dépouiller les bailleurs
Il est illusoire de baisser les loyers en un temps T, sans fixer au préalable un indice de hausse ou de baisse basé sur le coût de la vie et/ou de la construction. L’Etat ne pourra pas empêcher une future augmentation des loyers s’il ne peut pas stabiliser ces coûts.  Or l’Etat sénégalais, comme d’autres Etats, est incapable de le faire. L’Etat devrait plutôt encadrer  la revalorisation annuelle des loyers, en fixant un indice de référence qui doit être le taux maximum autorisé pour la  révision des loyers. Aussi, l’Etat devrait encadrer toute augmentation de loyer lors du renouvellement du bail, et toute majoration du loyer consécutive à la réalisation de travaux par  le bailleur.  Ainsi, on protège efficacement et légitimement les locataires. Mais cela ne se fait pas en 15 jours, comme pour faire voter par les députés une loi destinée à caresser le peuple dans le sens du poil, et lui faire oublier sa disette pendant un temps. Si l’Etat ne fait rien, le bailleur et le locataire peuvent insérer dans le contrat une clause de révision périodique du bail, en indexant  le loyer sur l’évolution du prix d’un bien dont la valeur est déterminable : marchandises, matières premières, services, etc. C’est ce qu’on appelle la clause d’échelle mobile, prévue par le droit des contrats. La vraie solution, efficace et équitable, repose sur la révision des loyers par indexation, avec les données de l’agence nationale de la statistique et de la démographie.
 
Dix conseils pratiques aux locataires
1/ Il faut d’abord savoir que tout préjudice que vous cause votre bailleur, un courtier ou un agent immobilier peut être sanctionné en justice par le versement de dommages-intérêt. Ainsi, vous pouvez poursuivre le courtier qui va au-delà de la mise en relation avec le bailleur, et qui vous donne de fausses informations pour vous amener à signer un bail portant un logement ayant des vices cachés.
2/ Avant d’occuper un logement, ayez le réflexe d’exiger un état des lieux comme l’impose la loi. Prenez l’habitude de payer votre loyer à terme échu. Le bailleur doit vous remettre une quittance pour chaque loyer payé. Entretenez le logement et faites les réparations usuelles. Evitez de transformer le logement sans l'accord du bailleur.
3/ Lorsque le bail est à durée indéterminée vous pouvez y mettre fin par un préavis de deux mois, alors que le bailleur doit vous servir un préavis de 6 mois pour rompre le contrat.
4/ Lorsque le bail est à durée déterminée et que vous ne souhaitez pas bénéficier de la tacite reconduction, vous  devez en avertir le bailleur 6 mois avant la fin chaque période triennale. Si vous souhaitez le renouvellement, le bailleur ne peut vous le refuser que s’il compte occuper personnellement le logement, s’il veut le mettre à disposition de ses proches, ou s’il décide de le démolir pour le reconstruire. Pour ce faire, il doit vous donner  les informations sur le nouvel occupant des lieux et son lien de parenté avec lui, ou sur les travaux qu’il va réaliser.
5/ Le nouvel occupant doit prendre possession des lieux dans les trois mois après le départ du locataire évincé ; et doit y  rester au moins pendant deux ans.
6/ En cas de rupture du bail pour reconstruction de l’immeuble, le bailleur doit commencer les travaux dans les 3 mois après le départ du locataire. Il ne peut pas y héberger quelqu’un avant les travaux.
7/ Si vous constatez que le bailleur ne respecte pas une de ces obligations, la loi vous permet de lui réclamer une indemnité équivalente à 24 mois de loyers. 
8/ Le décès du locataire n’est pas une cause automatique de résiliation du bail. Son époux(se), ses parents ou ses enfants peuvent reprendre le bail. Le bail ne prend pas fin non plus par la vente du logement, si le locataire présente un contrat écrit ou des quittances de loyer en bonne et due forme.
9/ Le bailleur doit faire les réparations urgentes et importantes. Si après sommation il ne réalise pas les travaux qui lui incombent, vous pouvez demander au juge des référés de vous autoriser à les faire et de déduire les frais sur les loyers que vous lui devez.  
10/ Le bailleur doit vous permettre de jouir paisiblement du logement et s’abstenir de violer votre vie privée et votre  intimité familiale. S’il fait des nuisances qui vous importunent, vous pouvez lui opposer une exception d’inexécution et refuser de payer le loyer. Le juge peut alors revoir votre loyer à la baisse en tenant compte de ce fait.
 
En définitive, on ne pourra pas régler la crise du loyer par une loi, mais en désengorgeant les grandes villes, en facilitant l’accès des ménages modestes à la propriété foncière, et en développement une vraie politique de logements sociaux.
Aliou TALL
Président du RADUCC (Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen)

Mardi 11 Février 2014




1.Posté par locataire le 11/02/2014 20:14
Bravo très belle contribution



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