REJET DE LA DEMANDE DE LIBERTÉ PROVISOIRE POUR KHALIFA SALL ET CIE : Ce que dit l’arrêt de la chambre d’accusation

« Les simples allégations des inculpés ainsi que des pratiques de gestion antérieures ne suffisent pas en l’absence d’une disposition législative ou réglementaire les étayant, à conférer aux fonds litigieux un régime dérogatoire dispensant leurs gestionnaires de rendre compte de leur utilisation et de répondre s’il y a lieu de toute malversation y afférente ». C’est l’une des fortes convictions de la Chambre d’accusation dans son arrêt faisant suite à l’appel introduit par Khalifa Sall et Cie pour attaquer le rejet de leurs demandes de mise en liberté provisoire. Libération révèle les motivations ayant guidé l’arrêt de la Chambre d’accusation.


I- Sur l’absence de motifs de l’ordonnance entreprise

« Considérant comme l’ont relevé à juste titre les appelants que le magistrat n’a pas répondu aux différents moyens contenus dans les demandes de mise en liberté provisoire qui lui ont été soumises ; qu’il s’est contenté d’adopter les motifs des réquisitions du Procureur de la République, ce, alors que l’obligation des motivations des décisions de justice impliquait qu’il dise en quoi les moyens portés à son appréciation ne pouvaient pas caractériser des contestations sérieuses au sens de l’article 140 du Code de procédure pénale ; Que toutefois cette carence dans la motivation du magistrat instructeur ne justifie pas à elle seule une infirmation dans la mesure où la Cour des céans par l’effet dévolutif de l’appel peut substituer ses propres motifs à ceux insuffisants de l’ordonnance querellée ; Que le moyen tiré du défaut de motivation n’est donc pas opérant.

II/ Sur l’existence de contestations sérieuses

Considérant qu’il résulte de l’article 140 du Code de procédure pénale qu’à l’égard des personnes poursuivies en application des articles 152 et 155 du Code de procédure pénale, il ne peut être donné mainlevée du mandat de dépôt décerné que ‘’si au cœur de l’information surviennent des contestations sérieuses ou le remboursement ou le cautionnement de l’intégralité des manquants’’.

Considérant qu’il y a lieu de préciser d’emblée que contrairement aux moyens soulevés par les appelants la compétence de la Cour des comptes en matière de répression des fautes de gestion n’exclut nullement celle des juridictions répressives, exclusivement compétentes pour connaître des faits de détournement et escroquerie portant sur les deniers publics qui peuvent être imputés aux comptables publics administrateurs, ordonnateurs entre autres.

Que d’ailleurs il résulte de l’article 22 du décret du décret numéro 2011-1880 du 24/11/ 2011 portant règlement général sur la comptabilité publique que les ordonnateurs ‘’encourent une responsabilité qui peut être disciplinaire, pénale ou civile, sans préjudice des sanctions qui peuvent leur être infligées par la Cour des comptes en raison des fautes de gestion’’.

Le moyen selon lequel le magistrat instructeur aurait violé le principe d’égalité des citoyens devant la loi en laissant libres les comptables publics ne constitue pas une contestation sérieuse au sens de l’article 140 du Code de procédure pénale puisque ne tendant pas à remettre en cause l’imputabilité ou la qualification des faits ; Qu’il est donc inopérant ;

‘’Les simples allégations des inculpés ainsi que des pratiques de gestion antérieures ne suffisent pas en l’absence d’une disposition législatives ou réglementaire les étayant, à conférer aux fonds litigieux un régime dérogatoire dispensant leurs gestionnaires de rendre compte de leur utilisation et de répondre s’il y a lieu de toute malversation y afférente’’

Considérant par ailleurs qu’il est constant que les fonds dont la malversation est reprochée aux inculpés sont des crédits constituant la caisse d’avance créée au niveau de la ville de Dakar par arrêté municipal numéro 00503 du 31/01/2003 ;
Qu’il ne résulte ni des termes de cet arrêté ni de ceux du décret numéro 66-510 du 04/07/1966 pourtant régime financier des collectivités locales notamment en son article 16 ou instituant les régies d’avance que celles-ci constituent des fonds politiques que le maire pourrait utiliser discrétionnairement sans justification ;
Qu’en revanche aussi bien l’article 5 de l’arrêté précité que l’article 6 dudit décret prévoient l’obligation pour les gérants des régies d’avance de justifier l’emploi des fonds dont ils sont les dépositaires ;
Que l’obligation de justification ne s’applique pas d’ailleurs exclusivement au régisseur d’avance mais également à l’ordonnateur en l’occurrence Khalifa Sall qui est aussi gestionnaire des fonds mis à sa disposition au titre de la caisse d’avance.
Qu’ainsi les simples allégations des inculpés ainsi que des pratiques de gestion antérieures ne suffisent pas en l’absence d’une disposition législatives ou réglementaire les étayant, à conférer aux fonds litigieux un régime dérogatoire dispensant leurs gestionnaires de rendre compte de leur utilisation et de répondre s’il y a lieu de toute malversation y afférente.
Considérant que le moyen selon lequel il n’y aurait pas de preuve d’un manque initial n’est pas pertinent ;
Qu’en effet, constitue un manquant au sens de l’article 140 du Code de procédure pénale, tout décaissement ou emploi injustifié de sommes d’argent ou de biens quelconques.
Qu’en l’espèce les inculpés particulièrement Khalifa Sall et Mbaye Touré ont tous reconnu le décaissement de la somme totale de 1, 8 milliard durant la période 2010-2015 sans pour autant justifier son utilisation à des fins d’intérêt public conformément à sa destination ;
Qu’ils n’émettent pas dès lors une contestation sérieuse en réfutant l’existence d’un manquant. Considérant qu’en ce qui concerne le moyen tirés de l’absence d’enrichissement personnel dont tous les détenus se sont prévalu en l’espèce il importe de relever que les délits de détournement ou d’escroquerie portant sur les deniers publics n’impliquent pas nécessairement l’enrichissement matériel et personnel de leur auteur ;
Qu'il suffit que ces derniers aient été utilisés frauduleusement à d’autres fins que la mission de service public à laquelle ils étaient destinés.

« Mbaye Touré a même précisé que Khalifa Sall était au courant de l’utilisation de ces fausses pièces ce que ce dernier ne pouvait au demeurant ignorer pour avoir porté son visa sur les procès-verbaux de livraison versés dans le dos »

Or, en l’espèce l’usage de fausses pièces a été reconnu par tous les inculpés ; qu’en effet aussi bien à l'enquête préliminaire que devant le magistrat instructeur Yaya Bodian et Fatou Traoré ont reconnu avoir confectionné les fausses factures attribuées au Gie Tabbar tandis que Mbaye Touré a admis au même titre que Amadou Moctar Diop et Ibrahima Yatma Diao avoir signé les procès-verbaux de réception tout en ayant conscience qu’ils ne correspondaient à aucune livraison de denrées alimentaires ;
Que Mbaye Touré a même précisé que Khalifa Sall était au courant de l’utilisation de ces fausses pièces ce que ce dernier ne pouvait au demeurant ignorer pour avoir porté son visa sur les procès-verbaux de livraison versés dans le dossier.
Que les susnommés ont, de plus, tous avoué que les fausses pièces ont été confectionnées dans l’unique but de servir de justification à l’emploi des fonds de la caisse d’avance et permettre l’alimentation de celle-ci ;
Que l’instruction générale numéro 4 Mfae du 14/01/76 sur les régies de recettes et les régies d’avance de l’Etat visé par l’arrêté numéro 00503 du 31/01/2003 instituant la caisse d’avance de la ville de Dakar prévoit en effet en son article 52 que la caisse d’avance est alimentée après production des pièces justificatives de l’emploi de crédits précédents.
Que par ailleurs les déclarations de Mbaye Touré selon lesquelles il aurait agi sur instruction du maire Khalifa Ababacar Sall ne peuvent prospérer puisqu’en sa qualité de régisseur d’avance, donc de comptable public, il était indépendant de l’ordonnateur qu'est le maire et dont il devait même contrôler la régularité des actes avant d’opérer un quelconque paiement.
Considérant qu’en définitive les contestations formulées par les inculpés ne sont pas sérieuses au vu de ce qui précède.
Que ces derniers n’ont ni cautionné ou remboursé le manquant initial, ni même offert de le faire. Que dès lors c’est à bon droit que le magistrat instructeur a rejeté leurs demandes de mise en liberté provisoire en application de l’article 140 du Code de procédure pénale. Qu’il essaie de confirmer après substitution des motifs, l’ordonnance entreprise. »
Mardi 30 Mai 2017




Dans la même rubrique :