Lutte contre le terrorisme au Sénégal : Quand le gouvernement emprunte une mauvaise stratégie


 Lutte contre le terrorisme au Sénégal : Quand le gouvernement emprunte une mauvaise stratégie
QLe terrorisme et son corollaire l’extrémisme violent sont largement répandus dans le monde d’aujourd’hui. La vague d’attentats  de Paris du 13 novembre dernier qui ont endeuillé la France et la prise d’otages étrangers à Bamako, le 20 novembre, par des éléments appartenant à des réseaux djihadistes  témoignent de l’aggravation d’un problème mondial de sécurité qui n’épargne aucun Etat. Les autorités sénégalaises ont bien compris cette réalité. Elles semblent prendre très au sérieux l’effet contagion du terrorisme international dans notre pays qui a jusque-là fait montre d’une grande capacité de résilience face à l’extrémisme religieux. L'arrestation, il y a quelques semaines, d’hommes religieux sénégalais pour apologie du terrorisme et au motif qu’ils entretiendraient des relations avec des organismes terroristes sont applaudis des deux mains comme relevant du courage politique. Mais en l'absence d’une réflexion sérieuse sur les causes profondes du terrorisme et sur les stratégies sécuritaires adoptées par nos autorités, les efforts actuels peuvent se révéler un saut dans l’inconnu et peuvent générer plus de dommages qu’ils n’en résolvent.
L’insécurité est un pendant de la pauvreté et de la précarité. Vouloir à tout prix associer la menace terroriste au Sénégal au seul fait de l’influence au niveau national des réseaux internationaux, c’est suivre une fausse piste en se donnant une bonne conscience. Il est empiriquement établi que l’extrémisme violent en Afrique, bien que liée à des courants idéologiques plus larges, est avant tout une réaction aux préoccupations locales immédiates que les extrémistes exploitent pour recruter surtout les jeunes et répandre la hantise de la terreur et de la peur. Si au Mali les groupes djihadistes ont pu contrôler le Nord du pays en 2012 et susciter des sympathies au niveau local, c’est parce que l’Etat central avait du mal à trouver une solution durable aux demandes et aux attentes croissantes des populations vivant à la périphérie de l'économie nationale. La secte de plus en plus violente de Boko Haram au Nigeria est, à l’origine, une réaction à la corruption endémique entretenue par l’élite au pouvoir, les abus des forces de sécurité et l'aggravation des disparités économiques régionales qui ont aggravé les tensions entre le Nord musulman et le Sud chrétien. C’est pour tout simplement dire que tout terrorisme, même transnational, a des racines locales. Il se nourrit essentiellement de la pauvreté et de la gouvernance catastrophique qui font que l’Afrique, le continent  qui accumule les records des colonnes  négatives  en matière de développement économique et social (pauvreté, analphabétisme, maladies endémiques, chômage …),  est  en passe de devenir la nouvelle terre d’accueil du terrorisme.
Jusqu’à une période récente, le Sénégal pouvait se targuer d’avoir pu construire et maintenir une culture démocratique et des institutions solides qui lui ont permis de demeurer un îlot de stabilité dans une région constamment en proie aux conflits. Mais, les mêmes causes produisent généralement les mêmes effets, notre pays n’est pas tout à fait à l’abri puisqu’il n’a pas connu un succès analogue dans le domaine économique et social. Avec une population de 13 millions d'habitants et 45% de moins de 15 ans, le Sénégal est confronté à un sérieux problème pour trouver des solutions à long terme à la pauvreté et au chômage. La pauvreté affecte presque 50% de la population. Jusqu’à présent, la croissance s’est révélée insuffisante et insignifiante pour faire reculer cette pauvreté. Les efforts répétés du gouvernement pour consolider la situation budgétaire se sont révélés inopérants. L'efficacité de la dépense publique est loin d’être améliorée tandis que la progression des dépenses de l'État n’est pas encore stabilisée. La fracture entre le centre et la périphérie du pays s’agrandit au moment où la richesse nationale est inégalement répartie en défaveur de la grande masse des couches défavorisées. L’insatisfaction économique en plein essor est amplifiée par la structure discriminatoire de notre système éducatif – bifurquée entre un enseignement en français et un enseignement islamique essentiellement informel – qui limite les possibilités d'emploi aux citoyens sénégalais arabophones et initiés dans les sciences islamiques. Ces derniers, exclus de toute participation significative dans le développement d’un pays où le français est la langue officielle, monopolisent l’espace de la prédication religieuse. Dans leur quête de reconnaissance et de légitimité sociale, certains n’hésitent pas à s’en prendre au système politique en général et aux élites occidentalisées laïques qu’ils tiennent pour responsables de la gestion catastrophiques du pays depuis les indépendances. Toutes ces conditions se présentent comme une bombe à retardement qui risque de se déflagrer si les autorités sénégalaises n’arrêtent pas de se satisfaire du faux prétexte de l’influence au Sénégal du terroriste international pour trouver des solutions urgentes aux conditions structurelles qui poussent les individus à verser dans l’extrémisme violent.
Nous ne prétendons nullement remettre en question l’effort actuel des autorités dans la lutte contre le terrorisme que nous jugeons important pour deux raisons. Premièrement, le terrorisme et toute autre forme d’extrémisme est une attaque directe contre les valeurs fondamentales de démocratie et de tolérance qui fondent le vivre ensemble au Sénégal. Deuxièmement et conséquemment, il faut agir vite en anticipant pour contenir  les desseins inavoués d’individus ou de groupes qui seraient tentés de recourir à la violence idéologiquement motivée pour atteindre leurs buts (politiques, sociaux ou religieux).
Toutefois, la Jeunesse pour la Démocratie et le Socialisme (JDS) ne saurait  s’abstenir de donner une lecture critique de la stratégie du gouvernement pour réorienter  l’attention de nos autorités sur la vérité effective des choses. Et la vérité c’est que quand on gère le pouvoir, la prudence et la sérénité doivent être de rigueur. Il y a des erreurs qu’il faut se garder de commettre. La stratégie actuelle adoptée dans la lutte contre le terrorisme au Sénégal, il faut le dire, semble donner la vedette à la stratégie du « tout sécuritaire » qui a déjà montré ses limites sous d’autres cieux.
D’autres pays plus puissants que le notre avaient adopté une telle stratégie. Les Etats-Unis en ont fait leur modus operandi au Moyen Orient depuis les attentats du 11 septembre 2001 et l’ont appris à leur dépends. Ils sont aujourd’hui, sous l’administration Obama, en train de changer de fusil d’épaule en retirant leurs troupes de l’Iraq et de l’Afghanistan, mais surtout en privilégiant une nouvelle gamme de stratégies non coercitive favorisant la résistance individuelle et la résilience communautaire à la radicalisation violente. La France qui est en train d’adopter la vielle conception américaine de lutte contre le terrorisme commence à payer les frais de l’engagement de ses troupes dans le bourbier saharo-sahélien et le brasier irako-syrien. Elle apparait désormais comme la cible prioritaire des terroristes qui ont montré la preuve de leur capacité à installer la psychose de la mort en France et hors de son territoire. L'assaut lancé  le 13 novembre dernier au Mali par un commando djihadiste sur l'hôtel Radisson Blu de Bamako, fréquenté pour l'essentiel par les expatriés dont les français, est assez révélateur de l'ampleur du défi sécuritaire auquel les autorités françaises doivent dorénavant faire face. Les terroristes savent qu’ils ne peuvent pas s’attaquer aux forces armées françaises dans les théâtres des opérations. Faute de moyens, ils se rabattent sur d’autres cibles (généralement les civils) pour jouer avec une opinion publique française particulièrement sensible aux problèmes d’insécurité.
La Jeunesse pour la Démocratie et le Socialisme (JDS) invite le gouvernement du Sénégal à revoir sa stratégie de lutte contre le terrorisme. L’histoire doit servir à quelque chose, sinon elle ne vaut pas la peine d’être vécue. Si les autorités sénégalaises veulent contenir la menace de l’extrémisme violent dans notre pays, elles doivent être plus réalistes dans leur ambition et investir le peu de ressources et  d’énergies dont dispose le pays  dans l’endiguement de la pauvreté et  la mal gouvernance qui font le lit de l’extrémisme violent. La Jeunesse pour la Démocratie et le Socialisme (JDS) soutient que l’arrestation de personnes présumées avoir des connections avec les réseaux terroristes internationaux est une réponse conjoncturelle et imparfaite à un malaise structurel plus profond. Soutenir le développement est l’approche à long terme permettant de mitiger les facteurs associés à l'extrémisme violent. Tout autre choix ferait le jeu des terroristes et saperait les fondements de l’équilibre de notre société.
Jeunesse pour la Démocratie et le Socialisme (JDS)
Fait à Dakar, le 25 novembre 2015
 
Jeudi 26 Novembre 2015
Dakar actu




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