CRI DU COEUR


CRI DU COEUR

D’aucuns me diront que comparaison n’est pas raison, mais aussi l’injustice n’est pas juste. Dans ma troisième contribution intitulée : Et si le Sénégal disait niet au développement ?, j’ai essayé de montrer les facteurs qui font que le Sénégal reste toujours dans la catégorie des pays les moins avancés. Il y a même quelque part où je dis que l’émergence dont on parle tous les jours à travers les media, ne passera que par l’éducation et l’agriculture. Mais, au vu de ce qui se passe effectivement, il me semble plus facile d’affirmer que ce développement reste encore chimérique.
Je renvoie les personnes qui ont eu une lecture politique de mes articles à ma troisième contribution sur le refus du développement. Dans cet article, j’ai passé au peigne fin la quasi-totalité des problèmes qui nous bloquent en réalité. J’ai pris comme modèle de développement économique l’Allemagne, pays que je connais le plus en l’Europe.
Maintenant pour l’éducation, il est vrai que j’ai traité des questions qui ont  sans doute touché la sensibilité de quelques gens, mais je précise qu’il ne s’agit nullement d’une attaque contre qui que ce soit, mais juste qu’on ne peut pas passer sous-silence certaines choses. Point n’est besoin de rappeler qu’à côté de ces problèmes dont j’ai fait mention, l’enseignement demeure le métier le plus noble quand bien même les enseignants sont lésés à tout point de vue. Pourquoi je ne suis pas d’accord avec certains syndicalistes sur bien des choses, au point de décrier leurs pratiques ou attitudes? Je n’arrive toujours pas à comprendre le fait que depuis plusieurs années, les mêmes revendications reviennent sur la table. À mon avis, il y a anguille sous roche. J’espère que nos dirigeants syndicaux pourront nous en dire davantage, eux qui se lèvent un beau jour pour nous demander de retourner dans les classes, quand bien même il n’y a pas satisfaction.
Pour moi, l’abandon des classes s’avère ne plus être l’arme de guerre la plus efficace. Pourquoi l’opinion publique n’est pas avec nous ? Il y a même beaucoup de Sénégalais qui n’hésitent pas maintenant à nous appeler à tort par tous les noms d’oiseau. Dans ma lettre ouverte sur les grèves récurrentes en milieu scolaire, j’ai dit ceci au point 3 de mes propositions : Un travail de sensibilisation au niveau des A.P.E (Associations des Parents d’Elèves) et des organes de presse sur les véritables raisons de la grève pour faire valoir la légitimité du combat. Plus loin au point 9 je dis : Pour les trois mois de vacances, mettre sur pied un comité ad hoc chargé de veiller au strict respect des textes avant l’ouverture des classes en octobre.
À mon avis, ceci pourrait éviter les perturbations en pleine année scolaire et pousserait le gouvernement à respecter scrupuleusement ses engagements, sans quoi, pas de rentrée scolaire. Si dans toute l’Afrique, les écoles ouvrent leurs portes à l’exception du Sénégal, cela ne fera pas bonne image et le gouvernement sera obligé de réagir.
Pourquoi j’insiste sur la bataille de l’opinion publique ? On gagnerait plus si vraiment nous prenions le temps d’expliquer et de sensibiliser tous les Sénégalais sur les véritables raisons de la crise scolaire. Cela éviterait que des personnes ignorantes nous fabriquent à tort des sobriquets. Je demeure convaincu que si nous procédons ainsi, non seulement nous aurons le soutien des parents, mais aussi celui des élèves, bref de toute la population.
À coté des problèmes évoqués dans le système, il me plait aujourd’hui de vous parler de certaines choses dont beaucoup de Sénégalais, qui se hâtent à diaboliser ou à insulter les enseignants à travers les émissions radiophoniques, ignorent. Tout d’abord, je définis l’enseignant comme une personne agissant sur des âmes innocentes, en vue de leur inculquer des valeurs et des vertus sociales et leur assurer des savoirs sur tous les plans. Donc, il n’y pas de métier qui puisse être plus noble et plus valorisant que celui de transmettre le savoir.
Le savoir que nous transmettons aux élèves que vous nous avez confiés est très précieux. On ne se réveille pas un beau matin pour l’avoir. C’est au bout des années de sacrifices, de renoncement, de travail et d’abnégation qu’on l’acquiert. À cela, s’ajoutent les années de formation avant l’exercice du métier. Donc je commencerai par dire que nous méritons plus de considération et de respect de la part des gouvernants et des Sénégalais en général. Je considère toutes les autres professions comme des ramifications ou des finalités de l‘enseignement. C’est l’enseignant qui défriche le jardin, sème la graine, l’arrose et l’entretient jusqu’à ce que cette dernière puisse donner des fruits plus tard. Mon raisonnement pourrait vous sembler banal, mais pourtant fondé et logique. Moi, je ne parlerai même pas des hauts fonctionnaires de l’Etat, mais je vais juste attirer votre attention sur de simples faits palpables qui constituent des injustices dans la fonction publique.
Aujourd’hui avec les nouvelles reformes, l’enseignant le moins gradé a au moins le baccalauréat plus une ou deux années de formation. Dans la fonction publique sénégalaise, la hiérarchie A1 est le sommet de la pyramide des fonctionnaires. Pour l’enseignant c’est l’équivalent de quatre années d’études à l’université et deux ans de formation à l’Ecole Normale Supérieure. Je précise qu’à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, c’est 5 ans à cause du travail du mémoire et des conditions dans lesquelles on le fait. Il y a même des enseignants qui ont le Diplôme d’Etude Approfondies et/ ou le doctorat avant d’embrasser le métier. À côté maintenant, l’on nous dit que le douanier, l’agent des eaux et forets, le policier, pour ne citer que ceux-là, qui, en général ont un niveau d’étude équivalent au BFEM, reçoivent une indemnité de logement supérieure à celle de l’enseignant de la hiérarchie A1. Je m’excuserai de n’avoir pas avancé des chiffres, par respect du caractère tabou du bulletin de salaire au Sénégal. Au nom de quoi pourrait-on justifier cette injustice ?  Il y a également les difficiles conditions de travail dans lesquelles sont bon nombre d’enseignants dans les coins les plus reculés du pays. Par exemple, dans certaines disciplines, il arrive qu’un enseignant se retrouve dans une classe avec une ribambelle d’élèves et ça, personne n’en parle. L’enseignement demeure presque la seule profession dans laquelle on travaille et à l’école et à la maison. Aujourd’hui, bon nombre de parents d’élèves ne font même pas l’effort de s’enquérir de la situation de leurs enfants à l’école. Je me tiendrai à ces quelques facteurs pour donner aux autres la possibilité d’allonger la liste des maux. Juste pour vous dire que ce sont des questions sur lesquelles nos syndicalistes devraient davantage se pencher et mettre l’accent sur la bataille de l’opinion pour ne pas être seuls et incompris par le peuple. Ainsi, nous pourrons tenir tête au gouvernement.
À toute la population sénégalaise, il est vrai que la situation est critique, mais je demande à toutes les personnes qui appellent pendant certaines émissions radiophoniques et télévisées, d’arrêter de proférer des paroles parfois outrageantes à l’endroit des enseignants que nous sommes. D’ailleurs, c’est l’occasion pour tout un chacun, de méditer sur le devenir de l’école publique sénégalaise. Le jusqu’auboutisme des syndicats et l’intransigeance des gouvernants ne mèneront qu’à une impasse aux conséquences néfastes. Pour ma part, je dirais qu’il se pose un problème de communication et de méthode dans les deux camps. Le gouvernement ne doit pas rester insensible à la question des enseignants parce que ces derniers ne demandent pas l’impossible, c’est une question de justice. Les autorités gouvernementales ont le devoir de prendre des mesures qui iront dans le sens d’améliorer les conditions de vie de l’enseignant, vu le travail titanesque abattu par ce dernier. Quant à certains syndicalistes, je dis que le respect ne se décrète pas, mais ça se mérite. Combien sont-ils aujourd’hui à avoir tourné le dos à la légitime et légale revendication des enseignants une fois qu’ils sont nommés à des postes politiques ? La vraie lutte syndicale suppose l’éthique, la morale, le sacrifice et refuse toute forme d’accord compromettant l’intérêt des membres. Le syndicaliste doit également poser des actes qui traduisent des convictions désintéressées pour donner confiance à ses partisans, parfois même être prêt à tout pour la défense de ses idées. Une formation de base pourrait permettre à certains de parfaire leur culture syndicale, par conséquent d’éviter les écarts de langages et les problèmes de communication. J’aurai l’occasion de revenir en détail sur certaines questions, mais pas pour maintenant. Je remercie certains d’entre vous, qui depuis presque une dizaine d’années ont su garder leur dignité. Pendant les pourparlers, j’invite le gouvernement à éviter certaines formes de communication et à se pencher sur les vrais problèmes dans l’espoir de trouver des solutions adéquates à la crise scolaire. Par la même occasion, j’appelle les journalistes à éviter de tendre le micro aux néophytes et aux profanes sur les questions de l’éducation, parce que ces derniers parlent avec passion et vont même parfois jusqu’à insulter les enseignants. Au Sénégal, tout le monde veut être spécialiste sur tous les sujets. Encore une fois, faisons attention à ces genres de comportements.
Toutefois, je continue de lancer un appel à tous mes collègues enseignants de faire montre de sensibilité et de responsabilité pour l’intérêt des élèves qui sont nos enfants, nos frères et sœurs. C’est un cri du cœur.

Signé Gabriel Thior
 
 
Vendredi 24 Avril 2015




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