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Yoro DIA, Journaliste-Politologue : « Ce que je pense du référendum et des hommes politiques sénégalais… Que le OUI ou le NON l’emporte ça n’aura aucun impact sur le système »

Mardi 15 Mars 2016 - 17:42

Le journaliste politologue, Yoro Dia connu pour ses positions de principe et ses analyses pertinentes, décrypte dans cet entretien exclusif qu’il a accordé à Dakaractu, les dessous du référendum du 20 mars 2016. D’une manière tranchée et sans équivoque, il donne une véritable leçon à la classe politique sénégalaise qui continue de maintenir le Sénégal dans une «phase infantile de la démocratie » matérialisée par un perpétuel débat sur la réforme des institutions depuis 1983. Estimant que le Sénégal n’a pas encore une classe politique à la hauteur de notre démocratie, Yoro Dia est plus que jamais convaincu que « le OUI ou le NON l’emporte, ce ne sera pas la révolution et ça n’aura aucun impact sur le système ». Entretien...


La campagne électorale pour le référendum portant sur le projet de réformes constitutionnelles bat son plein. Comment analysez-vous ce débat autour des points proposés par le Président de la République soumis au peuple le 20 mars 2016 ?

Je crois que ce qui se passe au Sénégal est somme toute normal. Il faut pas que les gens sachent que nous sommes en démocratie. Et cette démocratie va avec la polémique, le bruit, le débat, etc. Dans une dictature comme en Gambie, la seule vertu du citoyen c’est le silence. Mais donc puisque nous sommes dans une démocratie, c’est normal qu’il y ait ce bruit, ce brouhaha et ce débat permanent. C’est également normal qu’il y ait des scissions au sein des partis. Au Parti socialiste et dans d’autres partis, c’est normal qu’il y ait encore des désaccords en démocratie parce que c’est ça la musique du référendum. La démocratie fonctionne avec le système du plus représentatif. Maintenant c’est quoi un référendum ?  Un référendum, c’est permettre au Président de la République de s’adresser directement au peuple en contournant les partis politiques. Donc c’est tout à faire normal qu’il y ait autant de passion et autant de débats.

En tant que politologue, journaliste averti, dites alors votre opinion personnelle sur la question ?

J’ai toujours dit qu’au Sénégal un mandat de 7 ans ou un mandat de 5 ans ce n’est pas ce qui est important. Le plus important est que les gens soient d’accord sur les règles du jeu que ce soit 5 ans ou 7 ans pour que plus personne n’y revienne. Parce que si on ne le fait pas ça va être un débat perpétuel sur les institutions. Pour le référendum que le OUI ou le NON l’emporte ce ne sera pas la révolution et ça n’aura aucun impact sur le système. Evidemment pour les carrières politiques personnelles, ça va être des drames ou des accélérateurs de carrière… Je suis de ceux qui pensent maintenant qu’il est urgent que le Sénégal sorte enfin de cette phase infantile de la démocratie. Parce que dans une démocratie, il y a toujours deux phases : la première où les questions essentielles sont relatives à la participation  et le Sénégal en est toujours là et même étant la plus vieille démocratie du continent refuse de sortir de cette phase-là. Nous assistons au même débat depuis 1983 sur les histoires de mandat de 5 ou 7 ans. Nous avons perdu beaucoup de temps depuis lors sur les règles du jeu. C’est ça le grand paradoxe et pourtant notre système est performant et est très bon.  Nous sommes le seul pays au monde capable d’organiser une élection présidentielle, d’élire un Président de la République et de l’installer en une semaine. Nous sommes les seuls capables à le faire. Mieux, nous sommes le seul pays africain où le Président de la République peut s’adresser à la nation et dire que dans une semaine on va aux élections et sans problème. Donc tout cela montre notre niveau de démocratie. Mais malheureusement, j’ai l’impression qu’on n’a pas encore une classe politique qui est à la hauteur de notre démocratie. Souvent quand je donne l’exemple des américains, les gens oublient que finalement le Sénégal a été une démocratie bien avant les Etats-Unis. Parce que quand ces derniers faisaient la guerre de sécession, on faisait des alternances à Rufisque, à Gorée et à Saint-Louis. Mais c’est ça le paradoxe de notre démocratie avec un système efficace, une administration efficace mais nous n’avons pas encore une classe politique à la hauteur. Quand on parle d’Etat de droit, cela signifie que les acteurs sont d’accord sur les règles du jeu sans que personne ne le change. Aussi longtemps  que nous ne réglerons pas ça, nous allons perdre du temps. Aujourd’hui si le NON l’emporte, nous allons encore avoir un autre débat sur le fait qu’on doit ramener le mandat à 5 ans, etc. C’est donc dire qu’il faut que la classe politique tombe d’accord sur les règles du jeu en réglant la question politique. La politique étant une affaire d’élite, la classe politique doit consacrer son énergie à régler les problèmes du pays. Le Sénégal est une exception démocratique, mais la démocratie est devenue une banalité. Maintenant, il nous appartient à nous sénégalais d’être une exception économique et pour y arriver nous devons changer la courbe du débat. Nous devons sortir de cette tentation de réformes perpétuelles des institutions en ce sens qu’il n’y a pas d’institution parfaites. Malheureusement, naïvement la classe politique sénégalaise croit qu’il faut avoir des institutions parfaites. Mais voyons les institutions les plus complexes et les plus compliquées sont les institutions américaines. Aujourd’hui nous sommes en 2016, le processus électoral américain dure presque 6 mois avec le super Thursday, la première de New Hampshire, de l’Ohio etc. C’est ça la démocratie, les institutions deviennent parfaites au fil du temps. C’est comme en Inde où les élections durent un mois. Il faut que nous arrivons à ça en nous disant que nous avons des institutions, qu’elles sont bonnes en ce sens qu’elles ont produit en 12 ans deux alternances présidentielles et plusieurs alternances municipales. Je pense qu’il faut les laisser comme telle et que les gens s’adaptent à ces dernières mais pas l’inverse. Il faut qu’après ce référendum qu’on se dise que la question des institutions est réglée, il faut qu’on passe à autre chose où le débat entre les acteurs politiques va plutôt porter sur l’économique.    



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