Ce n’est certainement pas cela que voulait l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, lorsqu’il avait pris l’option de construire un Grand Théâtre au Sénégal. Ce serait lui faire un mauvais procès que de lui imputer l’utilisation qui est faite actuellement de ce joyau culturel. Il ne voulait pas que ce temple mène une concurrence déloyale au théâtre national Daniel Sorano dont le nom est devenu synonyme de « khawarés » c’est-à-dire de manifestations culturelles sur fond de distribution de billets de banque. Personne ne peut, certes, fermer le Grand théâtre aux artistes puisqu’il leur est dédié, notamment à ceux du quatrième art, mais on pourrait leur interdire certaines pratiques qui sont indignes d’un pays qui tend encore la main aux partenaires extérieurs pour sa survie. Un jeune internaute a sélectionné une série de photos du concert de l’artiste Pape Diouf avant de les poster sur sa page Facebook avec cette mention : « Honte à vous ! ». C’est en effet honteux que de telles pratiques continuent d’avoir cours dans notre pays. Car si des artistes décident de se produire aujourd’hui au Grand Théâtre, ce n’est pas seulement pour y donner du spectacle, mais c’est aussi, hélas pour eux, le moment inespéré de gagner en quelques heures beaucoup d’argent, parfois des dizaines voire des centaines de millions de francs que des gens inconscients viennent leur donner aux yeux de la populace. Ces images de « Samba Linguère » faisant le tour du monde, ceux à quinous tendons la main doivent sans doute se dire que les Sénégalais sont de drôles de types. En effet, pendant qu’ils tendent la main au bon cœur des Occidentaux et des Chinois, voilà qu’ils distribuent de l’argent sur les scènes de leur pays ! J’ai fait le choix de ne jamais couvrir ni écrire sur de telles pratiques au Grand Théâtre qui, pour moi, doit être un lieu d’excellence et de créativité. Pour le moment, la médiocrité s’y est malheureusement installée sans qu’aucune voix, ni des autorités, ni des milieux artistiques, ne s’élève pour dénoncer ces pratiques révoltantes. Cette concurrence que se mènent les artistes pour se produire au Grand Théâtre est abjecte. Aujourd’hui, la popularité d’un chanteur se mesure à l’aune de sa capacité à mobiliser les foules et, singulièrement, à remplir le Grand Théâtre. On se fiche de sa créativité. Et la presse, au lieu de dénoncer de telles pratiques, semble les encourager. Au cours des points de presse précédant ces événements, au lieu de poser des bonnes questions on s’attarde sur des généralités du genre « est-ce que vous êtes capable de faire le plein au Grand théâtre » et autres niaiseries. On feint d’oublier que même devant deux pelés et trois tondus, un artiste, un vrai, doit se donner à fond comme s’il faisait face à un millier de personnes. Y a du voyeurisme quand on voit comment les gens se bousculent pour voir non pas le spectacle des musiciens, mais ces moments dignes des messes païennes où l’on semble être sous l’emprise de la folie. C’est ahurissant de voir un peuple à qui il manque de tout s’amuser avec une telle désinvolture. Les pages de nos périodiques, et aujourd’hui les ondes de la bande Fm et nos télévisions locales, sont souvent occupées par de petites annonces de compatriotes qui peinent à se soigner et qui demandent de l’aide. Des gens au secours desquels nul ne vole tandis que les musiciens, eux, il suffit qu’ils se produisent au Grand Théâtre ou à Sorano pour que les billets de 10.000 francs — voire les euros et les dollars ! — pleuvent sur eux. Il est temps que l’on mette fin à ces pratiques de gaspillage qui ont cours au Grand théâtre. On doit refuser d’en faire un Sorano-bis mais plutôt un creuset d’excellence. Comme exemple de ce qu’il faut faire, on doit s’inspirer des concerts de Ismaël Lô à Sorano pour le compte de l’Alliance Française. Aucun billet de banque n’est offert à l’artiste qui est déjà grassement rémunéré, le public ayant déjà payé son ticket d’entrée pour assister à un spectacle musical de qualité et non pas à une scène de « Yébi » dignede nos cérémonies familiales les plus ostentatoires. La farce, pardon, le jeu a assez duré. Ces images qui nous proviennent du Grand Théâtre restent shocking pour nous tous et autres hôtes qui vivent parmi nous ! Sans compter nos partenaires étrangers qui suivent ce qui se passe chez nous par la magie du Net…
Alassane Seck Guèye
LE TEMOIN N°1147 - HEBDOMADAIRE SENEGALAIS / DECEMBRE 2013
Alassane Seck Guèye
LE TEMOIN N°1147 - HEBDOMADAIRE SENEGALAIS / DECEMBRE 2013
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