SABODALA OU LE REVE KEDOVIN


SABODALA OU LE REVE KEDOVIN
Presque trois ans dans cette bourgade de Kédougou, région à la destinée incertaine et sombre, tracée d’avance par une situation de réelle précarité, région érigée officiellement en localité carcérale, qui manque de tout, donc ne disposant presque de rien, où la misère côtoie le dénuement total, où les populations attendent lamentablement les perspectives d’un avenir qui s’est déjà rétracté. Trois ans  n’ont pas suffi pour percer le mystère kédovin qui s’enracine dans une diversité réfractaire à toute analyse simpliste. Trois ans n’ont pas véritablement suffi pour jauger toute la richesse de cette nouvelle région, une région qui se débat contre toutes sortes de représentations, de croyance et de stigmatisation qui trouvent leur fondement dans une forme de relégation sociale et étatique aussi injuste qu’incompréhensible. Derrière leur mine parfois guerrière et vindicative, les kédovins adossent sereinement et stoïquement leurs habits d’oubliés de la nation.
Si trois ans n’ont pas suffi à tout ça, trois ans ont largement suffi pour percer le rêve kédovin, un rêve ambulant, un rêve ambiant, un rêve merveilleusement orchestré par les rêveurs qui attendent paradoxalement leur réveil pour le vivre et y vivre. Rêve d’or, rêve de l’or ou rêve doré, qu’importe le vocable qu’on choisira, le rêve kédovin trouve son symbole dans ce métal précieux et son point d’ancrage à sabodala, village qui s’étale dans un lit de métal jaune. Ce rêve, profondément ancré dans les habitudes et les attitudes est au fondement de ce « l’auri sacra fames » (faim exécrable de l’or)  et pousse à un nomadisme effréné à la poursuite du filon. Ce rêve, s’il tarde toujours à se réaliser, constitue au moins un calmant dissuasif qui berce encore les espoirs des populations de Kédougou. Comme au temps des conquistadores, les promesses de l’or font rêver plus que l’or véritable.   

LES PROMESSES DE L’OR

Kédougou la complexe, Kédougou la naturelle, Kédougou la démunie, longtemps reléguée au ban de l’histoire nationale, la générosité de la nature établissant un contraste déconcertant avec le niveau de précarité qui explose  tous les records nationaux. Longtemps atterrée comme un animal blessé sur ses flancs, la terre des hommes a brusquement surgi  de sa torpeur pour envisager des lendemains qui chanteront les douces mélodies de la fin du dénuement.
L’or avait promis des emplois qui allaient définitivement sortir les jeunes kédovins de l’engrenage du chômage, de la vacuité infernale d’une vie sans horizon, du temps éternellement vide qu’ils peinent à meubler. Quand l’attente est longue et que la faim de l’avenir persiste, toute promesse est prise comme un moyen d’entrevoir le bout du tunnel. Comme des chiens encagés et séculairement affamés, les jeunes savouraient déjà les promesses de l’or, dégustant déjà les mets succulents d’un avenir radieux qu’on devait  leur servir sur des plats d’or. Ces promesses de l’or ont l’allure d’une revanche contre tous ceux qui avaient participé à leur relégation et qui, du haut de leur haute autorité, avaient oublié qu’eux aussi faisaient partie des enfants de la nation.
Ces promesses de l’or ont provoqué un abandon de l’agriculture, la terre étant aux yeux des kédovins trop aride et ne produisant plus les rendements escomptés. L’enchantement aurifère a éclaboussé toute autre perspective d’enrichissement et de développement personnel.
Les promesses de l’or ont aussi mystifié l’Etat qui a fini d’ériger Kédougou en région. L’or devait participer au renflouement des caisses de l’Etat, vidées par des rapaces à l’appétit vorace, des charognards affamés par des décennies de disette, de traverser du désert chaud et aride de l’opposition.
A ce principe de plaisir des promesses de l’or, devait s’y opposer un principe de réalité têtu, qui a la vie dure parce que changeant les rêves dorés en cauchemars colorés.    

DU PRINCIPE DE PLAISIR AU PRINCIPE DE REALITE

Comme les alchimistes qui faisaient des mélanges improbables de métaux pour justement trouver la pierre philosophale et ainsi transformer le fer en or, comme du temps des conquistadores qui, en 1896 affluaient en milliers aux confins de l’Alaska et du Yukon après l’annonce de la découverte d’un inépuisable gisement aurifère, les promesses de l’or ont déçu les kédovins. L’or n’a absolument rien changé de leur quotidien, il l’a rendu même davantage maussade parce que, tel un supplice de tantale, il leur filait sous les doigts sans qu’ils aient le plaisir d’en savourer les délices. Des sociétés se sont installées à Sabodala, et par le biais de permis d’exploration et d’exploitation octroyés selon des procédures nébuleuses, extraient des tonnes d’or des mines de ce village. La déception kédovine est à la mesure de l’attente et de l’espoir qu’avait suscité l’installation de ces sociétés. La population d’une manière générale rêvait de sabodala comme de l’endroit où leur peine, telle des vagues, venaient s’échouer sur les rives de l’oubli des misères antérieures. Elle rêvait de sabodala comme d’une fille enchanteresse qui attendait langoureusement son mari pour leur nuit de noce. Mais Sabodala, tel un fiancé au dessein obscur, se rétracte et tourne le dos à la douce promise. Le recrutement que les populations attendaient n’a pas suivi. Ah oui ! Les jeunes n’avaient pas assez de diplômes pour être recruté comme cadre. Les recrutements passent par des manœuvres qui ne disent pas leur nom. Les kédovins demeurent des tacherons dans ces fleurons de l’économie régionale. Et le fond social minier ? Elles savent seulement que ce sont des milliards mais elles en ignorent les tenants et les aboutissants.
Constatant que Sabodala ne voulait vraiment pas d’eux, les kédovins ont mis tout leur espoir sur les diouras [[1]]url:#_ftn1 qui avaient même le mérite d’antériorité sur les sociétés minières. Mais ces zones de non droit, retranchées dans des endroits hostiles et d’accès souvent difficiles, sont contrôlés par des étrangers, aventuriers faméliques en poursuite d’un rêve incertain, expérimentés de la quête aurifère qui traquent le métal précieux partout, du mali au Sénégal. Ces étrangers ont installé leur quartier partout, à Sambrambougou, à Douta, à Diabougou, à kharakhéna, à Samécouta. Comme dans les sociétés avec les canadiens, les kédovins sont hors jeu dans les diouras dirigés par les maliens et les burkinabés. La domination et l’expropriation sont au fondement du principe de réalité, réalité maintenant connue et reconnue, acceptée et fortement intériorisée par les populations qui se contentent tristement des miettes de l’or.

DE L’OR A L’ « OREUR »

Non seulement l’or n’a pas tenu ces promesses, mais aussi il a complètement changé la face de Kédougou qui est devenue maintenant, par la grâce aurifère, l’une des régions les plus chères et les moins sûres de Sénégal.
On assiste d’abord à une horreur économique au sens où Viviane Forester entendait ce terme. Si l’or a un mérite, c’est non seulement de faire des promesses non tenues, mais aussi et surtout d’amener le coup de la vie excessivement cher à l’échelle régionale. C’est le paradoxe d’une richesse qui apporte la pauvreté, qui profite à une minorité laissant la majorité croulait dans un dénuement sans nom. Les logements ont explosé, les denrées de première nécessité ont connu une flambée des prix inquiétante et Kédougou est devenue un eldorado des marchands véreux, des baol-baol en quête de nouveaux marchés à même de leur apporter richesse et notoriété. Les populations elles, ne pouvant plus supporter le rythme diabolique des dynamiques négatives et ne sachant plus à quel singe se vouer, font naitre un sentiment de haine de l’étranger qui doit faire craindre et réfléchir.     
La présence d’une horreur morale est tout aussi significative. Elle est plus corrosive, plus destructive parce qu’installant définitivement la région dans le bastion des villes où les maladies sexuelles ont fini par établir leur quartier général. A Kédougou, les auberges naissent comme des champignons, accompagnant la déperdition morale et poussant les plus démunies dans les bras impies et ignobles des voyageurs, des routiers qui, pour se consoler d’une distance sans fin parcourue dans la difficulté, reposent leur charge de fatigue et de peine, dans les seins innocents de jeunes kédovines. A Sabodala, il est à soupçonner une forme de sélection naturelle de jeunes beautés dont la mission officieuse est d’adoucir les rudes et chaudes nuits kédovines de patron dont les épouses sont à des distances de Kédougou.

Kédougou, ville cruelle sous  l’emprise d’aventuriers vils et cruels.

Dans les villages qui abritent les Diouras, on y note des changements inquiétants. Les orpailleurs ont débarqué avec leurs attitudes, leurs habitudes et leur perversité. D’habitude calmes et solitaires, ces villages s’exposent à des conflits qu’ils peinent à gérer. 
L’horrible horreur sécuritaire inquiète à Kédougou. Le sang coule dans les diouras, il se mélange au mercure et au cyanure. Ces lieux damnés sont les seuls endroits où la mort est la bienvenue, où les orpailleurs ont peur et parfois sont inquiets de leur gain si elle déserte longtemps les lieux. La recherche de l’or étant souvent mêlée à la souillure, aux péchés et aux vices, les massacres sont acceptés parce qu’étant parfois le prix à payer pour que l’or continue de tenir les promesses de la richesse. Le sinistre massacre de Dyabougou a fini de montrer le défi sécuritaire à relever dans les diouras. Les braquages font maintenant légion. Parfois dans ces zones désertées par les forces de l’ordre et administrées par les forces du désordre, règne une ambiance macabre de violences et de meurtres.

LE DESENCHANTEMENT DES JEUNES

Les jeunes kédovins, ces désœuvrés sans repères, sans lendemain, sans horizon fixe, sans perspectives définies, sont les plus déçus des promesses aurifères. Ils sont des milliers à vouloir vivre une vie normale, une vie qui à défaut d’être très bonne, est au moins garante d’un minimum vital pour des jeunes qui aspirent à un accomplissement personnel. Etre jeune à Kédougou, perspectives d’un avenir qui se rétracte, tel pourrait être l’intitulé d’un article qui s’appesantirait sur le sort sordide de ces jeunes sans rêves, sans illusions, acceptant une réalité qu’ils jugent irrévocables.
Les rêves d’or sont brisés, les rêves d’école inexistants. La situation scolaire est tellement pitoyable à Kédougou. Des élèves qui nichent dans des abris éternellement provisoires, qui ne sont même que provisoirement dans ces abris, le redoublement, la déperdition, les grossesses précoces caractérisant la situation scolaire kédovine. Les élèves sont soumis à l’enseignement de professeurs et d’enseignants sans motivation et sans présence d’esprit parce que rêvant de quitter cette terre qu’ils jugent hostile et austère. C’est ce système défectueux, géré par un personnel au degré zéro de la motivation qui a produit un désenchantement scolaire et accentué les rêves des jeunes de se construire des perspectives d’avenir doré en dehors de l’école, dans les sociétés minières et les diouras. Face à la hantise de l’avenir, les jeunes kédovins sont doublement déçus et désenchantés. Déçus par la l’impossibilité d’un accomplissement par l’école et d’un épanouissement par l’or.
Les rares jeunes qui s’en sortent, c’est au prix de sacrifices souvent au dessus de leur force. Habitués aux dures privations, certains qui sont recrutés dans les sociétés minières ou qui triment dans les diouras, trouvent du malin plaisir à s’adonner à la beuverie et au sexe, une manière non convenable de rattraper le temps perdu et de dire que « nous savons faire aussi la fête si nous en avons les moyens ». Sur leur moto apache, on les reconnait facilement quand ils débarquent le week-end à Kédougou par leur accoutrement et leurs vitesses infernales. Ils sont les rares privilégiés de l’or chez les jeunes. Les autres les regardent d’un œil envieux. Ce qui aiguise davantage leur mélancolie et leur désenchantement. 
 
ET DEMAIN, LA FIN D’UNE RICHESSE

Si on se promène dans les villages désertés par le filon, on se rend compte de la platitude de l’existence actuelle des populations qui étaient aveuglément soumises au charme de l’or. Les ruelles, d’habitude animées sont maintenant désertes, les hameaux vides, abandonnés par les orpailleurs en quête d’autres lieux où ils pourraient étancher avidement leur soif de l’or. L’or n’est pas une ressource inépuisable et même les sociétés minières ont un horizon déterminé d’exploration et d’exploitation. Dans un contexte où l’agriculture est aux abois, la nature pillée par les effets combinés de la déforestation et de la manipulation de produits nuisibles à l’environnement, la fin de l’or marquera inéluctablement la fin d’une région qui croule déjà sous le poids de la misère sociale. Quand les réserves s’épuiseront, quand le filon traversera la zone et s’engagera vers des milieux extérieurs aux frontières de la région, la terre des hommes sera une terre invivable pour les hommes. La concentration de toutes les énergies sur le métal jaune était tellement démesurée que toutes les voix menant vers un développement régional durable ont été savamment obstruées. Un jour l’or partira avec toutes ses promesses et Kédougou restera avec tous ses problèmes.                                                                              
                                                                         CHEIKH A A GUEYE
 
 
 
Samedi 15 Juin 2013




1.Posté par Tullius Detritus le 15/06/2013 23:11
Cet article stigmatise les aspects sociaux de l'exploitation de l'or de Sabodala. Ce n'est pas reluisant face aux espoirs et aux promesses...

Mais le document qui illustre l'article (il date de 2008) n'est plus d'actualité !

Aujourd'hui, si SABODALA GOLD OPERATIONS S.A. (SGO) semble toujours être la structure de droit sénégalais qui exploite la mine, Sabodala Mining Group a disparu du paysage.

Par une opération de "demerging" effective à fin 2009, MDL (Mineral Deposit Limited) qui était adjudicataire du marché auprès de l'État sénégalais, a transféré toutes ses parts à une nouvelle entité juridique domiciliée au Canada, à Toronto. Son nom ? Teranga Gold Corporation (www.terangagold.com). Son logo ? Une splendide tête de lion stylisée !

Production officielle pour 2012 : 214 310 onces d'or au prix de revient d'exploitation de 627 dollars l'once. Si l'on prend en compte un cours moyen de 1 400 dollars l'once (il était à 1 600 il y a un an), le chiffre d'affaires annuel ressort à 300 millions de dollars, soient près de 148 milliards de FCFA. Quant à la marge par rapport aux coûts de production annoncés aux actionnaires, elle ressort à près de 82 milliards de FCA. C'est une belle affaire !

On peut se poser quelques questions :
Quelles sont les raisons qui ont motivé la création de Teranga Gold à Toronto ?
Qui en sont les actionnaires principaux, en dehors des 10 % offerts gratuitement à l'État du Sénégal ?
Quelle part du gâteau revient au Trésor Public Sénégalais ?

Pourquoi n'en parle-t-on jamais ?

That's all, folks.

2.Posté par Tullius Detritus le 16/06/2013 06:58
Cet article stigmatise les aspects sociaux de l'exploitation de l'or de Sabodala. Ce n'est pas reluisant face aux espoirs et aux promesses...

Mais le document qui illustre l'article (il date de 2008) n'est plus d'actualité !

Aujourd'hui, si SABODALA GOLD OPERATIONS S.A. (SGO) semble toujours être la structure de droit sénégalais qui exploite la mine, Sabodala Mining Group a disparu du paysage.

Par une opération de "demerging" effective à fin 2009, MDL (Mineral Deposit Limited) qui était adjudicataire du marché auprès de l'État sénégalais, a transféré toutes ses parts à une nouvelle entité juridique domiciliée au Canada, à Toronto. Son nom ? Teranga Gold Corporation (www.terangagold.com). Son logo ? Une splendide tête de lion stylisée !

Production officielle pour 2012 : 214 310 onces d'or au prix de revient d'exploitation de 627 dollars l'once. Si l'on prend en compte un cours moyen de 1 400 dollars l'once (il était à 1 600 il y a un an), le chiffre d'affaires annuel ressort à 300 millions de dollars, soient près de 148 milliards de FCFA. Quant à la marge par rapport aux coûts de production annoncés aux actionnaires, elle ressort à près de 82 milliards de FCA. C'est une belle affaire !

On peut se poser quelques questions :
1°) Quelles sont les raisons qui ont motivé la création de Teranga Gold à Toronto ?
2°) Qui en sont les actionnaires principaux, en dehors des 10 % offerts gratuitement à l'État du Sénégal ?
3°) Quelle part du gâteau revient au Trésor Public Sénégalais ?
4°) Pourquoi n'en parle-t-on jamais ?

That's all, folks.



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