Petites misères de l'opposition Sénégalaise


Petites misères de l'opposition Sénégalaise
Pendant longtemps, la Droite française a traîné les railleries et les quolibets, parmi lesquels le titre peu enviable de « droite la plus bête du monde ». L’expression paraît crue, et pour cause. Mais elle n’est pas dénuée de fondement. Parce que de 1974 à 1995, le RPF/RPR a traversé le désert, laissant le pouvoir suprême aux centristes (Giscard) et à la Gauche socialo-mitterrandienne. Or, la géopolitique des années 80 a été du pain béni pour les partis conservateurs d’Europe et d’Amérique. Qu’ils soient proches de la ligne modérée voulue par la Démocratie chrétienne italienne (Aldo Moro, Giulio Andreotti) et la CDU allemande (Helmut Kohl). Ou qu’ils se réclament d’une ligne plus dure incarnée par le tandem anglo-américain (Margaret Thatcher et Ronald Reagan), le curseur était vraiment à droite. Les théories libérales et ultra libérales étaient à la fête. Pour rater un tournant pareil, il aurait fallu que les Michel Debré, Chaban-Delmas, Jacques Chirac s’engluassent dans une animosité sans fond, avec leurs contradictions tenaces, leurs conflits de générations et même pire, leurs « petits meurtres entre amis ». Ils ont été rayés de la carte politique ou presque.
Dans sa situation actuelle, l’opposition sénégalaise n’est guère mieux lotie. Elle est bien partie pour battre le record du monde de la bêtise. Nous ne le disons pas pour manquer de respect à Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, Landing Savané et tant d’autres. Mais justement parce qu’ils n’ont pas fait d’émules ; qu’on ne sent pas leur inspiration derrière cet énorme charivari. Parce que cette opposition est prise au piège de ses propres turpitudes au moment décisif où le régime de Wade accélère sa fuite en avant et multiplie les signes de nervosité. Parce qu’elle s’avance vers une déroute électorale certaine lorsque, comble du paradoxe, la conjoncture politique lui est le plus favorable. Elle enchaîne les incohérences et les gaffes stratégiques lorsqu’en face, un vieux président se montre de plus en plus aveugle – devant l’inquiétude de son peuple – et sourd – aux appels à la raison qui lui viennent de l’intérieur et de l’extérieur. Pour autant, les handicaps de Wade ne sont pas un avantage pour ses opposants. Il y a du bruit et de la fureur. Mais en vérité c’est le statu quo, les lignes ne bougent pas. L’inertie profite à ceux qui sont au pouvoir. Et c’est tout le drame de ce fiasco à la sénégalaise.
Du coup de force D’Abdoulaye Wade et de la riposte brouillonne de l’opposition
Il faut se faire une religion quant à la psychologie du président Wade. Il ne fait rien au hasard. Chez lui, le geste le plus insignifiant relève du calcul politique voire politicien. On peut discuter des ressorts éthiques et moraux de ses actes mais en définitive, il fait de la politique, avec ce que cela suppose de bien et de mal. Ceux qui se dressent en face de lui le savent. Il les a tous roulés dans la farine, d’une façon ou d’une autre. Ils auraient dû savoir très tôt que la batterie de signaux envoyée par le « vieux », depuis sa fracassante déclaration de candidature jusqu’à la validation de cette dernière, ne relevait pas du simple effet d’annonce. Il a habilement profité de l’expiration des mandats de la Juge Mireille Ndiaye et du Pr Kanté au Conseil constitutionnel pour placer des hommes dont la seule trajectoire indiquait qu’ils lui étaient dévoués. Siricondy Diallo, inspecteur général d’Etat rattaché à la Présidence de la république avait fait ses preuves dans l’Affaire des Chantiers de Thiès. Chimère Malick Diouf fut Directeur des Affaires Criminelles et des Grâces, puis Directeur de Cabinet de Cheikh Tidiane Sy Garde des Sceaux : poste de confiance aux côtés d’un important élément du dispositif de confiance d’Abdoulaye Wade. Il est allé chercher un obscur Diakhaté à la Cour d’appel de Dakar, malgré son passé trouble de doyen des juges d’instruction ou de président de la Commission d’instruction de la Haute Cour de justice chargée de liquider Idrissa Seck. Malgré le fait plus alarmant qu’une cuvée de hauts magistrats, brillants et peu « suspects », siégeait dans les juridictions supérieures que sont la Cour de cassation ou la Cour suprême ; et que le moins prometteur d’entre eux pouvait faire le job. Les dés étaient pipés. Les jeux étaient faits ! Mohamed Sonko et Isaac Yankhoba Ndiaye pouvaient servir de faire-valoir.
Cependant, le scandale réside moins dans la capacité d’Abdoulaye Wade à dérouler son plan machiavélique que dans la mollesse affichée par l’opposition. Elle aurait dû être plus combative, comme lorsque sous Abdou Diouf, elle avait poussé le Général Amadou Abdoulaye Dieng à démissionner de la présidence de l’ONEL (avec un certain Me Wade dans ses rangs). Ou lorsqu’elle avait imposé à la tête du Ministère de l’Intérieur, chargé des élections, un homme consensuel de la trempe du Général Lamine Cissé. Il n’en fut rien ! Non seulement cette opposition a été inconséquente, timorée, mais elle s’est résolue à sous-traiter son combat auprès des Assises Nationales ; auprès de simples citoyens comme le « droit-de-l’hommiste » Alioune Tine, les journalistes Abdou Latif Coulibaly, Sidy Lamine Niasse, Souleymane Jules Diop, le très pertinent inspecteur de l’Education à la retraite Mody Niang ou encore les jeunes rappeurs de « Y’en a marre ». Cela s’assimile à une opposition par procuration, d’autant plus incompréhensible qu’elle est portée par des hommes politiques à l’avant-garde du «yengou-yengueul», l’activisme fiévreux des années de clandestinité. Cette frange de l’opposition a perdu son temps et une partie de son crédit à se chercher une hypothétique « candidature de l’unité et du rassemblement » lors même que tout le monde savait qu’elle ne déboucherait sur rien, sinon une impasse. Le défi reviendrait presque à se demander ce que l’opposition aura fait de bien dans ce pays depuis une décennie ? Y aurait-il une seule initiative de sa part qui ait marqué notre quotidien? Bien au contraire, elle s’est perdue dans des formes de pensée et d’actions irrationnelles, au grand étonnement des Sénégalais.
Abdoulaye Wade et ses proches sont aux abois. Ils se sont enfermés dans une logique d’escalade très dangereuse. Leurs discours enflammés rappellent les diatribes creuses et faussement souverainistes de Laurent Gbagbo et ses ultras. A la seule différence que le « boulanger d’Abidjan » avait en face de lui une opposition sereine et méticuleusement organisée. Tout le contraire de son homologue sénégalais chez qui le premier quidam se rêve en messie, en déni total de ses forces réelles. Voilà que cette opposition est en passe de reproduire le schéma camerounais qui en l’espèce est la parfaite incarnation de ce qu’il ne faut pas faire. Pour rappel, sur les 16 candidats en lice aux Présidentielles de 2011, les douze n’ont pu atteindre le seuil minimal de 1%. L’opposition dite significative des John Fru Ndi (17,4%), Adamou Ndam (4,47%) et Hadj Garga (3,73%) n’a jamais pu rendre son message audible dans ce florilège de candidatures. Son incapacité à s’unir et à proposer une alternative sérieuse au peuple avait fait le bonheur de Paul Biya (70,92%) qui pourtant n’était pas au mieux de sa popularité. Wade n’en espère pas moins. Dans l’état actuel des choses, il a un boulevard en face de lui. Ses challengers ne peuvent espérer mieux qu’une déculottée plus humiliante qu’en 2007. A moins qu’ils ne réagissent rapidement.
De l’obligation de rachat à l’obligation de victoire
S’il est une chose dont nos opposants doivent se convaincre, c’est qu’Abdoulaye Wade ira aux élections contre vents et marées. Parce qu’il est allé trop loin dans son équipée solitaire pour rebrousser chemin aussi facilement et rendre gorge. Cela n’est pas envisageable. Cela n’est pas digne du vieux chef de guerre qu’il est. Il lui manquerait cette gloriole qui le ferait grimper à l’Olympe des génies de ce monde.
Dans cette logique infernale, il ne reculera devant rien, même le subterfuge le plus inimaginable, pour gagner son pari insensé. Quitte à démissionner le lendemain de son investiture. Dès lors, ceux qui continuent de s’opposer à sa candidature se trompent de bataille. Celle-là est perdue depuis longtemps, depuis la composition du Conseil constitutionnel. Mais peu importe. L’essentiel est de gagner la guerre. Une guerre qui promet d’être âpre, une guerre de tranchées. Dans sa conduite, l’opposition ne devrait pas se montrer moins déterminée que son adversaire de 87 ans. Une détermination qui n’a cependant rien à voir avec le dogmatisme aveugle qui lui-même est une autre manifestation de la fuite en avant. Le combat du M23 est dans cette logique-là. Il pouvait être concevable dans la bataille contre la recevabilité de la candidature de Wade. Il pourrait encore l’être dans l’hypothèse d’une confiscation du suffrage des sénégalais. Seulement, la campagne électorale a ouvert une nouvelle séquence politique qu’il faut aborder avec des stratégies politiques traditionnelles. C’est le moment de battre campagne et de s’adresser au peuple. Il faut le faire dans un langage clair avec un programme bien ficelé. Quel intérêt les marches de protestation peuvent-elles avoir lorsque tous les moyens vous sont offerts pour vous adresser directement au peuple ? Faire partir Wade est une chose. C’est même une œuvre de salubrité publique. Mais en soi, elle n’est pas suffisante pour pallier tout un programme politique. Autrement, l’opposition ne ferait que reprendre à son compte l’arnaque déjà éprouvée d’Abdoulaye Wade en 2000. Il disait que son programme c’était lui-même. Mais en vérité il n’en avait point. La preuve !
L’arnaque ou la cécité de l’opposition serait de continuer d’agiter l’épouvantail du M23. Ce qui reviendrait à se suicider aux yeux d’une opinion publique douchée par le discours réfrigérant des deux principales confréries maraboutiques. Pour elle, il n’y a pas de salut en dehors du discours politique. Il lui faut battre campagne ou disparaître. Cela n’empêche pas que de leur côté, la société civile et Alioune Tine continuent leur travail de sape. Ou que le « Y’en a marre » se propage dans le pays tout entier, avec son propre label qui est déjà très bien perçu des jeunes. Lorsque ces conditions seront réunies, l’opposition pourrait se consacrer à son travail de restructuration qui doit forcément s’adapter à la conjoncture présente. Elle se doit de surmonter les chocs d’ambition qui la minent depuis le début pour donner des gages de confiance et de patriotisme au peuple. Le peuple sénégalais qui nourrissait de grands espoirs pour le Benno n’a jamais compris les raisons du « Tassaroo ». Tanor, Niasse, Idrissa Seck, Macky, Gadio, Ibrahima Fall et Cheikh Bamba Dièye ont demandé à ce peuple de se soulever pour défendre sa Constitution. Beaucoup ont répondu à ce noble appel ; certains y ont laissé la vie. En retour, ce peuple les supplie de sacrifier leurs ambitions personnelles à la meilleure stratégie susceptible de battre Abdoulaye Wade et d’éviter le naufrage à notre pays. Non seulement le peuple appréciera cette généreuse attitude, qui est une expression achevée de patriotisme, mais il l’appuiera de toutes ses forces. La propagande wadienne serait déstabilisée. Les attaques des Libéraux contre les divisions de l’opposition n’auraient plus d’effet. Leur candidat risquerait fort de ne pas se retrouver au second tour. Et qu’en tout état de cause il serait balayé par un deuxième scrutin. Pour qui sonne le glas ?
En définitive, cette analyse n’a rien d’exceptionnel. Elle relève du seul bon sens. Nos candidats à la présidence devaient être les premiers à s’en rendre compte. Si pour une fois, ils arrêtaient de se regarder le nombril. Abdoulaye est impopulaire et affaibli mais les divisions de l’opposition seraient pour lui une aubaine inespérée. Il les exploitera jusqu’au bout parce qu’il y va de sa propre survie. Quant aux cavaliers solitaires, nous leur rappelons la supplique des pèlerins d’Emmaüs. La nuit les avait surpris en chemin. Voici ce qu’ils disaient : « il se fait tard, le danger est à nos côtés, restons ensemble ». Notre danger à nous est bien réel. Il a un visage et un nom : Abdoulaye Wade. Vos chevauchées solitaires vous mènent droit dans son camp. Ce serait de la haute trahison. Et les peuples ont souvent la rancune tenace. Djibo Ka en sait quelque chose.

Samba Kandji/ Rouen

Jeudi 9 Février 2012
Samba Kandji




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