PATRIMOINE CULTUREL MOBILIER ET DEVELOPPEMENT NATIONAL


PATRIMOINE CULTUREL MOBILIER ET DEVELOPPEMENT NATIONAL
Identification du patrimoine culturel mobilier.
Parmi les composantes du patrimoine culturel matériel, le patrimoine mobilier occupe une place importante. Car il s’agit de l’ensemble des objets déplaçables que l’homme produit sur une durée déterminée, pour améliorer les commodités offertes par son environnement. C’est ce que l’ethnologue et muséologue suisse Jean GABUS appelle « l’objet – témoin », parce que celui – ci rend compte à la fois d’une aspiration, d’un savoir et d’un savoir – faire. L’aspiration vise le règlement d’un problème de vie. Le savoir en indique une hypothèse de solution. Le savoir – faire en propose la concrétisation formelle et esthétique. Le niveau de partage de son usage dans le temps et dans l’espace lui confère ou non un statut de valeur – refuge. Cependant, si la formulation d’une hypothèse de solution est généralement le fait d’une individualité créative, la légitimité du statut de valeur – refuge relève nécessairement de la communauté assortie de ses extensions et interactions. Donc, les populations se trouvent directement concernées.

Ainsi, les exemples de patrimoine culturel mobilier sont à la portée de tout être humain : près du corps, c’est le vêtement, le bijou, la coiffure, la chaussure, l’armure, l’amulette; A l’intérieur de l’habitation ou de tout autre espace similaire, se trouvent le mobilier, l’ustensile, l’instrument, l’attribut de pouvoir, le bibelot. Il ne faut oublier ni porte ni fenêtre encore moins leurs clefs. Les portes sculptées des greniers des dogon sont prisées par les collectionneurs d’art surtout pour leurs clefs. Au Sénégal, ce que les wolof appellent « thiaabi – laobé » (Clef de bûcheron Laobé) est une forme si efficace pour la sécurité, qu’elle est bien présente de nos jours même en milieu urbain. A l’extérieur de l’espace habitable, se déploie la gamme des outils de travail de l’homme et de certains animaux domestiques; N’oublions pas les instruments cultuels et culturels, encore moins les véhicules de transport.

Le renouvellement des formes dans le renforcement de l’identité nationale.
Ce patrimoine mobilier, que nous manipulons avec plus ou moins d’habileté, remplit notre quotidien, nous parle sans cesse et sollicite de notre part, pour leur survie, un regard et une sensibilité. Le patrimoine culturel mobilier porte aussi les repères de notre propre histoire. Mieux, de notre identité culturelle nationale du moment. En effet, des liens étroits existent entre d’une part, la nature et la fonction des objets et d’autre part les savoirs – faire traditionnels et contemporains qui leur ont donné naissance et qui leur insuffle parfois une vie nouvelle. Leurs formes doivent être sans cesse renouvelées grâce aux designers, artistes des métiers d’art et aux artisans. De même, leurs métiers font d’eux des agents économiques de premier ordre.

Depuis 1993, l’Etat du Sénégal s’est mis à la recherche justement d’une meilleure implication dans le développement économique et social des acteurs des métiers d’art, face à l’avalanche, au détriment de notre balance commerciale, d’objets importés dont nous ne maîtrisons ni les formes, ni la qualité, ni l’identité culturelle encore moins la force économique de pénétration de notre société. C’est alors que des investigations persévérantes ont débouché sur la création du Projet du Mobilier national placé sous la tutelle technique du ministère de la culture et la tutelle financière du ministère de l’Economie et des Finances.

Avec le Projet du Mobilier national, l’Etat donne l’exemple.
En effet, devant donner l’exemple, l’Etat a décidé de faire confectionner par des Sénégalais et d’autres Africains, les meubles destinés à l’Administration sénégalaise, selon des normes fixées en tenant compte par exemple, autant de la fonctionnalité, de l’ergonomie, de la reproductibilité, des matière premières locales, du choix des accessoires, que des formes renvoyant à notre identité culturelle, à la symbolique nationale et à notre environnement physique. Aujourdhui, des prototypes dessinés par nos designers et fabriqués par nos entreprises les plus réputées existent et ne demandent qu’à être reproduits et affectés aux services nationaux. Mais cet exemple que l’Etat tenait à donner, grâce à la commande publique, visait surtout un effet d’entrainement incitant les Sénégalais à se doter, selon leurs besoins, d’un patrimoine mobilier domestique non importé, porteur de leur identité propre et qui se renouvelle selon leur créativité qui fait leur réputation. Nos artistes et nos artisans leurs proposent au quotidien des objets de qualité qui interpellent leur sensibilité.

Voilà ce qui nécessite de porter un regard particulier sur les enjeux et les perspectives du patrimoine culturel mobilier dans son ensemble, dès lors qu’il s’agit de développement national. Et ce regard fonde les préoccupations portant sur les stratégies de sauvegarde à travers les étapes que sont l’identification, la préservation, la mise en valeur, l’animation, voir le renouvellement.

L’enjeu culturel
Si l’on admet que la mémoire des peuples est une marque indélébile de leurs identités, les objets fabriqués au sein d'une communauté donnée portent la dynamique des idées et des sentiments des hommes et des femmes qui les ont conçus et réalisés. Il en est de même, pour ceux qui en sont les usagers et parfois les commanditaires sinon les inspirateurs, l’enjeu étant la cohérence conceptuelle induite par le mode de vie des hommes et des femmes de la communauté. C’est un enjeu de civilisation, en étroite relation avec les modes de penser et de sentir donc d’agir même sur un simple objet. L’enjeu de civilisation provient de l’enjeu de culture. Par exemple, des éléments du Projet du Mobilier national, une fois affectés dans nos représentations diplomatiques, seront de véritables « ambassadeurs » de notre identité nationale.

L’enjeu économique et environnemental
L’origine de l’objet, c’est aussi celle de ses matières et de ses formes, l’accessibilité des premières pouvant contribuer à l’originalité des dernières. Si bien que la production d’un objet de fabrication locale, avec des matières d’œuvre locales, est non seulement plus rentable économiquement, mais elle est davantage à la portée d’un savoir – faire transmis d’une génération à une autre. En outre, la consommation d’un objet fabriqué localement, par ceux là même qui ont suscité sa naissance relève d’une double cohérence culturelle et économique, donc de développement. Et si l’Etat du Sénégal décidait la restriction partielle ou totale de l’importation de mobiliers de bureau et d’appartement ? Sans doute des niches d’emplois et de formation professionnelle se révéleraient en même temps que des possibilités de réduction importante de la sortie des devises.

Les menaces contre le patrimoine mobilier
Nous savons que la fragilité des matériaux de fabrication des objets est déjà une menace de leur disparition. Nous savons également, que face à certains besoins immédiats des populations, les produits industriels peuvent se montrer plus efficaces du point de vue des prix et des matériaux de fabrication. Mais les objets, qui sont des produits des savoirs – faire locaux, doivent – ils pour autant continuer de sombrer dans un silence qui les prive de leurs fonctions sociales et environnementales? A l’instar des instruments de musique de fabrication locale, ces objets doivent – ils cesser de nous parler et de nous transmettre les formes destinées à notre sensibilité ? Cette double menace qui guette à la fois les objets et les rapports que la communauté entretient avec les savoirs des anciens, mériterait un sursaut organisé des populations, conformément aux programmes de sensibilisation au patrimoine culturel mobilier mis en place ou à mettre en place par le mouvement associatif, les collectivités locales, le gouvernement et les institutions internationales comme l’Unesco.

Le rôle des musées
Les musées, là où ils existent, jouent un rôle pionnier déjà ancien. En général, les collections issues d’inventaires techniques et scientifiques ont pris en compte des séries entières d’objets pleins d’enseignements sur l’histoire et le vécu des populations. Cependant, une question se pose. La fonction muséale devrait – elle laisser altérer la vie de l’objet resté dans sa communauté d’origine ? De même, un programme scientifique d’identification et de documentation, ne devrait – il pas encadrer la volonté de préservation du patrimoine culturel mobilier local? Un programme d’animation et de mise en valeur, avec l’appui des détenteurs locaux de savoir et de savoir – faire, ne serait – il pas d’un apport certain à une réappropriation d’un patrimoine régulièrement bousculé par les produits industriels diffusés à grande échelle et culturellement pauvres ? Des initiatives comme le Projet du Mobilier national, de festival d’arts et de traditions, de l’agenda culturel national, seraient de nature à favoriser la mobilisation des populations autour de la réactivation et de la préservation de leur patrimoine culturel dans ses divers aspects.

Là où le musée n’existe pas, l’expertise d’un musée existant ou d’une institution de recherche devrait pouvoir accompagner des initiatives locales de sensibilisation et de documentation des patrimoines culturels mobiliers, selon les options et les priorités des porteurs de projets. Des partenariats avec les milieux scolaires, associatifs et professionnels devraient être recherchés. Cependant, il ne serait pas question d’enfermer la préservation des objets dans le seul critère de l’ancienneté. Le génie créateur, surtout dans un contexte de survie, est capable de résistance, d’adaptation et d’innovation. Dans une ville comme Dakar, le marché du jouet fabriqué à partir de fil de fer, de canettes de boisson ou de boîte de conserve, en offre une illustration éloquente. D’où l’importance de la promotion des métiers d’art ou de l’artisanat d’art.

La promotion des métiers d’art ou de l’artisanat d’art.
La promotion des métiers d’art ou de l’artisanat d’art est sans doute l’un des principaux leviers dans la volonté de sauvegarde et de renforcement des savoir – faire, au bénéfice de la qualité des produits. Avec une telle attention, la créativité des artisans et des artistes sera plus disposée au renouvellement, au profit de la cohérence culturelle des populations. Comme il est possible de le constater, le champ d’action est bien vaste, si l’on se réfère à tous les métiers impliqués dans la conception et la réalisation des objets, leur fabrication étant liées à la transformation des matières d’œuvre comme le cuir, l’argile, le bois, le métal, le textile, etc.

Dès lors se dessine l’échiquier sur lequel peuvent jouer les institutions et les collectivités locales comme les acteurs partenaires en faveur du patrimoine mobilier national. En guise d’exemple, quelle place les autorités nationales et locales ainsi que leurs partenaires, dans leur environnement domestique et professionnel, accordent – elles aux objets de fabrication locale? La réponse à la question, permettra sans doute de mesurer le chemin à parcourir en faveur de la préservation économique, par le renouvellement des formes artistiques et artisanales du patrimoine culturel mobilier national. Le projet du Mobilier national initié par l’Etat, en offre une illustration exemplaire.

Alioune BADIANE
Ancien Coordonnateur
du Projet du Mobilier national
Lundi 15 Juillet 2013




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