Si on juxtapose la fameuse phrase de Hillary Clinton, “it takes a village to educate a child”, empruntée d’ailleurs d’un proverbe africain, plus précisément Nigérien, et le dicton Wolof “ Boo baaxee doomu ňëp ŋa, soo bonnee sa yay rekka la jur” (bien éduqué, tu es l’enfant de tout le monde, mal éduqué tu n’es l’enfant que de ta mère), on voit non seulement l’importance du leadership dans l’éducation de l’enfant mais aussi les conséquences dramatiques qui découlent de son échec, chez l’enfant mais aussi chez ses parents immédiats.
Cette importance est aussi bien au niveau du comportement des adultes comme modèles qu’aux expériences mises à la disposition de l’enfant pour son apprentissage du leadership. Cet article va s’appesantir exclusivement sur les expériences mises à la disposition de l’enfant pour apprendre le leadership.
Les deux principes pédagogiques discutés dans la totalité de l’article sont: une ‘de-romantisation’ du concept de leadership (pour emprunter ce néologisme) et une meilleure appropriation du constructivisme comme pédagogie active. L’article est ainsi divisé en deux parties. Une première partie consacrée à l’introduction et au premier principe; une deuxième, consacrée au deuxième principe et aux implications comme conclusion sur le leadership.
Introduction
Pendant longtemps, les théories des traits de personnalité des grands hommes ou «Théories des grands hommes» ont caractérisé la notion de leadership, même si elles ne reflètent pas toute la réalité et sont très restrictives par rapport à l’éducation des enfants.
Peter Northouse (2004) définit le leadership comme étant un processus d’influence sur les autres en groupe pour la réalisation d’objectifs organisationnels. Cette définition met en exergue l’influence exercée sur les autres, caractéristique de beaucoup de définitions sur le leadership, et montre ainsi que le concept n’est pas figé. Cependant, tel qu’elle est, elle semble incomplète. Car ce qui est mis en exergue ici comme processus, c’est cette influence et non les connaissances nécessaires pour l’exercer. Elle ne reflète pas que le leadership soit surtout enraciné dans des connaissances acquises.
L’idée centrale des « Théories des grands hommes» telle que l’ont décriés les théoriciens et praticiens modernes du leadership est que, les gens réussissaient plus à cause de leur traits de caractères ou dispositions personnels et moins à cause de leurs efforts et compétences. Elles se sont surtout appesanties sur des traits de caractères comme le courage, la générosité, la persistance, l’intelligence, comme caractéristiques plus ou moins innées ou héritées d’un bon leader. Ainsi ces théories faisaient qu’on idéalisait des hommes au point de leur prêter des qualités sentimentales ou surhumaines. Il était conçu donc que le leadership était quelque chose qui sortait de l’ordinaire et était attribué à une catégorie d’individus destinés à diriger les autres.
C’est ainsi, qu’on à l’habitude de faire des projections sur nos leaders comme des messies en leur attribuant des qualités que nous croyons ne pas posséder et que nous assumons qu’ils possèdent. Ces projections font aussi qu’on semble choisir nos leaders plus, selon ce qu’on rêve de voir que sur ce qui est réellement possible qu’ils puissent faire.
Après les années 1940, la recherche a montré qu’en réalité, ces traits de caractères et cette idéalisation qu’on faisait des leaders ne constituent pas tout, ni l’essentiel de ce qu’est le leadership. D’abord, parce que ces traits de caractères ne concernent qu’un groupe particulier d’hommes et semblent exclure d’autres qui, pourtant dans d’autres circonstances, peuvent bien faire preuve de ces traits. Ensuite, même si ces traits se retrouvent chez les leaders, il est difficile de les trouver tous chez le même individu. Aussi, quand ils sont présents chez l’individu, ils sont essentiellement le résultat d’apprentissages. Enfin, ces traits de personnalité ne sont vrais que dans une situation précise, c'est-à-dire qu’un leader peut l’être dans un contexte et ne pas l’être dans un autre. Il peut aussi être un leader par rapport à ce qu’il fait mais aussi par rapport à ce qu’il ne fait pas (Zalh, 2004; Elmore, 2000).
A partir de ce moment, les chercheurs mettent l’accent plus sur les processus et les acquis que le leadership induit chez l’individu plutôt que sur l’inné, le destin, ou l’idéalisation qu’on fait de lui. Ils montrent alors que le leadership est soutenu par des facteurs beaucoup plus complexes et variés comme les habiletés cognitives, la motivation, les valeurs, l’expertise et surtout la capacité à résoudre des problèmes (nous reviendrons sur ce dernier élément) (Zaccaro, 2007).
Malgré ces découvertes, ce sentiment d’inné et d’exceptionnalité du leader persiste dans la conscience populaire et explique dans le domaine politique, par exemple, que certains leaders, continuent de croire qu’ils possèdent des habiletés que personne d’autre ne possède et qu’ils peuvent s’agripper au pouvoir même s’ils sont clairement désavoués par les populations qui les avaient choisi. Inversement, on voit aussi des populations se résigner à un soit disant ‘volonté divine’ en se disant d’un leader qu’elles n’apprécient pourtant plus, que « c’est Dieu qui l’a mis là et qu’il partira quand Dieu le voudra », ignorant ainsi leur responsabilité et les efforts qu’ils peuvent fournir pour changer la situation. Ce raisonnement spirituel fait aussi que des populations essaient de justifier les mauvaises actions d’un leader clairement en violation avec leurs attentes de peur d’être à l’encontre de cette ‘volonté’ de Dieu.
Pour emprunter l’’idée d’Elmore (2000) alors, le leadership doit être ‘de-romantiser’ pour le rendre accessible à tout le monde, c'est-à-dire qu’il doit être détaché de tout sentiment de subjectivité, d’idéalisation et d’imagination liés à des considérations individuelles pour mettre l’accent sur l’apprentissage ouvert à tous le monde qui y mettra les efforts et sacrifices nécessaires. Ainsi, le leadership est au service de l’égalité des chances et œuvre pour la démocratie, les connaissances et les compétences.
Cette mise en relief est valable dans tous les secteurs de la vie pour construire une société juste et démocratique, mais elle est surtout importante dans le domaine de l’éducation où le but principal est d’influencer des apprenants à acquérir les connaissances et compétences qui leur permettrons d’être des citoyens productifs de la société et de futurs leaders.
Ainsi, le leadership est à la portée de tout individu qui met les efforts et sacrifices nécessaires en matière de connaissances et de compétences. Des adages Wolofs comme «Ku son jariňu» ou «cono du rër borom» mettent l’accent sur ce sens de l’effort et du sacrifice qui soutiennent toute réussite aussi bien pour l’enfant par rapport à sa propre éducation, pour ses parents immédiats, qu’au reste de son village. L’un des principes pédagogiques donc discutés dans cet article est que le leadership est essentiellement un apprentissage et nécessite qu’on le ‘de-romantise’ afin de mieux le mettre à la portée des enfants.
Cependant, si l’effort est nécessaire dans toute réussite, il est aussi lié fondamentalement à d’autres dispositions psychologiques comme le sens de l’intérêt et de la propriété privée que l’individu perçoit dans son effort et qui l’encourage à le fournir parce qu’il s’attend à une récompense à la fin. Cette récompense extérieure (l’acquisition d’un matériel) ou intérieure (un simple sens d’accomplissement ou de fierté) est présente dans tout effort humain. La recherche sur la motivation et la théorie des besoins de l’homme (Maslow, 1962) en témoignent amplement. La recherche sur la motivation des élèves, par exemple, a montré que l’effort que l’élève fournit sur une tâche est très lié à la récompense qu’il perçoit à la fin de cette tâche: soit une bonne note, soit une reconnaissance de la part de ses parents ou paires, soit simplement un sens d’accomplissement et de fierté (Feather, 1969; Tollefson (2000).
Sans pour autant faire la propagande du libéralisme ou de la propriété privée, il y a donc un sentiment humain qui fait que, ce qui ne nous appartient pas ou sur quoi on ne se retrouve pas, tant soit peu, ne nous motive pas à faire des efforts pour le développer ou le protéger. «Loo moomul dothie soneu». L’effort humain est foncièrement de nature égoïste. Dans toute entreprise humaine, même dans le domaine des apprentissages et du développement humain, ce sentiment d’intérêt et de ‘propriété’ dans l’objet de notre effort est sine qua none pour fournir des sacrifices.
Cette réalité introduit ainsi le deuxième principe pédagogique sur le quel repose cet article. Ce principe souligne que, dans le domaine de l’éducation, le constructivisme comme pédagogie active, en cultivant un sentiment d’intérêt et de propriété privée chez l’enfant par rapport à ses apprentissages et son sens de leadership, mérite d’être plus utiliser dans les écoles sénégalaises.
Pour une ‘de-romantisation’ du concept de leadership
De-romantiser le concept de leadership en milieu scolaire signifie donc s’appesantir aux yeux des enfants sur l’idée du leadership comme étant un ensemble de connaissances et compétences issues d’un travail dur, consistant, et discipliné ouvert à tout le monde. Le leadership est donc construit et n’est pas donné ipso facto. Il est le résultat d’un travail qui commence dés le bas âge pour se culminer dans l’âge adulte. L’école devient la place idéale pour s’appesantir sur cette construction.
En fait, la ‘romantisation’ du concept de leadership qui est un terme Anglo-Saxon, est conforme à la tradition américaine du culte de l’exceptionnalisme qui a fait que, pendant longtemps, les Etats Unis se sont vus implicitement comme le peuple élu, ‘the shinning city on the hill’ destinés à diriger les autres nations (Lipset, 1997). Mais, au moment ou d’autres puissances sont en train d’émerger et constituent une menace réelle surtout sur le plan économique et militaire (le cas de la Chine, la Corée du Sud, l’Inde, etc.), on ne peut qu’insister sur la valeur du travail et de la discipline dans le processus de construction du leadership.
Cette idée de ‘de-romantisation’ est important dans la société sénégalaise actuelle ou l’apparence, le désir de réussir à tout prix, et le charlatanisme est de plus en plus la norme. Rappelons-nous, par exemple, du match Sénégal-Côte d’ Ivoire en coupe d’Afrique 2012, avec le comportement peu exemplaire de certains de nos jeunes compatriotes qui interrompirent le match à la 76eme minute avec violence, alors que la Côte d’ Ivoire menait 2-0. Ils s’attendaient à la victoire et à être des leaders dans le football africain même si leur performance laissait à désirer.
Beaucoup de problèmes qui alimentent nos medias, de nos jours, peuvent aussi être lié à des problèmes de leadership majeurs: le système éducatif qui ne cesse de se détériorer, l’accumulation de biens acquis sur le dos des populations appauvries, la dégradation des mœurs qui semblent dominer les programmes de radios et de télévisions, etc. Pendant que ces problèmes exigent des solutions immédiates (de restructurations, de condamnations morales et pénales, et de restitutions de deniers publics), pour préparer les générations futures, le leadership doit être partie intégrante et explicite des programmes scolaires et non pas seulement implicite des disciplines traditionnelles.
Cette partie du curriculum doit surtout mettre l’accent sur les principes et exigences du leadership. Au delà du principe fondamental sur lequel repose cette partie de l’article qui est que le leadership est essentiellement un apprentissage, un autre principe et exigence est que le leadership est, avant tout, une urgence de résolution de problèmes. Sans problèmes à résoudre, le leadership n’a pas sa raison d’être. Cette partie du curriculum doit donc montrer aux enfants que, même si l’ascension à un rôle de leader, après beaucoup d’efforts et de sacrifices dans son éducation, est un signe de réussite (ne serait ce que la confiance obtenue de ses paires), il n’en demeure pas moins qu’une fois à cette position, la capacité à résoudre les problèmes du groupe, et non l’accumulation de richesses et de privilèges, est le seul critère du succès.
Cette capacité à résoudre des problèmes est apparemment un grand handicap chez les élèves du cours moyen dans la région de Dakar, selon un rapport récemment publié par le Laboratoire de Recherche sur les Transformations Economiques et Sociales (LARTES). Alors que la région de Dakar absorbe plus de 50% des ressources éducatives du pays, on ne peut que s’interroger sur ce qui se passe dans les autres régions.
Un autre principe et exigence du leadership est que cette urgence à résoudre les problèmes du groupe doit s’accompagner d’une vision claire inspirée des valeurs du groupe. Comme disait un grand penseur du leadership, «l’insatisfaction et le découragement ne sont pas causés par une absence de réalisations mais une absence de vision». La vision donne l’impulsion de s’approprier l’image de la réussite même si cette réussite tarde à venir. Ainsi, si la résolution de problèmes est la raison d’être et l’objectif principal du leadership, une vision claire en est à la fois sa locomotive et sa destination. Cette vision doit être exaltante et une source d’inspiration pour tout le groupe. C’est pour cela, les grandes lignes du partie du curriculum proposé ici doit d’abord établir une vision claire sur le genre d’école et de citoyen à former.
Ensuite, elle doit présenter aux enfants des problèmes typiques de leadership qui leurs sont familiers, allant d’anecdotes familiales à des situations d’ordres publics. Ces cas d’études permettront aux élèves de s’imprégner des problèmes de leur environnement et de réfléchir pour proposer des solutions. Ils permettront aussi aux enfants de connaître un peu les différentes pressions sociales qui peuvent pousser certains leaders à trahir le projet de leur groupe: pressions sociales comme le clientélisme ou le népotisme, l’accumulation automatique de biens, et une allégeance matérielle aveugle aux marabouts aux dépens du peuple.
Les structures scolaires mises en place pour encadrer le leadership des enfants jouent aussi un rôle crucial. Ces structures jadis limitées, pour la plus part, à des activités extracurriculaires comme le nettoyage et la maintenance des écoles, le sport, etc., doivent être étendues à de réelles opportunités pour les élèves de jouer d’autres rôles de leadership pendant l’année scolaire. Ces jeux de rôles comme ceux d’élève-enseignant, d’élève-directeur d’école, d’élève-sénateur ou de leader d’un parti politique, peuvent s’accompagnés de visites périodiques de consultation et de veille à des leaders locaux et gouvernementaux suivant les dispositions et besoins de chaque établissement.
On ne peut pas cependant apprendre à l’enfant comment être un bon leader s’il n’est pas d’abord considéré comme l’élément central dans cet apprentissage. Pour cela, comment le constructivisme comme pédagogie active donne à l’enfant un sens du leadership en le mettant au cœur de son apprentissage, et les implications générales, seront abordées dans la deuxième partie de cet article.
Dr. Seynabou Diop
Spécialisée dans les Sciences de l’Education
Ndiop24@gmail.com
Cette importance est aussi bien au niveau du comportement des adultes comme modèles qu’aux expériences mises à la disposition de l’enfant pour son apprentissage du leadership. Cet article va s’appesantir exclusivement sur les expériences mises à la disposition de l’enfant pour apprendre le leadership.
Les deux principes pédagogiques discutés dans la totalité de l’article sont: une ‘de-romantisation’ du concept de leadership (pour emprunter ce néologisme) et une meilleure appropriation du constructivisme comme pédagogie active. L’article est ainsi divisé en deux parties. Une première partie consacrée à l’introduction et au premier principe; une deuxième, consacrée au deuxième principe et aux implications comme conclusion sur le leadership.
Introduction
Pendant longtemps, les théories des traits de personnalité des grands hommes ou «Théories des grands hommes» ont caractérisé la notion de leadership, même si elles ne reflètent pas toute la réalité et sont très restrictives par rapport à l’éducation des enfants.
Peter Northouse (2004) définit le leadership comme étant un processus d’influence sur les autres en groupe pour la réalisation d’objectifs organisationnels. Cette définition met en exergue l’influence exercée sur les autres, caractéristique de beaucoup de définitions sur le leadership, et montre ainsi que le concept n’est pas figé. Cependant, tel qu’elle est, elle semble incomplète. Car ce qui est mis en exergue ici comme processus, c’est cette influence et non les connaissances nécessaires pour l’exercer. Elle ne reflète pas que le leadership soit surtout enraciné dans des connaissances acquises.
L’idée centrale des « Théories des grands hommes» telle que l’ont décriés les théoriciens et praticiens modernes du leadership est que, les gens réussissaient plus à cause de leur traits de caractères ou dispositions personnels et moins à cause de leurs efforts et compétences. Elles se sont surtout appesanties sur des traits de caractères comme le courage, la générosité, la persistance, l’intelligence, comme caractéristiques plus ou moins innées ou héritées d’un bon leader. Ainsi ces théories faisaient qu’on idéalisait des hommes au point de leur prêter des qualités sentimentales ou surhumaines. Il était conçu donc que le leadership était quelque chose qui sortait de l’ordinaire et était attribué à une catégorie d’individus destinés à diriger les autres.
C’est ainsi, qu’on à l’habitude de faire des projections sur nos leaders comme des messies en leur attribuant des qualités que nous croyons ne pas posséder et que nous assumons qu’ils possèdent. Ces projections font aussi qu’on semble choisir nos leaders plus, selon ce qu’on rêve de voir que sur ce qui est réellement possible qu’ils puissent faire.
Après les années 1940, la recherche a montré qu’en réalité, ces traits de caractères et cette idéalisation qu’on faisait des leaders ne constituent pas tout, ni l’essentiel de ce qu’est le leadership. D’abord, parce que ces traits de caractères ne concernent qu’un groupe particulier d’hommes et semblent exclure d’autres qui, pourtant dans d’autres circonstances, peuvent bien faire preuve de ces traits. Ensuite, même si ces traits se retrouvent chez les leaders, il est difficile de les trouver tous chez le même individu. Aussi, quand ils sont présents chez l’individu, ils sont essentiellement le résultat d’apprentissages. Enfin, ces traits de personnalité ne sont vrais que dans une situation précise, c'est-à-dire qu’un leader peut l’être dans un contexte et ne pas l’être dans un autre. Il peut aussi être un leader par rapport à ce qu’il fait mais aussi par rapport à ce qu’il ne fait pas (Zalh, 2004; Elmore, 2000).
A partir de ce moment, les chercheurs mettent l’accent plus sur les processus et les acquis que le leadership induit chez l’individu plutôt que sur l’inné, le destin, ou l’idéalisation qu’on fait de lui. Ils montrent alors que le leadership est soutenu par des facteurs beaucoup plus complexes et variés comme les habiletés cognitives, la motivation, les valeurs, l’expertise et surtout la capacité à résoudre des problèmes (nous reviendrons sur ce dernier élément) (Zaccaro, 2007).
Malgré ces découvertes, ce sentiment d’inné et d’exceptionnalité du leader persiste dans la conscience populaire et explique dans le domaine politique, par exemple, que certains leaders, continuent de croire qu’ils possèdent des habiletés que personne d’autre ne possède et qu’ils peuvent s’agripper au pouvoir même s’ils sont clairement désavoués par les populations qui les avaient choisi. Inversement, on voit aussi des populations se résigner à un soit disant ‘volonté divine’ en se disant d’un leader qu’elles n’apprécient pourtant plus, que « c’est Dieu qui l’a mis là et qu’il partira quand Dieu le voudra », ignorant ainsi leur responsabilité et les efforts qu’ils peuvent fournir pour changer la situation. Ce raisonnement spirituel fait aussi que des populations essaient de justifier les mauvaises actions d’un leader clairement en violation avec leurs attentes de peur d’être à l’encontre de cette ‘volonté’ de Dieu.
Pour emprunter l’’idée d’Elmore (2000) alors, le leadership doit être ‘de-romantiser’ pour le rendre accessible à tout le monde, c'est-à-dire qu’il doit être détaché de tout sentiment de subjectivité, d’idéalisation et d’imagination liés à des considérations individuelles pour mettre l’accent sur l’apprentissage ouvert à tous le monde qui y mettra les efforts et sacrifices nécessaires. Ainsi, le leadership est au service de l’égalité des chances et œuvre pour la démocratie, les connaissances et les compétences.
Cette mise en relief est valable dans tous les secteurs de la vie pour construire une société juste et démocratique, mais elle est surtout importante dans le domaine de l’éducation où le but principal est d’influencer des apprenants à acquérir les connaissances et compétences qui leur permettrons d’être des citoyens productifs de la société et de futurs leaders.
Ainsi, le leadership est à la portée de tout individu qui met les efforts et sacrifices nécessaires en matière de connaissances et de compétences. Des adages Wolofs comme «Ku son jariňu» ou «cono du rër borom» mettent l’accent sur ce sens de l’effort et du sacrifice qui soutiennent toute réussite aussi bien pour l’enfant par rapport à sa propre éducation, pour ses parents immédiats, qu’au reste de son village. L’un des principes pédagogiques donc discutés dans cet article est que le leadership est essentiellement un apprentissage et nécessite qu’on le ‘de-romantise’ afin de mieux le mettre à la portée des enfants.
Cependant, si l’effort est nécessaire dans toute réussite, il est aussi lié fondamentalement à d’autres dispositions psychologiques comme le sens de l’intérêt et de la propriété privée que l’individu perçoit dans son effort et qui l’encourage à le fournir parce qu’il s’attend à une récompense à la fin. Cette récompense extérieure (l’acquisition d’un matériel) ou intérieure (un simple sens d’accomplissement ou de fierté) est présente dans tout effort humain. La recherche sur la motivation et la théorie des besoins de l’homme (Maslow, 1962) en témoignent amplement. La recherche sur la motivation des élèves, par exemple, a montré que l’effort que l’élève fournit sur une tâche est très lié à la récompense qu’il perçoit à la fin de cette tâche: soit une bonne note, soit une reconnaissance de la part de ses parents ou paires, soit simplement un sens d’accomplissement et de fierté (Feather, 1969; Tollefson (2000).
Sans pour autant faire la propagande du libéralisme ou de la propriété privée, il y a donc un sentiment humain qui fait que, ce qui ne nous appartient pas ou sur quoi on ne se retrouve pas, tant soit peu, ne nous motive pas à faire des efforts pour le développer ou le protéger. «Loo moomul dothie soneu». L’effort humain est foncièrement de nature égoïste. Dans toute entreprise humaine, même dans le domaine des apprentissages et du développement humain, ce sentiment d’intérêt et de ‘propriété’ dans l’objet de notre effort est sine qua none pour fournir des sacrifices.
Cette réalité introduit ainsi le deuxième principe pédagogique sur le quel repose cet article. Ce principe souligne que, dans le domaine de l’éducation, le constructivisme comme pédagogie active, en cultivant un sentiment d’intérêt et de propriété privée chez l’enfant par rapport à ses apprentissages et son sens de leadership, mérite d’être plus utiliser dans les écoles sénégalaises.
Pour une ‘de-romantisation’ du concept de leadership
De-romantiser le concept de leadership en milieu scolaire signifie donc s’appesantir aux yeux des enfants sur l’idée du leadership comme étant un ensemble de connaissances et compétences issues d’un travail dur, consistant, et discipliné ouvert à tout le monde. Le leadership est donc construit et n’est pas donné ipso facto. Il est le résultat d’un travail qui commence dés le bas âge pour se culminer dans l’âge adulte. L’école devient la place idéale pour s’appesantir sur cette construction.
En fait, la ‘romantisation’ du concept de leadership qui est un terme Anglo-Saxon, est conforme à la tradition américaine du culte de l’exceptionnalisme qui a fait que, pendant longtemps, les Etats Unis se sont vus implicitement comme le peuple élu, ‘the shinning city on the hill’ destinés à diriger les autres nations (Lipset, 1997). Mais, au moment ou d’autres puissances sont en train d’émerger et constituent une menace réelle surtout sur le plan économique et militaire (le cas de la Chine, la Corée du Sud, l’Inde, etc.), on ne peut qu’insister sur la valeur du travail et de la discipline dans le processus de construction du leadership.
Cette idée de ‘de-romantisation’ est important dans la société sénégalaise actuelle ou l’apparence, le désir de réussir à tout prix, et le charlatanisme est de plus en plus la norme. Rappelons-nous, par exemple, du match Sénégal-Côte d’ Ivoire en coupe d’Afrique 2012, avec le comportement peu exemplaire de certains de nos jeunes compatriotes qui interrompirent le match à la 76eme minute avec violence, alors que la Côte d’ Ivoire menait 2-0. Ils s’attendaient à la victoire et à être des leaders dans le football africain même si leur performance laissait à désirer.
Beaucoup de problèmes qui alimentent nos medias, de nos jours, peuvent aussi être lié à des problèmes de leadership majeurs: le système éducatif qui ne cesse de se détériorer, l’accumulation de biens acquis sur le dos des populations appauvries, la dégradation des mœurs qui semblent dominer les programmes de radios et de télévisions, etc. Pendant que ces problèmes exigent des solutions immédiates (de restructurations, de condamnations morales et pénales, et de restitutions de deniers publics), pour préparer les générations futures, le leadership doit être partie intégrante et explicite des programmes scolaires et non pas seulement implicite des disciplines traditionnelles.
Cette partie du curriculum doit surtout mettre l’accent sur les principes et exigences du leadership. Au delà du principe fondamental sur lequel repose cette partie de l’article qui est que le leadership est essentiellement un apprentissage, un autre principe et exigence est que le leadership est, avant tout, une urgence de résolution de problèmes. Sans problèmes à résoudre, le leadership n’a pas sa raison d’être. Cette partie du curriculum doit donc montrer aux enfants que, même si l’ascension à un rôle de leader, après beaucoup d’efforts et de sacrifices dans son éducation, est un signe de réussite (ne serait ce que la confiance obtenue de ses paires), il n’en demeure pas moins qu’une fois à cette position, la capacité à résoudre les problèmes du groupe, et non l’accumulation de richesses et de privilèges, est le seul critère du succès.
Cette capacité à résoudre des problèmes est apparemment un grand handicap chez les élèves du cours moyen dans la région de Dakar, selon un rapport récemment publié par le Laboratoire de Recherche sur les Transformations Economiques et Sociales (LARTES). Alors que la région de Dakar absorbe plus de 50% des ressources éducatives du pays, on ne peut que s’interroger sur ce qui se passe dans les autres régions.
Un autre principe et exigence du leadership est que cette urgence à résoudre les problèmes du groupe doit s’accompagner d’une vision claire inspirée des valeurs du groupe. Comme disait un grand penseur du leadership, «l’insatisfaction et le découragement ne sont pas causés par une absence de réalisations mais une absence de vision». La vision donne l’impulsion de s’approprier l’image de la réussite même si cette réussite tarde à venir. Ainsi, si la résolution de problèmes est la raison d’être et l’objectif principal du leadership, une vision claire en est à la fois sa locomotive et sa destination. Cette vision doit être exaltante et une source d’inspiration pour tout le groupe. C’est pour cela, les grandes lignes du partie du curriculum proposé ici doit d’abord établir une vision claire sur le genre d’école et de citoyen à former.
Ensuite, elle doit présenter aux enfants des problèmes typiques de leadership qui leurs sont familiers, allant d’anecdotes familiales à des situations d’ordres publics. Ces cas d’études permettront aux élèves de s’imprégner des problèmes de leur environnement et de réfléchir pour proposer des solutions. Ils permettront aussi aux enfants de connaître un peu les différentes pressions sociales qui peuvent pousser certains leaders à trahir le projet de leur groupe: pressions sociales comme le clientélisme ou le népotisme, l’accumulation automatique de biens, et une allégeance matérielle aveugle aux marabouts aux dépens du peuple.
Les structures scolaires mises en place pour encadrer le leadership des enfants jouent aussi un rôle crucial. Ces structures jadis limitées, pour la plus part, à des activités extracurriculaires comme le nettoyage et la maintenance des écoles, le sport, etc., doivent être étendues à de réelles opportunités pour les élèves de jouer d’autres rôles de leadership pendant l’année scolaire. Ces jeux de rôles comme ceux d’élève-enseignant, d’élève-directeur d’école, d’élève-sénateur ou de leader d’un parti politique, peuvent s’accompagnés de visites périodiques de consultation et de veille à des leaders locaux et gouvernementaux suivant les dispositions et besoins de chaque établissement.
On ne peut pas cependant apprendre à l’enfant comment être un bon leader s’il n’est pas d’abord considéré comme l’élément central dans cet apprentissage. Pour cela, comment le constructivisme comme pédagogie active donne à l’enfant un sens du leadership en le mettant au cœur de son apprentissage, et les implications générales, seront abordées dans la deuxième partie de cet article.
Dr. Seynabou Diop
Spécialisée dans les Sciences de l’Education
Ndiop24@gmail.com
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