Adulé par les uns pour ses prises de position contre le régime d'Abdoulaye Wade, voué aux gémonies par ses pourfendeurs, le personnage de Latif Coulibaly laisse rarement les sénégalais indifférents.
Il est vrai que dans un passé récent, l'homme nous avait habitué à mieux: l'indépendance d'esprit et la rigueur dont il faisait montre dans l'analyse des faits, l'objectivité et le sens critique qui portaient son empreinte ont désormais cédé la place aux approximations, aux formules à l'emporte pièce, et au parti pris.
Certes, certains hommes changent, au gré des circonstances et en fonction des intérêts du moment. Mais que pareille métamorphose émane de Latif a de quoi surprendre.
Tour à tour journaliste, puis journaliste d'investigation, Latif a été un soutien actif de Moustapha Niasse dans le cadre de Benno Siggil Sénégal lors des élections présidentielles de février 2012, avant de tourner casaque, pour intégrer le nouveau pouvoir post alternance2, dans un premier temps, en qualité de Ministre Conseiller.
Depuis, Latif multiplie les casquettes en devenant Ministre de la promotion de la bonne gouvernance, porte parole du gouvernement avant d'officialiser de manière fracassante son adhésion à l'APR (Alliance pour la République). Par un meeting de ralliement. Un virage à 180º. Le célèbre journaliste d'investigation n'aura donc pas résisté longtemps aux sirènes du pouvoir. Ou devrais-je dire aux délices du pouvoir. Abandonnant en rase campagne le M23, Y’en a marre, et les mouvements estampillés "société civile".
Délaissant le peuple sénégalais à son sort. Tout comme Penda M’BOW (ex membre du M23) nommée Représentante auprès de l’Organisation Internationale de la Francophonie, Abdoul Aziz Diop (ex porte parole du M23), devenu Ministre Conseiller Spécial, et Souleymane Jules Diop (ex chroniqueur Web), casé Conseiller en communication. La notion de société civile ne serait-elle donc qu’un paravent, voire un raccourci pour réaliser une trajectoire personnelle et bâtir un plan de carrière? Nous ne sommes pas loin de le penser.
Pour en revenir à Latif, l’analyse de ses récentes sorties sème le trouble. Jugez en par vous mêmes!
Des problèmes de liquidités au Sénégal? C'est une fiction, répond l'intéressé qui cite des chiffres de la DPEE (Direction de la Prévision et des Etudes Economiques) qui « établit qu’entre juin 2012 et juin 2013, la masse monétaire en circulation dans le territoire sénégalais, est passée de 2753 milliards de FCFA à 2791,1 milliards de FCFA ».
Il omet néanmoins de citer la dernière note de conjoncture, publiée par la même Direction de la Prévision et des Etudes Economiques qui conclut que «30% des sénégalais ne parviennent pas assurer les 3 repas quotidiens ». Naturellement, on comprend la difficulté à faire état d’une statistique qui mettrait en difficulté le pouvoir en place. Confortant la réalité concrète du vécu des sénégalais.
Il y a donc un décalage entre les chiffres fournis par Latif et la perception des citoyens.
Concernant les délestages et le coût de l’électricité, notez que le Ministre de la promotion de la bonne gouvernance annonce que « bientôt des centrales au charbon vont démarrer avec un coût au Kilowatt de 68 F CFA ». Retenez bien ce chiffre de 68 F CFA, car Latif est désormais Expert en questions et coûts énergétiques. Au fait, à quand la mise en marche de ces centrales ?
Mais le must concerne la question relative au retard de publication du décret mettant fin aux fonctions du Premier Ministre Abdoul M’BAYE.
La réponse de Latif surprend et déconcerte: « Ce n'est pas grave, ce qui est important, c'est que les médias en ont parlé (un communiqué a été lu), sachant que le décret sera forcément publié ». Curieuse façon de voir les choses de la part de quelqu’un pour qui la bonne marche des institutions revêt un caractère sacré. Il est vrai que ce principe était en vigueur dans une autre époque.
La polémique sur la nomination du Ministre de l'Intérieur membre du parti au pouvoir? Pas de quoi fouetter un chat, soutient t’il, foulant au pied les orientations des assises nationales dont il fut un des ardents défenseurs. Le même Latif, juste après son adhésion à l'APR n'hésitait plus à brocarder les assises en ces termes : "les assises, ce n'est pas la loi".
Ah bon ! Si tel est le cas, pourquoi avoir mobilisé une multitude d’experts, organisé des centaines de réunions, ameuté les médias et une partie du peuple sénégalais, produit des tonnes de documents et de recommandations dans le cadre des assises dites nationales. Tout ceci n’était donc qu’un jeu, une simple posture de défense du peuple ? Tout ça pour ça? Les sénégalais apprécieront. Les assises dites nationales n’étaient donc que de simples réflexions menées par un comité d’intellectuels, destinées aux oubliettes de l’histoire. Un aveu certes tardif, mais de taille pour l’opinion publique. En vérité, les propos de Latif nous apprennent beaucoup de choses.
Mais poursuivons plus en profondeur l’analyse puisque Latif n’en est plus à une contradiction prés….
Le drame des inondations? Latif finit par concéder que « La situation est catastrophique dans le Saloum ». Ouf ! Enfin, le mot est lâché, tellement on commençait à désespérer. Certes son nouveau statut de porte parole du gouvernement ne lui laisse désormais aucune marge de manœuvre, mais une petite dose d’objectivité ne fait jamais de mal. Surtout pour celui qui est perçu comme un intellectuel de renom. Sur ce point, au moins, le réflexe du journaliste a pris le dessus sur l’homme politique partisan. C’est déjà un bon début.
Sous le régime de WADE, Latif était de tous les combats démocratiques (liberté d’expression, bonne gouvernance, défense de la Constitution). Respecté par une majorité de sénégalais, ses écrits emportaient l’adhésion d’une bonne partie de l’opinion. Sa ténacité, sa détermination et ses convictions étaient appréciées, même s’il était loin de faire l’unanimité.
Avec le nouveau régime dont il est partie prenante, Latif est désormais l’homme de tous les renoncements. Plus inquiétant encore, il est l’homme de toutes les justifications. Ses propos sèment le doute et suscitent des réserves. Sa cote de confiance s’est effritée auprès d’une partie de l’opinion qui lui avait toujours manifesté une réelle sympathie et un soutien « tacite ».
Au XVIe siècle, dans son Discours de la servitude volontaire, Etienne de La Béotie affirmait que « de petits renoncements en petits renoncements, le citoyen s’installe dans une douce torpeur qui nécessite trop d’efforts pour en sortir. Face à des situations d’injustices intolérables, chacun mesure l’effort relatif entre la soumission à l’autorité et les risques de souffrance dans la résistance ». Bien entendu cette formule de l’écrivain ne saurait être applicable à tous ceux qui répondent présents à l’appel du partage du festin. Il est bien connu que les thuriféraires d'un jour sont les compagnons d'un soir. Des compagnons éphémères.
Hier, Latif, Penda M’Bow, Abdoul Aziz Diop et tous les autres étaient prêts à "sacrifier leur vie pour la défense de la Constitution" et de la nation. Aujourd’hui, sondons leur détermination sur la nécessité de mettre en conformité le mandat du Chef de l’Etat et celui du Président de l’Assemblée nationale (principe élémentaire de bon sens). Une certitude : ils ne bougeront pas d’un iota.
Quid de leur sincérité d’antan ? Mystère et boule de gomme.
Il y a quelques années, Latif fut l'auteur d'un ouvrage intitulé "Une démocratie prise en otage par ses élites". Aujourd'hui, nous lui rappelons ses écrits d'hier même si nous imaginons que ce ne doit pas être une partie de plaisir. Nous lui suggérons d'axer sa prochaine réflexion sur le thème suivant: "Les organisations de la société civile: sentinelles de la démocratie ou otages du pouvoir politique".
Certains ont théorisé le concept de nouveau type de sénégalais. Il serait peut être judicieux de définir un nouveau type d’intellectuel sénégalais, désintéressé, animé de fortes convictions et uniquement motivé par le sens de l’intérêt général.
C’est pourquoi, Il faut dénoncer fermement la création de certains mouvements dits de société civile, qui n’ont pour d’autre finalité, que d’assurer des logiques de carrière à des individus qui veulent entrer dans la vie politique par une porte dérobée. Par effraction.
Il appartient aux sénégalais de détecter ces leurres, de les sanctionner et de les confiner à un rôle périphérique. Au même titre que les partis politiques, les citoyens sénégalais doivent désormais demander des gages de sérieux et de crédibilité aux mouvements qui se réclament de la société civile. Certaines organisations que nous connaissons tous ne posent aucun problème car leur démarche est sincère. Les convictions qui animent leurs représentants ne font l’ombre d’un doute.
Mais pour d’autres (aux motivations floues et purement politiciennes), nous proposons qu’elles fassent signer une déclaration sur l'honneur à leurs instances dirigeantes par laquelle elles s'engagent:
- à respecter scrupuleusement la charte de leur mouvement ainsi que les principes de stricte neutralité (équidistance par rapport à tous les partis politiques),
- à ne jamais utiliser leur mouvement à des fins de promotion personnelle,
- à publier annuellement leur compte dûment certifié, avec la mention de l’origine des fonds (adhérents, membres bienfaiteurs, subventions de l’Etat, dons, etc…). Par souci de transparence.
Il serait d’ailleurs logique de définir les modalités de financement et de soutien accru des mouvements de société civile crédibles qui exercent des missions d’intérêt général.
Les médias pourraient jouer un rôle primordial dans le processus permettant de séparer la bonne graine de l’ivraie. En effet, à chaque fois qu'une nouvelle organisation se réclamant de la société civile est créée, et qu'elle souhaite faire publier un communiqué d'information via la presse, cette dernière pourra exercer son regard critique en demandant la liste de l'instance dirigeante, les fonctions exercées, ainsi que la charte du mouvement. Sans couverture médiatique, de telles structures fantaisistes sont appelées à disparaitre d’elles-mêmes. Sans coup férir.
Ce double contrôle des citoyens et des médias permettrait de s'assurer de la fiabilité et de la finalité de certaines organisations dites de «société civile » pour, d'une part, prévenir tout détournement d'objectif, et d'autre part, éviter que n'importe quel quidam se drape du manteau de la société civile pour réaliser un plan de carrière personnel. Il faut tirer une leçon de tout ce qui s'est passé après les élections de 2012. Certaines ambitions malsaines doivent désormais être dévoilées au grand jour. Disons le clairement: les mouvements de société civile ne sont pas des organismes d'insertion sociale et n'ont pas vocation à fournir des emplois ou des positions sociales à des individus. Ils ont besoin d’hommes convaincus par des causes nobles, totalement désintéressés.
Aussi longtemps que certains individus seront persuadés que leur avenir est suspendu à des nominations et au bon vouloir du Prince, la tentation d'instrumentaliser les mouvements de société civile à des fins personnelles aura encore de beaux jours devant lui. Au prix d’une indignité.
Que ceux qui souhaitent faire de la politique soient cohérents avec eux mêmes et s'engagent dans les partis politiques. Il n’y a aucun problème à ce niveau. A défaut, ils sont libres de créer leur propre parti politique et participer à toutes les combinaisons possibles pour assouvir leur intérêt personnel. Mais, qu’on arrête de nous divertir avec l'étiquette de membres de la "société civile". Juste pour obtenir un label médiatique, gagner les faveurs du peuple et lui tourner le dos ensuite. Un coup de Jarnac. Les parangons de vertu n'étaient finalement que de piètres illusionnistes. On aurait tort de penser que la transhumance ne concerne que les hommes politiques : elle est plus pernicieuse chez certains intellectuels, qui ne jurent que par « le peuple », le caressant dans le sens du poil. Mais qui n’en pensent pas moins et prennent la tangente dés que l’objectif est atteint.
Un célèbre philosophe, en l'occurrence Descartes disait que le bon sens est la chose la mieux partagée au monde. Assurément, la nouvelle trajectoire de Latif relève d’un non sens.
Quand on voit les trésors d'énergie déployés pour défendre l'indéfendable, on imagine la déchirure intérieure qui habite l'homme. Hier, l’homme brillait pour sa liberté de ton et son indépendance d’esprit. Aujourd’hui, il se terre dans un mutisme assourdissant et a perdu toute capacité d’indignation. Quel terrible gâchis ! Nous terminerons par cette célèbre formule d’Hubert Beuve Méry, fondateur du journal le Monde « il ne faut jamais que nos moyens de vivre compromettent nos raisons de vivre ».
Seybani SOUGOU
Paris – France
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