F.G. Bailey nous enseigne dans « Stratagems and Spoils » (1969), traduit de l’anglais sous le titre de « les règles du jeu politique » (1971), que si tout se passait bien dans les communautés, s’il n’y avait ni contraintes, ni incertitudes, ni menaces, ni défis intérieurs et extérieurs, les peuples pourraient bien se passer de leaders. Autrement dit, si les peuples sentent le besoin de suivre des leaders, c’est pour que ces derniers leur balisent les voies de l’avenir, en leur choisissant les chemins les plus sûrs et les plus courts vers le progrès et en inventant les meilleures stratégies pour faire face aux défis et menaces. Et cette analyse est valable pour toutes les sociétés humaines, même si elle s’exprime d’une manière et avec une intensité différente d’un peuple à l’autre.
Mais le drame de notre pays, comme celui de la quasi-totalité des pays africains, c’est la faiblesse du leadership. Nous suivons des gens qui ne semblent pas savoir où ils vont. Or lorsqu’un dirigeant n’a pas plus d’ambition, ni ne veut plus et mieux que le commun des citoyens qu’il prétend diriger, il perd toute légitimité pour les diriger.
Nous avons bien des hommes et des femmes à la tête de nos Etats. Mais ils conduisent en général nos affaires tellement mal que nous avons souvent l’impression que n’importe lequel d’entre-nous peut faire mieux qu’eux. Pilotage à vue, tâtonnement, mimétisme et une forte propension à toujours prendre des décisions approximatives et peu réfléchies sont leur marque principale. C’est pourquoi nous nous trompons souvent dans nos analyses car nous imputons la médiocrité de notre sort à notre état de sous-développement. Notre sous-développement n’est que le résultat de l’incapacité de nos élites. Nous végétons encore dans les affres de la pauvreté et nous agglutinons dans des villes surpeuplées, inondées et sans espaces de jeux et de loisirs pour nos enfants à cause de décisions d’hommes et de femmes manquant singulièrement d’épaisseur, mis à la tête de nos institutions par le plus grand des hasards.
Je me suis jusqu’ici gardé d’intervenir dans le débat sur le projet de construction de l’arène nationale sur le site du technopole. Je me disais que le bon sens finirait par l’emporter et que le fameux temple de la lutte serait transféré ailleurs sans que nous n’ayons besoin de nous taper dessus. De plus, d’autres voix, certainement plus autorisées que la mienne, ont déjà remarquablement démontré l’inopportunité de ce projet à cet endroit.
Le projet de construction de l’arène nationale sur le site du technopole est contraire à toute logique raisonnable, qu’elle soit politique, économique, sociale, technique ou environnementale. Même si, pour des raisons que j’ignore, le projet du Technopole de Dakar a été abandonné, je ne vois pas comment on peut construire à l’endroit où il était prévu une arène de lutte.
Le Technopole est du registre de l’intelligence, de la raison et du cerveau. Construire un pôle de promotion technologique, c’est prendre rendez-vous avec le futur. Peu importe l’emplacement ou un tel projet se ferait, il marquerait notre entrée résolue dans le 21ème siècle. Des pays comme Taiwan, la Malaisie, la Corée du Sud, l’Inde, l’Indonésie et tant d’autres ne sont pas « nés » avec la technique et la technologie dans les bras. Ils les ont construites. Mais s’ils ont réussi à le faire dans des délais qui laissent encore sans voix la plupart des spécialistes du développement, c’est parce qu’ils ont eu des dirigeants qui comprennent ce que progrès veut dire et qui ont de l’ambition pour leur peuple, au-delà des déclarations creux et cosmétiques.
Une arène de lutte est du registre de la force. Une force brute. Je n’ai aucune raison de détester la lutte. Car ce n’est qu’un sport. Mais je ne l’aime pas plus que de raison. Car au Sénégal il y a longtemps que la lutte a cessé d’être un sport pour devenir autre chose. Nous produisons dans nos arènes, à longueur de combats, les valeurs et comportements qui détruisent notre frêle et vulnérable jeunesse. Le monde de la lutte est peuplé de mythes, légendes et croyances fantasmagoriques. Les gris-gris, saafara, xarfa foufa et toutes ces potions y valent désormais mieux qu’un entrainement méthodique, un repos réparateur, un suivi médical régulier et un apprentissage sérieux de l’art, des techniques et tactiques de la lutte lorsqu’elle est un sport. C’est un monde quasi magico-religieux qu’il faut jeter loin du regard de nos enfants.
Nous sommes comme incapables de nous projeter vers le meilleur. Or quand rien ne vous tire vers le meilleur, tout vous tire vers la médiocrité et les ténèbres. Nous aimons banaliser l’exceptionnel dans notre pays. Et nous aimons encore plus rendre l’exceptionnel banal.
Pour moi les choses sont claires. En construisant une arène de lutte sur le site du technopole, le gouvernement choisira la force sur la raison; le sport – un sport détourné et vidé de sa substance - sur la science ; le passé sur l’avenir positif. Si notre Ministre des Sports ne comprend pas ces enjeux simples, je me demande s’il est à sa place là où il est.
Il y a des milliers d’hectares dans le triangle Dakar-Thies-Mbour pouvant abriter plusieurs arènes. Pourquoi alors choisir ce site qui est techniquement inapproprié, écologiquement dévastateur et socialement dangereux ?
Je me suis rendu compte de la beauté de ce site en y jetant un regard surplombant depuis l’autoroute. La vue de ce tableau d’eau et d’herbe, ayant en toile de fond les dunes de Golfe Sud et les palmiers, est si rafraichissante que tous les enfants qui l’admirent poussent quasi spontanément les mêmes cris de joie. Ce site est une vraie merveille écologique dans notre capitale balafrée et défigurée.
Non ! Ce terrain n’est pas fait pour une arène de lutte. Draguez-le, nettoyez-le de ses impuretés et mettez-y un beau lac, avec des promenades alentours, des jardins, des bancs et parcours de jogging et de randonnée.
Faites votre travail chers dirigeants. Réfléchissez et renoncez à ce projet insensé!
J’appelle tous les citoyens de Dakar à se mobiliser et à soutenir l’action des associations de Pikine et de Guediawaye déjà constituées pour défendre ce bien qui nous appartient tous. Moi je suis prêt.
Cheikh Tidiane DIEYE
Docteur en Etudes du Développement
dieye3@hotmail.com
Mais le drame de notre pays, comme celui de la quasi-totalité des pays africains, c’est la faiblesse du leadership. Nous suivons des gens qui ne semblent pas savoir où ils vont. Or lorsqu’un dirigeant n’a pas plus d’ambition, ni ne veut plus et mieux que le commun des citoyens qu’il prétend diriger, il perd toute légitimité pour les diriger.
Nous avons bien des hommes et des femmes à la tête de nos Etats. Mais ils conduisent en général nos affaires tellement mal que nous avons souvent l’impression que n’importe lequel d’entre-nous peut faire mieux qu’eux. Pilotage à vue, tâtonnement, mimétisme et une forte propension à toujours prendre des décisions approximatives et peu réfléchies sont leur marque principale. C’est pourquoi nous nous trompons souvent dans nos analyses car nous imputons la médiocrité de notre sort à notre état de sous-développement. Notre sous-développement n’est que le résultat de l’incapacité de nos élites. Nous végétons encore dans les affres de la pauvreté et nous agglutinons dans des villes surpeuplées, inondées et sans espaces de jeux et de loisirs pour nos enfants à cause de décisions d’hommes et de femmes manquant singulièrement d’épaisseur, mis à la tête de nos institutions par le plus grand des hasards.
Je me suis jusqu’ici gardé d’intervenir dans le débat sur le projet de construction de l’arène nationale sur le site du technopole. Je me disais que le bon sens finirait par l’emporter et que le fameux temple de la lutte serait transféré ailleurs sans que nous n’ayons besoin de nous taper dessus. De plus, d’autres voix, certainement plus autorisées que la mienne, ont déjà remarquablement démontré l’inopportunité de ce projet à cet endroit.
Le projet de construction de l’arène nationale sur le site du technopole est contraire à toute logique raisonnable, qu’elle soit politique, économique, sociale, technique ou environnementale. Même si, pour des raisons que j’ignore, le projet du Technopole de Dakar a été abandonné, je ne vois pas comment on peut construire à l’endroit où il était prévu une arène de lutte.
Le Technopole est du registre de l’intelligence, de la raison et du cerveau. Construire un pôle de promotion technologique, c’est prendre rendez-vous avec le futur. Peu importe l’emplacement ou un tel projet se ferait, il marquerait notre entrée résolue dans le 21ème siècle. Des pays comme Taiwan, la Malaisie, la Corée du Sud, l’Inde, l’Indonésie et tant d’autres ne sont pas « nés » avec la technique et la technologie dans les bras. Ils les ont construites. Mais s’ils ont réussi à le faire dans des délais qui laissent encore sans voix la plupart des spécialistes du développement, c’est parce qu’ils ont eu des dirigeants qui comprennent ce que progrès veut dire et qui ont de l’ambition pour leur peuple, au-delà des déclarations creux et cosmétiques.
Une arène de lutte est du registre de la force. Une force brute. Je n’ai aucune raison de détester la lutte. Car ce n’est qu’un sport. Mais je ne l’aime pas plus que de raison. Car au Sénégal il y a longtemps que la lutte a cessé d’être un sport pour devenir autre chose. Nous produisons dans nos arènes, à longueur de combats, les valeurs et comportements qui détruisent notre frêle et vulnérable jeunesse. Le monde de la lutte est peuplé de mythes, légendes et croyances fantasmagoriques. Les gris-gris, saafara, xarfa foufa et toutes ces potions y valent désormais mieux qu’un entrainement méthodique, un repos réparateur, un suivi médical régulier et un apprentissage sérieux de l’art, des techniques et tactiques de la lutte lorsqu’elle est un sport. C’est un monde quasi magico-religieux qu’il faut jeter loin du regard de nos enfants.
Nous sommes comme incapables de nous projeter vers le meilleur. Or quand rien ne vous tire vers le meilleur, tout vous tire vers la médiocrité et les ténèbres. Nous aimons banaliser l’exceptionnel dans notre pays. Et nous aimons encore plus rendre l’exceptionnel banal.
Pour moi les choses sont claires. En construisant une arène de lutte sur le site du technopole, le gouvernement choisira la force sur la raison; le sport – un sport détourné et vidé de sa substance - sur la science ; le passé sur l’avenir positif. Si notre Ministre des Sports ne comprend pas ces enjeux simples, je me demande s’il est à sa place là où il est.
Il y a des milliers d’hectares dans le triangle Dakar-Thies-Mbour pouvant abriter plusieurs arènes. Pourquoi alors choisir ce site qui est techniquement inapproprié, écologiquement dévastateur et socialement dangereux ?
Je me suis rendu compte de la beauté de ce site en y jetant un regard surplombant depuis l’autoroute. La vue de ce tableau d’eau et d’herbe, ayant en toile de fond les dunes de Golfe Sud et les palmiers, est si rafraichissante que tous les enfants qui l’admirent poussent quasi spontanément les mêmes cris de joie. Ce site est une vraie merveille écologique dans notre capitale balafrée et défigurée.
Non ! Ce terrain n’est pas fait pour une arène de lutte. Draguez-le, nettoyez-le de ses impuretés et mettez-y un beau lac, avec des promenades alentours, des jardins, des bancs et parcours de jogging et de randonnée.
Faites votre travail chers dirigeants. Réfléchissez et renoncez à ce projet insensé!
J’appelle tous les citoyens de Dakar à se mobiliser et à soutenir l’action des associations de Pikine et de Guediawaye déjà constituées pour défendre ce bien qui nous appartient tous. Moi je suis prêt.
Cheikh Tidiane DIEYE
Docteur en Etudes du Développement
dieye3@hotmail.com
Autres articles