Démission de Moubarack Lô : les raisons de cette effervescence


Démission de Moubarack Lô : les raisons de cette effervescence
Ces derniers temps, l’actualité a été marquée par la démission de l’ancien directeur de Cabinet adjoint du président de la République. Au-delà du fait que c’était un événement inédit dans notre histoire politique, la démission n’étant pas très usuelle sous nos tropiques, l’impact auprès de l’opinion publique a été tel que le président de la République en personne a cru devoir intervenir dans le débat.
Les mots utilisés pour un responsable de sa trempe pour qualifier ses anciens collaborateurs démissionnaires : prétentieux, arrogants, hautains, sortis de la cuisse de Jupiter sic ! ont, osons le dire, choqué l’opinion qui n’était pas habituée à le voir tenir une querelle qualifiée par certains observateurs de bas étage qui, au lieu d’éteindre la polémique, a eu le don de la raviver avec la dernière sortie d’un des collaborateurs qui s’est senti visé avec à la clé des révélations qui ont dû installer un malaise au Palais (retour à l’envoyeur).
Une analyse rapide du style de communication utilisé et de la spontanéité de la réplique renseigne sur le profil de ceux qui tiennent actuellement la com’ du Président et qui, le moins que l’on puisse dire, manquent de sagesse. Il n’est pas sûr que leurs devanciers au poste auraient conseillé au Président une telle sortie surtout avec la forme qu’elle a revêtue. En réalité, il y a une explication à toute cette effervescence :
Le porte-parole du Président, confirmé ensuite par M. Lô, a affirmé que la démission est intervenue le 31 octobre dernier. Quelques 10 jours après, la presse a fortement relayé la démission de M. Jacques Diouf de son poste de Conseiller spécial du Président. Sachant l’effet que cette démission a eu sur l’opinion et conscient du fait que celle, encore en sourdine, du directeur de Cabinet adjoint serait encore plus retentissante du fait non seulement de sa position stratégique dans le staff du Président, mais aussi du rôle que M. Lô a joué lors de la campagne électorale (Jeune Afrique en a d’ailleurs fait mention dans sa livraison de la semaine du 10 au 16 novembre) et continuait de jouer dans le dispositif de gouvernance du programme du Président (le Yoonu yokkuté).
Lors de la campagne électorale, n’a-t-il pas réussi à convaincre même partiellement les plus sceptiques sur la possibilité de tenir les engagements du Président en termes de réduction des denrées de première nécessité, n’hésitant pas à monter au créneau devant des spécialistes du domaine non convaincus de la faisabilité (le dernier ministre du Commerce de Wade, son dernier directeur du Commerce intérieur et le président de l’Ascosen) ? Préoccupés donc par l’impact a priori dévastateur qu’aurait cette démission et soucieux d’atténuer son effet auprès de l’opinion publique, les services com’ du Président ont sourcé la presse (voir édition du 15 novembre) pour faire état des quatre frustrés du Palais en l’occurrence Messieurs Diouf et Lô et Mesdames Badiane et Thiam et faire croire que M. Lô en particulier, ne se retrouvant plus dans ses habits de directeur de Cabinet adjoint, songerait à démissionner alors même qu’ils savaient pertinemment que la démission était déjà effective depuis plus de 2 semaines.
En réalité, M. Lô, comme avant lui le Pm Abdoul Mbaye, a été victime des lobbies du Palais pour lesquels, la presse nous raconte à longueur de colonnes les faits d’armes (ceux-là qui ont annoncé à l’actuelle Pm, plusieurs semaines avant sa nomination, qu’elle serait désignée Pm dans les jours qui devaient suivre). Dans le cas du projet Sénégal émergent (origine de sa disgrâce) qui a coûté au contribuable sénégalais 2,5 milliards de F Cfa et dont la restitution a eu lieu le week-end dernier (tiens !), il a opposé une position de principe. En effet, il n’a jamais partagé l’opportunité de recourir à un cabinet fût-il de renommée internationale (Mc Kinsey en l’occurrence) qui, plus est, s’est allié à des personnes extérieures à l’Administration sénégalaise (groupe Disso) pour élaborer un document dont on dit que ce n’est qu’un condensé de trois documents existants (la Sndes (ex Dsrp), la Sca et le Yoonu yokkuté). M. Lô ayant lui-même, comme il l’a expliqué dans une interview, déjà eu l’opportunité, en qualité de consultant, d’élaborer le Dsrp de plusieurs pays de la sous-région dont la Côte d’Ivoire et le Niger.
Sur la frustration de M. Lô, liée à sa non-nomination aux postes désirés, je crois qu’en tant que consultant, ayant travaillé avec lui sur ses études d’opinion pour le candidat Macky, même si cela était avéré, ce ne serait que de bonne guerre. En effet, comme le disait Abc, le Président ne devrait aucunement oublier les compagnons d’hier qui ont affronté les milices du Président Wade, abandonné leurs postes et fait tous les sacrifices pour le suivre dans son aventure et dans son ambition. Au même moment, la plupart de ses nouveaux collaborateurs d’aujourd’hui, y compris Premiers ministres, ministres et Dg profitaient encore de sinécures soit dans l’international, soit dans le privé, soit dans des emplois publics (en qualité de Directeur général ou de Pca notamment).
Au surplus, le Président Sall a peiné à trouver véritablement un directeur de Cabinet à mesure de remplir les obligations liées au poste puisqu’il s’est vu obligé de les changer par deux fois en l’espace de 18 mois d’exercice du pouvoir. Pourquoi alors reléguer M. Lô au rang d’éternel second alors même que ceux-là qu’il nomme au premier rang à ses côtés, qu’ils soient Dc ou Sg, savent pertinemment qu’ils ne peuvent aucunement se mesurer à lui (en termes de connaissances techniques, de connaissances de l’Administration et d’aura auprès de l’élite intellectuelle du pays) ? Dans ces conditions, même avéré, un quelconque ego dont ferait montre M. Lô ne serait qu’évidence puisque placé dans une situation injuste.
Dans le cas de M. Lô, j’ai été particulièrement témoin de sacrifices qu’il a pu faire en consacrant toute l’activité de son cabinet, pendant les quatre mois ayant précédé l’élection présidentielle, au service exclusif du candidat Macky, avec les sondages d’opinion à mener, les plateaux télé à préparer, le programme Yoonu yokkuté à affiner pour le rendre plus crédible aux yeux de l’opinion. A titre illustratif, en remettant en cause le sondage du Président Wade qui le donnait vainqueur avec 54% au 1er tour et en donnant aux médias le vrai sondage (à ses yeux) qui amenait ce dernier au second tour, avec à peine 30% des voix, cette défiance lui a valu d’être retenu à la Dic pendant plus de 10 h d’horloge.
Pour en avoir été témoin, je peux aussi affirmer ici que c’est M. Lô qui a véritablement révélé le candidat Macky aux électeurs puisque c’est un de ses sondages qui a pour la première fois démontré qu’en l’absence d’une candidature uni­que consensuelle de Benno siggil sénégal, le candidat Macky passerait au second tour contre le Président Wade et le battrait. Et je me souviens encore du candidat Macky, sourire en coin, lui demander, après avoir pris connaissance des résultats de nos travaux, de les présenter à la presse pour publication.
En définitive, je crois que le Président Sall gagnerait à se souvenir, à chaque fois que les lobbies ou ses nouveaux thuriféraires ou laudateurs le poussent à se mettre à dos un compagnon d’hier, des durs moments passés en leur compagnie et des privations qu’ils ont dû accumuler pendant les trois années qu’a duré sa traversée du désert. Il pourra ainsi se réveiller avant qu’il ne soit minuit (dixit Abc !).


Cheikh Mamadou Abdou DIOP
Spécialiste en études politiques et en communication
SOURCE : LE QUOTIDIEN DU 4 DECEMBRE 2013
 
Jeudi 5 Décembre 2013




Dans la même rubrique :

AIDA CHERIE - 22/05/2015