De l’obligation de rendre compte : et si on interrogeait le droit positif sénégalais !


De l’obligation de rendre compte : et si on interrogeait le droit positif sénégalais !
Combien de fois avons entendu un ancien ministre, membre du PDS, dire : nous sommes prêts à rendre compte ?
Rendre compte à qui ? De quoi ? Et au nom de quoi ? Et pourquoi ?
De deux choses l’une, soit les anciens ministres, membres du PDS, n’ont jamais compris leurs charges, soit ils savent que le nouveau régime s’est piégé et ils le veulent davantage l’enfermer dans ce piège. Il faut, quand même le dire, le nouveau régime perd beaucoup d’énergie dans cette histoire de traque des biens dits mal acquis. Or les urgences sociales sont toujours là. Le peuple est plus que jamais impatient. Et c’est bien l’opposition, elle seule, qui tire profit de l’immobilisme du gouvernement.
Certains techniciens, très inquiets de la situation actuelle, commencent même à alerter l’opinion publique par voie de presse, en dépit de leur devoir de réserve.
En effet, si le Directeur de l’ANDS (agence nationale de la statistique et de la démographie) éprouve le besoin de mettre en garde les autorités par voie de presse sur les risques de fuites des investisseurs, c’est qu’il a vraiment peur.
L’ANDS est, tout de même, la première institution sénégalaise de collecte, de traitement et de diffusion d’information sur le Sénégal, en particulier dans les domaines économiques et sociaux.
On peut donc bien penser, que son Directeur Général sait de quoi il parle, pour utiliser un langage bien de chez nous.
En effet, Babacar Fall, DG de l’ANDS, un officiel sénégalais, éminent haut fonctionnaire de l’Etat a déclaré publiquement, dans dakaractu.com, le 17 décembre 2012 : « Il faut éviter de trop parler de blanchiment d’argent et d’enrichissement illicite, puisque le sujet peut empêcher de nouveaux investisseurs de venir au Sénégal et peut faire fuir ceux qui sont déjà sur place ».
Quand on connaît le sens de la mesure des hauts fonctionnaires de l’Etat, il faut ici reconnaître que Monsieur FALL n’a pas voulu simplement répéter ce que beaucoup savaient et disaient déjà, mais le sens symbolique de sa prise de parole publique, sur une question qui fait l’objet de graves controverses politiciennes, c’est d’attirer l’attention des uns et des autres en faisant jouer la crédibilité de son institution. C’est le Directeur de l’ANDS qui a parlé. Tout un symbole, au-delà des mots.
Aucun haut fonctionnaire ne prendrait le risque de se prononcer sur des questions qui font l’objet de graves polémiques politiciennes, s’il n’y « sent » pas de réelles menaces des intérêts du SénégaL.
Surtout, lorsque ses déclarations tendraient à accréditer les thèses de l’opposition.
En fait, tous ceux qui aiment cette république ont peur. Le problème avec les conflits politiques de cette nature, c’est qu’on ne sait jamais « comment ça à commencer » mais pire encore on ne sait non plus, « comment ça va terminer ». Nul n’a le génie de contrôler les situations de cette nature. Les plus anciens ont vécu l’affaire DIA/Senghor, nous avons vécu les affaires : Djibo/PS, Niass/PS, IDY/PDS, Macky/PDS ...
Ce qui est le plus grave dans la situation actuelle, c’est qu’on est entrain de tout mettre à l’envers. Et tout le monde semble avoir tombé sur ce piège.
Voila que l’on demande à d’anciennes autorités politiques de rendre compte de la gestion des finances publiques, de l’exécution des budgets. Mon Dieu ! Depuis quand les comptes publics sont-ils gérés par des autorités politiques ? Depuis quand l’administration financière sénégalaise est géré par des hommes politiques. Depuis quand le budget est-il exécuté par des hommes politiques. C’est à croire alors que le Sénégal est vraiment une république bananière !
Et plus grave encore les accusés ne cessent de dire : oui nous allons rendre compte.
Peut-on une seconde, imaginer voir Hollande dire, aux anciens ministres de Sakorzy, venez rendre compte ? Ou Obama dire, aux anciens ministres de Bush, venez rendre compte ?
Disons le clairement, un ministre membre d’un gouvernement n’a de comptes à rendre qu’au Président de la république qui l’a nommé et au parlement devant qui, le gouvernement auquel il appartient est responsable. Et les anciens ministres rendez compte régulièrement au Président de la république et au parlement (en y allant défendre leurs budgets, répondre aux questions écrites et orales des parlementaires, en se soumettant à l’exercice de contrôle du parlement….).
Dans quel pays du monde avons-nous une sorte de tradition républicaine qui voudrait que quand on termine un mandat, on rend compte. Comme si quand on est au pouvoir on fait ce qu’on veut et on rend compte après. Il faut arrêter, une bonne fois pour toute, ces sénégalaiseries, qui n’honorent pas notre république.
Nous ne sommes pas une république bananière.
Nous avons un Etat bien organisé, bien structuré. Personne ne peut donner une référence législative ou réglementaire qui dispose que le régime sortant doit rendre compte au régime entrant.
Décidément, nous osons croire qu’il ne s’agira pas de demander aux ministres de rendre compte de leurs choix politiques : pourquoi des routes ici et non des hôpitaux là-bas ?
Le régime de Wade n’avait de compte à rendre qu’au peuple, il l’a fait le 25 mars 2012, et n’étant pas content du bilan, le peuple l’a balayé. On passe à autre chose !
Quand, il s’agit maintenant de la gestion des comptes publics, donc des ressources publiques, les textes qui régissent l’organisation de notre Etat et son fonctionnement ont clairement identifié les personnes qui doivent s’en charger.
Nous ne pouvons – parfois - nous empêcher de nous demander si vraiment ceux qui utilisent l’expression, « reddition des comptes », connaissent la définition de celle-ci en finance publique ?
Et le jour où les politiques seront chargés de la reddition des comptes, cette république foulera le camp.
Un politique nous attendons de lui des choix politiques et non la gestion opérationnelle de non comptes publics, de nos ressources publiques.
Il est vrai que nous sommes l’un des peuples les plus paresseux dans le monde, mais tout de même, comment peut-on se prononcer sur la gestion des finances publiques sans au préalable prendre la peine de lire l’ensemble des textes qui organisent l’administration de celles-ci ?
Il ne serait pas inutile dans ce contexte de faire une petite synthèse des textes.
D’abord, en ce qui concerne la gestion de nos finances publiques, il faut dire que la marge de manœuvre de l’Etat est très limitée. Les politiques de gestion des finances publiques ne relèvent plus - en vérité - des politiques domestiques.
Le Sénégal s’est engagé dans la constitution d’une union monétaire, économique et douanière et a librement choisi de renoncer à une partie de sa souveraineté dans la définition de certaines politiques publiques, surtout dans le domaine des finances publiques.
C’est ainsi qu’en 1997, l’UEAMO avait sorti une directive qui « fixe les règles fondamentales relatives à la nature, au contenu, à la procédure d'élaboration, de présentation et d'adoption des lois de finances, ainsi qu'aux opérations d'exécution et de contrôle du budget de l'État, applicables dans les États membres de l'Union Économique et Monétaire Ouest Africaine ». Dans cette directive, nous notons - avec intérêt - deux points essentiels : les règles de contrôle et d’exécution du budget.
Et l’article 45 de cette directive dispose clairement que « les opérations d'exécution du budget de l'État incombent aux administrateurs de crédits, aux ordonnateurs ainsi qu'aux comptables publics dans les conditions définies par le décret portant règlement général sur la comptabilité publique ». Bien dit et très clair.
Pas besoin de rappeler ici, que le Sénégal a intégré les dispositions de cette directive dans son droit positif.
Alors, la question c’est maintenant, comment un ministre peut rendre compte de l’exécution du budget si la loi dit que ce n’est pas lui qui l’exécute. Oui ! le ministre répond, sur le plan politique, des résultats, donc de la pertinence ou non des options.
Il y a ici un amalgame qui est entretenu (à dessein ?), la frontière entre la responsabilité des techniciens et celle des autorités politiques. Les politiques répondent des choix budgétaires et les techniciens répondent de l’exécution de ceux-ci.
D’ailleurs, la directive, précitée de l’UEMOA, est très claire sur la question.
En effet, l’exécution du budget est soumise à un triple contrôle : administratif (fait par l’exécutif lui-même, par ses différents corps de contrôle), juridictionnel (fait par les juridictions spécialisées en matière de contrôle des finances publiques, donc la cour des comptes) et parlementaire.
Ici, nous ne pouvons nous empêcher de souligner la faiblesse des arguments des membres du régime sortant.
En effet, la directive, précitée, prévoit – même - le contrôle des comptes publics des Etats membres par la cour des comptes de l’UEMOA.
Mon Dieu ! pourquoi jusqu’ici les libéraux n’ont-ils demandé que la mission de contrôle des comptes publics soit confiée à la cour des comptes de l’UEAMO, pour plus de neutralité et d’objectivité ?
Entendons-nous bien, nous ne sommes pas leur conseiller, loin de nous aussi toute idée de faire de la consultance gratuite pour eux. Mais, nous relevons juste là une faiblesse dans leur système de défense.
En fait, comment un ancien ministre peut dire publiquement qu’il est prêt à répondre à la place des comptables publics ? Comment un ancien ministre peut dire qu’il est prêt à rendre compte de la gestion de comptes publics qu’il n’a jamais gérés ? A moins que ces anciens ministres veuillent nous fait croire qu’ils étaient des gestionnaires de fait.
En tout état de cause, la directive, précitée de l’UEMOA est très claire sur la question, elle dispose en son article 79 que « La juridiction des comptes juge les comptes des comptables publics. Elle vérifie sur pièce et, le cas échéant, sur place la régularité des recettes et des dépenses décrites dans les comptabilités publiques et s'assure du bon emploi des crédits, fonds et valeurs gérés par les services de l'État et les autres personnes morales de droit public ».
Mieux, le Sénégal a intégré cette disposition dans son droit positif à travers l’adoption de la loi organique N°99-70 du 17 février 1999 sur la cour des comptes.
Et contrairement aux idées reçues, la constitution sénégalaise dispose clairement que c’est la cour des comptes qui est chargée de la promotion de l’obligation de rendre compte.
Il est vrai que l’on peut noter de temps à autre des cas de gestion de fait. Mais dans ce cas, il faut d’abord établir la matérialité des faits, les imputer clairement à une personne bien déterminée et justifier l’illégalité de l’acte.
Mais, il s’agit là aussi d’une autre faiblesse du système de défense des libéraux. En fait, dans leur déclaration, ils ne semblent pas nier la matérialité des faits, encore moins leurs imputabilités aux anciens ministres et pire encore leurs illégalités.
Tout ce qu’ils semblent demander c’est d’aller devant la haute de justice, qui est une juridiction politique, avec un système d’instruction long et complexe et non une juridiction de discipline financière. Veulent-ils piéger encore - à ce niveau – l’actuel régime ? Le temps nous le dira.
L’actuel premier ministre, Abdoul Mbaye, quand il a été accusé d’avoir blanchi l’argent de Habré, n’avait pas nié la matérialité des faits, et avait publiquement reconnu qu’ils (les faits) lui étaient imputables, mais il récusait leurs illégalités.
Avouons quand même que les libéraux devraient normalement avoir un système de défense plus solide que celui du P.M. D’abord, on n’a pas encore établi la matérialité des faits qu’on leur reproche, on ne peut donc les imputer ces faits là qui n’existent pas encore, inutile d’évoquer, alors la base légale.
Cette seule phrase aurait suffit aux libéraux : « dites nous d’abord ce que nous avons fait, après vous nous direz en quoi c’est illégale ».
Toutefois, les deux plus grands perdant dans cette affaire sont le peuple sénégalais et le Président Macky Sall.
Il faut être un mauvais conseiller de Macky Sall pour l’encourager à chercher une seconde victoire sur le PDS.
Le président Macky SALL n’a pas le droit de faire croire à l’opinion internationale qu’au Sénégal un ministre peut voler des milliards. Rien n’empêchera à l’opinion de croire que le vol continue, si on sait, Macky SALL, alors premier ministre, était incapable d’empêcher ses ministres de voler. Soyons sérieux quand même !
Aussi, Macky SALL a hérité un pays divisé, il devrait se poser en rassembleur. Le Sénégal a vécu de vives tensions politiques et sociales, Macky devrait s’engager à apaiser les tensions politiques et sociales.
En 2000, les contradictions entre Wade et DIOUF étaient dix milles fois plus profondes que celles de 2012 entre Wade/Macky.
Pourtant au lendemain de son élection, le premier geste de Wade a été d’aller voir la maman de Abdou DIOUF, en bon gentleman, pour dire au monde entier que le match est terminé.
Excellence, Monsieur le Président de la République, Macky SALL le match est terminé. Depuis le 25 mars 2012, vous êtes le président de la république du Sénégal.
Personne ne conteste votre victoire, alors de grâce arrêter les prolongations, un autre but ne servira à rien et les supporters sont fatigués.
Mais surtout, faites gaffe, si l’autre partie égalise dans ces prolongations cela risquera d’être très compliqué pour vous.
Alors comme disent les militaires : Rompez !


Sadikh DIOP

Maître es sciences économiques
Administrateur de l’observatoire de l’information et des médias
Diopsadikh19@hotmail.com limedia.org
Vendredi 21 Décembre 2012




1.Posté par Résistant le 22/12/2012 17:36
J'ai lu avec attention votre contribution. Je note seulement qu'il est reproché aux libéraux ayant exercé des fonctions ministérielles de s'être enrichis illicitement. En fait, il leur est reproché d'avoir une certaine richesse et qu'ils doivent en justifier l'origine. Par quel canal, c'est ça la question. D'où la pertinence de votre texte car c'est seulement par la manipulation des fonds publics qu'ils auraient pu le faire et vous apportez la preuve de cette impossibilité.



Dans la même rubrique :

AIDA CHERIE - 22/05/2015