Stratégie de développement à la base : le secret des japonais


La célébration du cinquantenaire de l'indépendance du Sénégal peut être une occasion pour notre pays d'interroger ses stratégies de développement, d'analyser ses succès et ses échecs et de tirer profit des meilleures pratiques dans le monde pour faire du Sénégal un pays émergent à l’horizon 2015.  A cet effet, l’expérience du Japon peut beaucoup nous inspirer.

Deuxième puissance économique mondiale derrière les États-Unis, le Japon a réussi dans les années soixante à implanter une approche novatrice de développement centrée sur la vie des individus. La méthode Kaizen qui signifie amélioration des conditions de la vie, est un vaste  mouvement qui a touché en quelques années tous les milieux ruraux japonais. Son secret, c'est de pousser les populations à la base à prendre leur propre destin en main. Tel un missionnaire, l'agent de développement débarque dans une localité armé uniquement de son savoir et de son savoir faire. Quand il y ressort cinq années plus tard, il laisse des populations épanouies, innovantes, prospères et autonomes. Dans cette contribution, nous essayons de démontrer comment l'approche japonaise KAIZEN peut être salutaire pour les sénégalaises et les sénégalais. 

 

Atouts du Sénégal pour l'application de KAIZEN

Nous avons noté au moins deux facteurs importants qui expliquent l'adaptabilité de Kaizen dans le contexte sénégalais.

  • La culture: sur le plan culturel, le sénégalais des profondeurs ne se sentirait pas étranger dans les milieux ruraux japonais. L'hospitalité des villageois, la façon de se tenir en assemblée et la pudeur sont autant de valeurs que nos deux milieux ruraux partagent.
  • Le système institutionnel: Le Japon a une décentralisation accomplie avec des préfectures (équivalent de nos régions) autonomes dotée d’une fonction publique locale au service des besoins spécifiques de la localité. Le Sénégal tend vers ce modèle avec la régionalisation et le transfert des compétences aux collectivités locales. En plus, on note une similitude du système de vulgarisation agricole basé sur deux types d'agents: Sekaï ou conseiller sur la vie (équivalent des agents des Centres d'Appui au Développement Local - CADL) et Nokaï (équivalent des agents d'agriculture des Directions Régionales de Développement Rural - DRDR et des conseillers agricoles de l'Agence Nationale de Conseil Agricole et Rural- ANCAR).

Cependant ces seuls atouts ne suffisent pas pour réussir Kaizen au Sénégal. Kaizen est avant tout un ensemble de principes qui marquent une rupture par rapport à l'approche classique d'intervention. 

 

Les Cinq (5) Principes KAIZEN

  • Principe 1: Zéro contrainte. Au lieu de dire qu'est-ce qui nous manque, Kaizen compte d'abord sur ce que les populations disposent. N'importe qui peut démarrer une initiative, n'importe où et n'importe quand. Les gros moyens qui viendront plus tard comme les infrastructures, renforceront cette initiative. L'investissement public provenant de l’Etat et de ses partenaires est corrélé aux performances des populations de la localité dans la mise en œuvre de leurs initiatives endogènes. 
  • Principe 2: Pragmatisme avec de petites améliorations. Avant de penser aux ressources financières des partenaires, au transfert technologique, à l’accès au crédit, au marché, à l'information, Kaizen compte d’abord sur les ressources existantes, sur l’adaptation et sur la créativité des populations. Elle axe son intervention sur les besoins pratiques du quotidien des populations qui ne nécessitent rien de spécial comme par exemple : avoir une alimentation équilibrée à partir des produits locaux, veiller sur la propreté de la maison et de l’espace public, motiver les femmes à réfléchir par elles-mêmes pour faire de petites découvertes qui leur permettent d’alléger les travaux domestiques.  Au japon, il règne une émulation pour le progrès. Chacun veut être meilleur dans un domaine donné. Des prix d'excellence sont organisés par les pouvoirs publics à tous les niveaux et dans tous les secteurs.
  • Principe 3: Vision claire par et pour les populations. Quand l'approche classique met l'accent sur les réalisations physiques (tant d'écoles, tant de classes, tant de km de route), Kaizen vise la vie de la localité et le développement humain. Par exemple, les enfants mangent à midi au restaurant de l'école en utilisant les produits agricoles de la localité, leur développement physique et intellectuel est bien suivi par un nutritionniste engagé par l’école. Les populations maîtrisent elles-mêmes l'impact de leurs efforts sur la vie de la communauté. Elles élaborent leur vision à l’aide d’un exercice participatif appelé Carte de vérification environnementale. Même les enfants y participent. Voici un exemple de vision qui en dit long sur la mentalité des milieux ruraux japonais : « (i) Nous allons construire un village confortable et plein d'abondance par la promotion de la santé des résidents, l'amélioration des montagnes, la création de spécialités locales et l'amélioration de l'environnement. (ii) Nous allons construire un village qui offre aux enfants des rêves, aux jeunes de l'espoir, aux adultes des revenus et aux personnes âgées un but dans la vie. (iii) Nous allons améliorer la base de production et le cadre de vie d'une manière globale pour réaliser une riche harmonie entre la production et la vie. (iv) Nous allons apprécier à sa juste valeur la beauté naturelle du district de XXX, entretenir sa profonde humanité et protéger et entretenir sa culture traditionnelle brillante. (v) Nous allons renforcer les liens de solidarité en réunissant la sagesse et l’énergie de chaque résident de la communauté pour réaliser un village confortable et plein d'abondance en tant que localité modèle».
  • Principe 4: Durabilité. L’approche classique cherche à résoudre un problème ponctuel qui malheureusement restera entier après le retrait du bailleur. Parfois, elle se soucie beaucoup plus du taux d'exécution financière élevé qui fait du projet une finalité et non un moyen de développement. Par contre, Kaizen s’attaque aux causes des problèmes et encourage l’amélioration des conditions de la vie. Son effet dépasse les populations de la localité. Elle veut s’appuyer sur ces dernières pour influencer les autres.
  • Principe 5: Notre projet, notre responsabilité. Tel est le slogan des populations à la base. Elles établissement elles-mêmes le plan de développement de la localité et identifie les projets prioritaires avec la facilitation de l'agent de développement. Elles contribuent d’abord avant de solliciter l'appui des pouvoirs publics. Tout le monde participe à l'effort de développement de la localité selon ses capacités. Pour aménager un jardin public par exemple, elles ne font pas appel aux entrepreneurs des villes, elles mettent la main à la patte et en profitent pour partager de bons moments ensembles.

 

Le Pivot du développement : le Groupement KAIZEN

La stratégie Kaizen repose sur la formation d’un groupement fort qui va être le vecteur de changement dans la localité. Ce groupement présente un certain nombre de caractéristiques :  

  • Les membres partagent les mêmes objectifs.
  • Ils ont l’intention d’améliorer leur vie personnelle. 
  • Ils désirent  obtenir des connaissances, apprendre des techniques simples pour résoudre les problèmes et mettre en pratique ce qu’ils ont appris. 
  • Chacun a un rôle au sein de la gestion du groupe. Les postes sont occupés à tour de rôle.
  • Le nombre idéal de membres varie de 10 à 15 personnes par groupement.
  • Les membres sont des voisins, des personnes pouvant facilement travailler ensemble.
  • Ils se réunissent une fois par mois pendant 2 heures de temps au maximum en changeant de lieu à chaque réunion.
  • Le nom du groupement est bien choisi. Il reflète l’idéal de ses membres.
  • Toutes les activités sont consignées dans le « registre du groupement » pour assurer un suivi efficace.
  • Le groupe organise souvent des expositions et des concours pour susciter davantage d’améliorations et partager les meilleurs succès.
  • Le leader du groupe développe le rêve d’une vie meilleure et est persuadé qu'il existe des possibilités. Il ne perd jamais de vue les objectifs. Il se montre toujours chaleureux et prévenant, et travaille avec chacun (n’est jamais vantard ni méprisant). Il est heureux de s’occuper de tâches secondaires après la réalisation d’une tâche majeure. Il facilite les activités. Il est très doué pour stimuler les autres. Il forme le prochain responsable qui prendra sa relève.

 

En définitive, le Sénégal a essayé diverses approches depuis l'aube de son indépendance, mais nous avons jugé que ces modèles ont renforcé la mentalité d'assisté chez les populations, inhibé leur créativité et ont fini par faire d'elles des consommateurs de projets au lieu des inventeurs de leur propre avenir. Nous pensons que l’approche KAIZEN japonaise peut nous aider à renverser cette tendance. Cependant, nous sommes conscients qu'il n'existe pas de modèle parfait, tant les contextes diffèrent d'un pays à l'autre. Un effort d’adaptation s’avère donc nécessaire. L’exercice pourrait être mené dans une localité et permettrait d’établir le modèle Kaizen Sénégal

 

Mme SANE Véronique, M. THIARE Mamadou, M. NIANG Moustapha, M. LO Ibrahima Thierno

Anciens stagiaires de la JICA,

 

 

Mercredi 24 Août 2016




1.Posté par NTS le 24/08/2016 14:28
Excellent article. Félicitation chers stagiaires. Notre pays semble atteindre un point de retour. Le désespoir habitent ceux qui l'aime. Au Sénégal, les volontaires vont se fatiguer car les villageois risquent de les décevoir. Par ailleurs, un mdéle de ce genre a aussi fait tache dhuile en Corée du Sud. Il s'agit du mouvement SAEMAUL UNDONG " mon nouveau village". Reconnu comme modéle révolutionnaire de dévelloppement à la base, il est consacré par les Nations-Unis. C'est un mouvement rural qui a transformé les villages corréens. Au Sénégal, le plus obstable à ces innovations sociales, c'est l'absence de générosité, de discipline et de rigueur. En tout état de cause, le dévélloppement est un passagé obligé pour mettre fin à la misére des villageois sénégalais!



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