Les vacances sans répit des élèves issus des villages, à Dakar : De petits commerces pour financer la rentrée

Dichotomie notoire entre les élèves des villes et leurs camarades venant des villages pendant les grandes vacances. Si les premiers nommés sont dans les colonies de vacances et /ou passent leur temps dans les plages et autres activités récréatives, la réalité est tout autre chez les seconds. Ces derniers sont contraints de mener un petit com- merce dans la capitale. L’argent gagné servira ainsi à l’acquisition des fournitures et au- tres petites exigences pour une nouvelle année scolaire. Dans ce groupe, les plus chanceux passent des moments de répit loin de leur famille, à la recherche de parents dans la capitale qui se chargeront de leur approvisionner en articles nécessaires à la rentrée des classes. Les autres, par contre, se convertissent en vendeurs à la sauvette de sachets d’eau , d’arachides grillés ...


Les vacances sans répit des élèves issus des villages, à Dakar : De petits commerces pour financer la rentrée
Sous le pont en construction de la Patte d’Oie, quartier dakarois. Il est 10 heures. Ici, l’ambiance est au rendez-vous. Un embouteillage causé par des voitures retenues par les gravas et autres débris qui en disent plus sur les travaux qui s’effectuent sur ce boulevard. L’endroit est donc propice pour un petit commerce à la sauvette. Et entre ces véhicules qui forment une longue file, une jeune fille de teint noir affiche des dents chocolatées qui renseignent sur ses origines (Ndlr : les habitants des régions du bassin arachidier ont, pour la plupart, des dents ocres dues au calcaire de la nappe phréatique de la localité).
Ndella Sène, c’est son nom, capitalise quatre années dans ce petit boulot. Cette habitante de Niakhar, région de Fatick, a bouclé 16 berges. Sa motivation est noble. «Je ne peux pas faire porter un autre fardeau à mes parents. En plus de devoir faire vivre mes frères et moi, les fournitures scolaires seraient une charge supplémentaire», se justifie-t-elle d’emblée. Très fière, elle ajoute : «Je vends des sachets d’eau et en cette pé- riode de chaleur, ça marche bien. Ce travail me permet avant la rentrée des classes, d’acheter mes fournitures, des habits, entre
autres besoins scolaires.»
Si Ndella est venu de son propre gré, Ibra, le jeune Saloum-Saloum, lui, a reçu les ordres d’un pater soucieux des études de son fils et très pauvre pour assurer les fournitures scolaires. La rentrée des classes ne coïncide pas cette année avec les récoltes et donc point de produits agricoles à vendre. Agé de 17 ans, le Bfem en poche, il doit faire la seconde dans un mois. A Dakar pour la première fois, il s’installe chez son oncle. Ce dernier a vite fait de trouver un fournisseur de marchandises pour son neveu. «Je vends à la fois des dattes, de l’arachide et de la lessive en poudre», renseigne cet adolescent. Et non sans préciser qu’il existe des risques et des difficultés dans cette activité. «Un jour, une dame qui peut avoir l’âge de ma mère m’a taxé de voleurs et j’ai échappé de peu au lynchage», se lamente-t-il.

Quand le séjour chez des parents en ville rime avec le fait de porter la charge des fournitures des vacancières

Une autre ruse est aussi trouvée par les villageois pour que leurs enfants puissent avoir leurs fournitures scolaires. Certains élèves sont envoyés chez des parents en ville pour passer les grandes vacances. «Ma tante m’avait promis de me recevoir chez elle, à Dakar, si je réussissais à l’exa- men de fin d’études élémentaires. Et comme mes camarades revenaient toujours des vacances avec des valises d’habits et des fournitures scolaires au complet, j’ai sauté sur l’occasion», a expliqué Astou Diouf. Cette petite fille de 12 ans est venue d’un village de Saint-Louis. Elle souligne, cependant, que son père fustige cette facilité qui anime les parents à vouloir pousser leurs enfants en ville.
A la Cité des impôts et domaines, Fatou Ndiaye, une vacancière, est d’abord réfractaire à toute conversation sur le sujet. Elle finira par cracher le morceau. «Je suis à Dakar depuis le mois de juin, ce qui est aussi le cas pour mes autres frères et sœurs. Mais nous sommes tous logés dans des familles différentes», explique-t-elle. 

Le calvaire des familles d’accueils

Les familles d’accueil souffrent grandement de ce phénomène des vacances en ville. C’est ce que raconte madame Sarr née Khady Traoré. «Les temps ont changé, les conditions de vie idem. La dépense quotidienne est déjà un casse-tête. Et si on doit prendre en charge cinq vacancières comme j’en ai chez moi, ça complique davantage les choses», dit-elle.
Elle précise que les dépenses seront doublées cette année. La fête de Tabaski coïncidant avec la rentrée des classes. «Je suis obligé d’acheter pour tout le monde pour la célébration de l’Aïd el-Kabîr et pour la rentrée des classes», clame Mme Sarr. Elle confesse qu’il est très difficile de garder l’enfant d’autrui. Pis, ces enfants, durant leur séjour, ne retiennent que les points noirs qu’ils se chargeront, volontiers, de raconter une fois chez eux. Et parfois, ce comportement peut mettre en mal les membres de la famille élargie. A cela, la dame ajoute «les nombreuses querelles et bagarres avec vos propres enfants qui ne peuvent s’épanouir dans leur propre maison.»

Libération
Jeudi 10 Septembre 2015




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