Si Bruno Diatta m’était conté


Si Bruno Diatta m’était conté
En ce jeudi de septembre, en cet après-midi d’hivernage, le carillon de la Grande Cathédrale sort de sa léthargie. Il geint avec un accent particulier. Pour qui sonne le glas? ai-je demandé, cherchant Hemingway. Silence, point de réponse. Pour qui l’âpre complainte, la douce complainte du choeur des prieuses? ai-je demandé à Birago Diop, écorchant quelque peu, son “doux chant des rameurs”. Silence… Et encore le carillon, et toujours la complainte…
 
Pour qui sonne le glas ? Alors de NDar-La-St Louisienne, accablée et grave, surgit l'Écho qui répond: “pour l’enfant né ici voilà sept décennies et que j’avais confié à la République”  L’Echo, encore lui, virevolte, franchit la Rue du 18 juin et s’engouffre dans le préau de Van Vo. Oui, ce Van Vo mythique où les fantômes de nos 11, 15, 19 ans hantent encore les classes de Mmes Laine, Mora, Dubruelh… de MM. Lasserre, Amadou Samb, Lansard et j’en passe.
 
Séquences d’un film, Tranches d’une vie tapissent ma mémoire. Et du  lot des souvenirs émerge l'année du bac que ceux de cette génération là abordaient, le coeur vaillant et le “diom” en bandoulière, avec - quand vient le temps des révisions - cette passion effrénée de dénicher, dans les bibliothèques et les librairies, les clés de succès que sont les précieuses annales de philo, maths, langues étrangères, histo-géo, etc. Avec aussi cet élan  généreux de partager sa trouvaille avec le condisciple, le camarade, l’ami.
 
Jurys, délibérations , mentions, ces mots ressassés en ces jours d’angoisse prennent tout leur sens dans le climat de saine émulation qui habitait alors les esprits.  Les années passent  Licence, maîtrise, doctorat. Les universités “restituent”aux familles leurs rejetons bardés des précieux parchemins , chacun  selon ses options.
   
Sciences Po Toulouse “livre” alors la tête bien faite à L’ENA de Dakar, laquelle, deux ans après, fait cadeau à L’Etat d’un Major de la Section diplomatique, un “rougeaud” aux grandes oreilles, quelque peu timide, le pas mesuré et malgré les apparences,  friand de  saines plaisanteries, des “mayés” dirait l’autre.
 
Bruno Diatta jette alors l’ancre au “Quai” de la Place de l'Indépendance, frappe à la porte de l'Hôtel des hommes et femmes du Savoir-être et du Savoir-faire, serviteurs des “Trois Tapis”, le vert des négociations, le blanc des réceptions et le rouge des honneurs. Ce parangon d'éducation et de civisme met le pied à l'étrier et se meut déjà comme poisson dans l’eau entre cabinets et services.
 
Senghor “sorcier sérère” et chasseur de têtes, peut-être inspiré par les pangoles, flaire un destin peu commun nommé… “Bruno”, organise le rapt, trace la carrière et en bénit les pas. Alors, le jeune fonctionnaire, discret et perspicace, prend la mesure de la mission, en définit le code, le style et en revêt l’habit qu’il ne quittera plus. La tâche est lourde voire périlleuse par moments mais Va pour l’Aventure avec pour compagnon de tout instant ce mot de Boileau “Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage”.
Pour Bruno, tout ne se passe pas seulement que sous les ors et lustres des palais et palaces et dans les grand-messes des conférences internationales. Les pistes et hameaux du Sénégal profond meublent aussi l’Agenda. Le temps passe. Avec Léopold, la leçon est sue quand la page se tourne. Abdou, Abdoulaye, Macky. Le Sénégal élit, le Temple “étrenne” son nouveau locataire. Bruno sacre.
 
Avec tact, il scrute, jauge, ajuste selon le tempérament, la personnalité, les desiderata mais pour cet adepte de la pantomime il y a l’immuable qui vaut pour tous ses Hôtes. Ils le savent et l’admettent, le jeu est à double sens et ils sont “fair-play”, Bruno imprime la marque et veille. Pour “ses” Présidents, le systeme Bruno est infaillible, les soucis sont  ailleurs.
 
Les mandats se suivent et ne se ressemblent pas. Pour Bruno l’Aventure demeure, conscient avec Aminata Sow Fall que “ceux qui agissent dans l'abnégation ne battent pas forcément le tam-tam dans le but de se faire voir et entendre”. Le temps passe. On blanchit sous le harnais.
 
Séquences d'un film, Tranches d'une vie… Un jour de 2012 à Addis Abeba , lors d'un Sommet de Chefs d’Etat, le temps d’une pause, nous avions ri de nos “bidiaws” en remettant le rétroviseur, comme bien souvent, sur les souvenirs du temps des culottes courtes. Comme bien souvent, ai-je dit. Oui, comme en ce vendredi 14 septembre chez Djibo, jour anniversaire du rappel à Dieu. A l’heure de partir, sur le pas de la porte, alors qu’ils étaient nombreux à se presser autour de toi, un geste et un sourire entendus pour me rappeler le rendez-vous convenu. Vendredi 21, une semaine jour pour jour, le temps s’est arrêté. c’est l’adieu à la place du rendez-vous. Dakar s’interroge et s'émeut et, avec elle, le pays.
 
Ce jeudi 27 septembre, sous le soleil pâle de cette fin de matinée, la Nation s’incline et témoigne avant que la fanfare ne ferme le ban et  lâche sa sonnerie aux morts  comme un “sanglot long de violon de l’automne”. Quand vient l'après-midi, sur le parvis de la vieille Cathédrale et alentour, ils sont là nombreux, anonymes et compatissants. Les notes du carillon se font plus langoureuses, la symphonie des orgues berce le choeur de prieuses. Puis le silence…avant que ne perce la voix fluette de la fille pour l’adieu à papa. L'Écho, dans son ultime tourbillon, emporte le message au fin fond de la sylve endeuillée de Cabrousse où ce soir le danseur d’ Ekonkone n’aura pas le coeur à la fête. Et sur les berges de NDar Guedj où la lune, ce soir, s’habillera de sa robe d’eclipse. Oui, le message poignant de l’adieu à papa qui clôt une vie et ouvre une légende.
 
Salut à toi, Légende de la République, salut à toi Maître des “Trois Tapis”, salut à toi Icône d’une Génération ! “Mane nobiscum cur vesperaret” (Reste avec nous car il se fait tard).
 

Mahmoudou Cheikh KANE
Conseiller des Affaires Étrangères à la retraite
 
Dimanche 14 Octobre 2018




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