Sénégal : Chronique d’une démocratie déconsolidée par la pratique de ses acteurs.


La démocratie sénégalaise, jadis chantée pour sa qualité, sa stabilité et l’originalité de son modèle, semble aujourd’hui se débattre dans des difficultés inextricables en raison d’une grave et profonde perte de sens de la pratique de ses acteurs politiques. Le Sénégal, notre pays, si cher à nous, pionnier et chantre avant-gardiste des valeurs démocratiques universelles, marque le pas depuis quelques temps et se positionne comme une vitrine démocratique craquelée. Grandeur et décadence d’un modèle démocratique qui a toujours fait la fierté de tout un continent. Bien avant l’appel de La Baule pour une démocratisation des pays africains, invités alors à s’engager dans une véritable politique de refondation de leurs institutions, le pays de Senghor et de Dia avait, déjà, depuis fort longtemps, pris le train de l’histoire des nations démocratiquement émancipées. C’est dire alors que nous étions bien à une longueur d’avance de nos pairs africains qui étaient plus préoccupés à soigner les plaies de leurs convulsions sociales sans fin et autres guerres civiles, plutôt qu’à s’attaquer aux vrais défis et enjeux du développement économique. 
Aujourd’hui, force est de constater pour le regretter que dans notre cher pays, l’état de droit et la gouvernance vertueuse, semblent avoir du plomb dans l’aile. La judiciarisation abusive et tendancieuse des dossiers politiques, fausse le débat public et altère la qualité des rapports entre acteurs. L’exception sénégalaise chantée partout dans le monde, semble être fortement secouée sur ses bases avec un filet de réformes et d’actes plus déconsolidants que générateurs de valeurs et symboles démocratiques. Nos institutions ne rayonnent plus comme avant. Elles ne sont plus aussi reluisantes qu’elles ne l’étaient à une certaine époque. Il nous faut renouer donc avec notre prestige institutionnel perdu. Et pour cela, il nous faut questionner le rapport de notre classe politique à l’idéal républicain. Nos hommes politiques, du moins pour nombre d’entre eux, n’ont de la démocratie qu’une vague conception à faible dose républicaine. Le jeu de chaises musicales auquel nos hommes politiques nous ont habitués, semble être leur tasse de thé. La transhumance-cette abominable pratique des hommes et femmes politiques sans vergogne, en quête permanente de pâturages, qui, pour survivre et rester dans les positions douillettes du pouvoir, qui pour échapper aux représailles de dame justice après avoir passé des années à siphonner les pauvres deniers du très conjoncturé contribuable sénégalais-transforme la valeur humaine en une piètre marchandise, bref, un vrai mercato politique en mode sénégalais. 
C’est donc dire que pour renouer avec les bonnes pratiques démocratiques, il faudra restituer l’éthique au cœur des dynamiques et interrelations politiques de la base au sommet. Et comme le dit un proverbe chinois, << le poisson pourrit toujours par la tête >>.Assurément, notre pays a vraiment mal à la tête. A l’évidence, rendons-nous compte alors, qu’au-delà de la cosmétique institutionnelle, et de l’agenda républicain qui fixe les grands principes, la démocratie est avant tout une affaire d’hommes et de femmes loyaux, intègres et qui honorent un minimum de code éthique. Plus qu’une simple approche procédurale, le projet démocratique en soi et en tant que mode opératoire d’allocation et de gestion des responsabilités publiques dans une nation, procède avant tout de l’idéal humain. Autrement dit, les règles non écrites en l’espèce sont plus importantes que les textes et les principes énoncés. En dépit de l’habillage démocratique du modèle sénégalais très séduisant du reste, ce dernier reste vulnérable et peu résilient face à des contingences électorales ou à des transformations structurelles. A ce stade précis de mon développement, me viennent à l’esprit cette sage voix du très réputé juge Kéba Mbaye sur l’éthique. En effet, une brève piqûre de rappel à tous ces hommes et femmes politiques, nous aiderait à comprendre l’importance de valeur cardinale en politique. D’outre-tombe, la majestueuse voix du juge Kéba Mbaye nous parle, pour rappeler à tous ces hommes et à toutes ses femmes engagés en politique ceci : << Que ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir et en abusent, ou qui se sont enrichis en foulant aux pieds les règles d’éthique se le disent bien ; Ils n’inspirent aucun respect aux autres sénégalais. Or, le respect de ses concitoyens est le bien le plus précieux du monde. C’est le seul qu’il faut désirer, qu’il faut rechercher. C’est le seul qui est admiré. Le respect du au pouvoir ou à l’argent, s’il a un autre nom. S’il s’appelle crainte ou courtisanerie, c’est que les paramètres éthiques qui les régissent se sont déréglés. Or, la crainte et la courtisanerie sont détestables parce qu’elles avilissent celui qui les inspire comme celui qui en est la proie. Elles ne durent que le temps que dure la force ou la fortune qui les motivent, c’est à dire peu; Et elles s’effacent avec la perte du pouvoir ou de l’argent >>. 
Cette longue mais o combien belle citation de l’honorable juge Keba Mbaye, témoigne de l’importance de l’éthique en politique pour promouvoir la vertu dans l’espace public au détriment du vice. Elle nous instruit de la nécessité de valoriser la pratique politique par le renforcement de notre rapport à l’honneur plus qu’aux honneurs et au prestige. 

En vérité, il ne saurait y avoir de progrès fondateur d’une véritable éthique de responsabilité et de gestion, sans une véritable révolution des mentalités centrée sur un renversement du rapport au pouvoir de notre classe politique toute entière. En clair, il faut que nos gouvernants comprennent qu’ils sont dans une relation contractuelle de travail. Le peuple qui est le souverain avec qui ils ont signé ce contrat de gouvernance à durée déterminée, les attend au tournant pour évaluer leurs performances en matière de progrès économique et de renforcement des acquis démocratiques. C’est dire donc que le peuple qui confère la légitimité à ces hommes et ses femmes par le suffrage universel, observe, prend note et prend date pour livrer son message au soir du scrutin pour prolonger le bail avec les tenants actuels du pouvoir ou changer de cap suivant le principe majoritaire admis en démocratie. La fonction prestigieuse et noble de président de la républicaine est une importante charge certes mais ne doit pas nous faire oublier qu’elle n’est qu’une position institutionnelle permanente à incarnation humaine variable. C’est pourquoi, pour une bonne exécution de cette grande mission de service public au bénéfice exclusif de l’intérêt général, il nous faut absolument tenir compte de 2 préalables essentiels : la compétence et la vertu. Thierno Souleymane Bal nous invitait déjà en 1776 avec la révolution torodo à « détrôner tout imam (gouvernant) dont vous voyez la fortune s’accroître indûment confisquez l’ensemble de ses biens ; Combattez-le et expulsez –le s’il s’entête » Autant dire qu’avec des hommes vertueux qui s’engagent par devoir et compétents, le progrès social sera forcément au rendez-vous. Ce changement fondamental de paradigme améliorera à coup sûr la qualité de notre démocratie. L’éthique retrouvera toute sa place dans l’espace public et imposera une meilleure distribution des responsabilités, bref un code d’intégrité qui soumettra dès lors tout détenteur de charge publique à honorer de manière vertueuse, le contrat social qui le lie à la collectivité. Nous devons alors apprendre à être plus honnêtes en tout temps et en tout lieu mais surtout être intègres ; L’honnêteté signifiant ici la capacité permanente d’un individu à dire la vérité aux autres et l’intégrité, sa propension quasi-systématique à toujours se dire la vérité et éviter autant que faire se peut de se dédire ou de se mentir, bref, réduire l’écart entre le dire et le faire. 
Les gouvernants sont débiteurs de nos aspirations et de nos attentes et ils ont l’obligation contractuelle et incompressible de nous servir et non de se servir. 
A ce titre, il faut déplorer la monétarisation outrancière des rapports politiques qui ravale certaine catégorie de citoyens à un vulgaire statut de bétail électoral, surtout en période de compétition électorale.
Maintenir le statuquo avec des hommes et des femmes du système et n’espérer en retour aucun changement significatif de paradigmes ou faire le choix de la rupture et choisir le candidat le plus apte à rassembler les sénégalais et à nous conduire vers le bonheur national en confiant les clés de la maison Sénégal à un homme vertueux, compétent , patriote et intègre qui nous rendra enfin notre fierté nationale et qui saura réveiller le génie qui dort en chacun de nous dans le strict respect de nos identités remarquables. 
Dans un contexte électoral surchauffé par des affrontements et émaillés de violence ayant malheureusement engendré mort d’hommes, il est plus qu’urgent d’inviter tous les hommes politiques à relever le défi de la respectabilité démocratique de notre vivre ensemble. Soyons sereins et gardons à l’esprit que ce pays transcende nos ego et personne n’a le droit d’en saper les fondements axiologiques de son existence. 
Le 24 février 2019 ne saurait être un horizon indépassable. 
Travaillons alors à cultiver la paix et à rendre à notre pays sa dignité ainsi que ses lettres de noblesse par des attitudes politiquement responsables. 


​​​​​​ Amadou Moustapha DIOP
​​​​​​ Ancien de l’UGB/SANAR 3
​​​​​​​ Observateur politique
​​​​​​Militant de la société civile/Lanceur d’alerte
 
Dimanche 17 Février 2019




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