Procès pour terrorisme : Imam Ndao et Cie face à leur destin, le Sénégal retient son souffle


Ouvert le 9 avril, le procès de l'Imam Alioune Ndao et de ses co-accusés devant la chambre criminelle spéciale aura tenu en haleine l'opinion. Les débats d'audience ont duré près de deux mois et le moins qu'on puisse dire, c'est que le procès a été riche en révélations. Les différentes parties ont chacune brandi leurs arguments pour tirer la couverture de leur coté. En effet, après les interrogatoires des 29 accusés qui se sont succédé à la barre, le substitut a fait son réquisitoire le 14 mai. Après quatre tours d'horloge, Aly Ciré Ndiaye a "distribué" des peines selon la responsabilité de chacun.

Le proc', distributeur de peines

Ainsi, pour le représentant du ministère public, les nommés Pape Kibily Coulibaly, Ibrahima Ndiaye et El Hadji Mamadou Bâ dit Mame méritent 15 ans de travaux forcés. Il estime qu'ils sont coupables d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Ces trois accusés sont soupçonnés d'avoir tenté de rallier les groupes jihadistes, notamment la branche libyenne de l'Etat islamique sous l'influence de Moustapha Diop alias Abou Hatem. Accusation qu'ils ont battue en brèche, même s'ils reconnaissent avoir eu des discussions avec l'émir jihadiste sénégalais.

Saliou Ndiaye, alias Baye Zale, et Moustapha Diatta n'ont pas non plus eu l'occasion de grossir les rangs des groupes jihadistes. Pour autant, l'accusation est convaincue qu'ils représentent une menace pour la sécurité du Sénégal. Pour cela, il a requis contre ces deux accusés 20 ans de travaux forcés pour association de malfaiteurs en relation avec une activité terroriste, financement du terrorisme et apologie du terrorisme. Devant la barre, Saliou Ndiaye a reconnu avoir été déconseillé de se rendre en Afghanistan par l'Imam Alioune Ndao. Son projet d'aller en Syrie en tant que casque blanc a capoté à cause du défaut de visa. Moustapha Diatta pour sa part a été perdu par ses accointances avec l'aile sénégalaise de la Libye, mais aussi pour avoir soi disant essayé de trouver des documents administratifs à une femme et une fille du jihadiste sénégalais Abdallah Bâ. 

Ingénieur en Génie civil, Alioune Badara Sall risque cinq ans de prison pour blanchiment de capitaux. Le procureur reproche à cette connaissance de Matar Diokhané d'avoir empoché 18 mille euros de ce dernier. Argent qui lui a été remis par la deuxième épouse de l'homme qui est considéré comme le porteur d'un projet funeste d'Abubakar Shekau au Sénégal. 

Les co-épouses Coumba Niang et Amy Sall de leur coté ont vu le procureur requérir  5 ans de prison pour la seconde pour blanchiment de capitaux et 10 ans pour la "awo" pour financement et blanchiment de capitaux. Amy Sall a nié être au courant d'un quelconque projet terroriste de son époux Matar Diokhané. En ce qui la concerne, Coumba Niang par laquelle a transité 65 mille euros, à elle confiée par son époux, a confirmé avoir gardé cet argent par devers elle. Elle n'endosse cependant pas la responsabilité, voire le rôle de caissière de la supposée cellule jihadiste en gestation au Sénégal. 

Le présumé porteur de ce projet et onze de ses pairs risquent la réclusion criminelle à perpétuité. Le substitut du procureur Aly Ciré Ndiaye a eu la main très lourde contre Diokhané et ses co-accusés dont le parcours se ressemblent en ce sens qu'ils ont tous fréquenté de près un groupe jihadiste notamment Boko Haram, même si certains d'entre eux ont soutenu mordicus que tel n'est pas le cas.

Contacté depuis la Mauritanie par Moustapha Diop, Matar Diokhané a accepté d'enseigner le Coran à Handaq, dans l'agglomération d'Abadam du Nigeria, non loin de la frontière avec le Niger. S'il a avoué avoir fait le déplacement dans cette bourgade du Nigeria, celui qui se fait appeler Aboul Anwar (le père des lumières) dément toute relation avec Boko Haram et ses chefs. Pourtant, il a rencontré le chef du groupe jihadiste donné pour être le plus violent du monde. Mais cette rencontre, Matar Diokhané l'explique par la nécessité de “libérer des compatriotes” qui étaient retenus contre leur gré dans les territoires de Boko Haram à Sambisa.
Des compatriotes ? Il fait allusion à Mohamed Ndiaye dit Abou Youssouf, Ibrahima Diallo ou Abou Omar, Oumar Yalla alias Abou Hafs, Mouhamed Mballo alias Abou Zilkifli, Ibrahima Mballo dit Abou Moussa, Moussa Aw, Lamine Coulibaly alias Abou Jafar et Moustapha Faye. Suite à un différend avec Aboubakar Shekau sur la détention de la carte d'identité qu'il juge inappropriée pour un musulman, mais sur la notion de takfir (excommunication), ils ont dû appeler leur compatriote Matar Diokhané au secours, alors que ce dernier était à deux jours d'eux. Conduit à Sambisa, l'accusé Diokhané a reconnu avoir plaidé en faveur de ses “concitoyens” dont il a obtenu la “libération” en plus de 6 millions de nairas (15 millions FCFA) en guise de ticket de transport. Mais pour l'accusation, cet argent est destiné à implanter une base jihadiste au Sénégal. Ils ne faisaient pas partie du groupe “sauvé” par Matar Diokhané, mais Abdoul Aziz Dia et Latyr Niang qui sont rentrés de leur propre chef risquent tout de même la perpétuité pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, actes de terrorisme par menace ou complot, financement du terrorisme, blanchiment de capitaux et apologie du terrorisme.

Et Matar Diokhané attira l'Imam Ndao dans le dossier

Avant de quitter le Nigeria pour le Sénégal courant juillet 2015, Matar Diokhané et onze de ses compatriotes se sont accordé sur des règles à suivre. Autant dire que le maitre coranique a soumis ses “sujets” à des exigences inviolables. Étant entendu qu'il leur a sauvé la vie, ils devaient lui faire entièrement confiance et l'une de ses conditions voulait qu'ils soient confiés à un “sage” à leur retour au Sénégal. Et ce sage se trouvait être Imam Ndao. Selon le substitut du procureur, c'est à cet instant que le coordinateur de la Ligue des Imams et prédicateurs du Sénégal/section Kaolack dont l'arrestation est intervenue dans la nuit du 26 au 27 octobre 2015 est entré dans le dossier. Il risque une peine de 30 ans de travaux forcés. 

D'après Aly Ciré Ndiaye, c'est à l'Imam Ndao que Matar Diokhané voulait confier les combattants sénégalais pour éventuellement installer une cellule jihadiste. Le procureur en veut pour preuve les innombrables aller-retour de Matar Diokhané à Kaolack pour rencontrer le religieux après son retour du Nigeria. Le représentant du ministère public cite également les remises de sommes d'un “boy” de Matar Diokhané à l'Imam Ndao. En effet, le nommé Ibrahima Diallo a rencontré le notable de Ngane à trois reprises et lui a remis la somme de 9 millions FCFA répartie comme suit : les 8 lui étaient confiés tandis que le million restant lui a été prêté. Ce que Ibrahima Diallo alias Abou Omar et l'Imam Ndao ont confirmé même s'ils ont indiqué que cette transaction n'avait rien à voir avec les appréhensions du procureur. Qu'à cela ne tienne, ils seront édifiés sur leur sort par la Chambre criminelle.

Les juges seront aussi attendus sur le sort de huit des accusés qui semblent être tombés dans cette affaire comme un cheveu dans la soupe. C'est du moins l'avis du procureur qui a requis la relaxe pour Mor Mbaye Dème, Marième Sow, Ibrahima Hanne, Alpha Diallo, Omar Keita, Mamadou Moustapha Mbaye, Boubacar Decoll Ndiaye et Daouda Dieng. De tous les accusés, Daouda Dieng est le seul à avoir comparu libre. Peut être ce 19 juillet, le frère cadet de Cheikh Ibrahima Dieng du nom d'un jihadiste sénégalais mort au Nigeria, sera blanchi. Il a été appréhendé et inculpé pour avoir avoir...aimé la publication sur Facebook du jihadiste Abou Hamza Ndiaye. Laquelle publication a déclenché la procédure contre Matar Diokhané et son groupe.

Relaxe pour tout le monde

Lors des plaidoiries, les avocats de la défense semblent s'être passé le mot pour dénoncer l'absence de preuve dans le dossier. Pour les robes noires qui étaient plus d'une soixantaine, le parquet et le juge d'instruction ont manqué de sérieux dans le traitement de cette affaire. Les robes noires ont reproché au magistrat instructeur Samba Sall de s'être contenté d'un plagiat du réquisitoire définitif du procureur en lieu et place d'une instruction sérieuse. Ils ont aussi dénoncé ce qu'ils ont appelé un “procès contre les salafistes” et "l'Islam”. Ils ont plaidé la relaxe pure et simple pour tous les 29 accusés. La décision est dans le camp de Samba Kane et de ses assesseurs. Le Sénégal retient son souffle...

 
Jeudi 19 Juillet 2018




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