Limogeage de ABC : vers un feuilleton politico-judiciaire autour du mandat du médiateur de la République


Limogeage de ABC : vers un feuilleton politico-judiciaire autour du mandat du médiateur de la République
Le Secrétariat exécutif national de l’Alliance pour la République (SEN-APR) a fait publier ce jeudi un communiqué, réclamant la tête d’un Alioune Badara Cissé auteur présumé de « sorties récurrentes…contre les institutions de notre pays…constituant en même temps une atteinte grave au devoir de réserve que lui impose ses hautes fonctions ».

Première incongruité : le document (comportant cette faute d‘orthographe : « que lui impose ses hautes fonctions ») ne renseigne guère sur les circonstances de lieu et de temps pour qu’on sache l’identité des censeurs. Cette décision du SEN engage-t-elle la majorité de ses membres ou a-t-elle été prise dans le secret du cabinet du leader par celui-ci, de concert avec son entourage de premier cercle ?

L’autre implication que postule le fait est qu’on risque d’assister, après cet avertissement, à l’exclusion définitive de Alioune Badara Cissé, qui avait cessé d’être coordonnateur national de l’Apr depuis novembre 2013. ABC perdait dans la foulée sa qualité de membre du directoire et du SEN du parti au pouvoir. Après ces sanctions, l’ex-chef de la diplomatie sénégalaise s’est emmuré dans un long silence avant d’être nommé médiateur de la République en 2015. Cependant, le contexte de 2013 n’est pas celui de 2018, à quelques encablures de la présidentielle où toute exclusion d’un éminent-fondateur peut avoir un effet d’entrainement, électoralement contre-productif, sur les nombreux frustrés. Comprenant que le vent tourne en sa faveur avec les querelles de préséance causées par le choc des ambitions de la base au sommet, Alioune Badara Cissé, qui avait, en réalité, reculé pour mieux sauter, multiplie les assauts aux fins de pousser ses adversaires à la faute.

Qui plus est, le 5 aout 2015 (par décret n° 2015 – 1150), il a été nommé à ce poste sur la base de la loi n° 99-04 du 29 janvier 1999 abrogeant et remplaçant la loi 91-14 du 11 février 1992 instituant un médiateur de la République.

En effet, selon les dispositions de cette loi, il est quasi-impossible pour le président de la République de limoger ABC, dont le mandat est hermétiquement verrouillé. Celui-ci ne reçoit d’instruction d’aucune autorité et il ne peut être mis fin à ses fonctions avant l’expiration du délai imparti qu’en cas d’empêchement constaté par un collège présidé par le président du Conseil constitutionnel et comprenant, en outre, le président du Conseil d’Etat et le Premier président de la Cour de Cassation, saisis à cet effet, par le président de la République.

 Or, par loi organique n° 2008-35 du 08 août 2008, la Cour suprême, qui n’existait plus depuis 1992, avait été ressuscitée après regroupement du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation. Mieux, en janvier 2017, une réforme est intervenue pour abroger cette loi organique de 2008. Dès lors, la Cour est juge, en premier et dernier ressort, de l’excès de pouvoir des autorités administratives. Elle est compétente, en appel, dans le contentieux de l’élection des membres des assemblées autres que l’Assemblée nationale.

 Ainsi, sauf changement majeur glissé dans le nouveau texte, le chef de l’Etat n’a pas les coudées franches pour éjecter Alioune Badara Cissé, là où la dernière réforme portant sur l’institution date de 2004 et ne touchait pas au mandat.

Dernière question : quelle loi encadre le « devoir de réserve » évoqué dans le communiqué du SEN de l’Apr alors que l’article 6 du texte de 1999 donne au médiateur la liberté d’émettre ses opinions ?
Vendredi 4 Mai 2018




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