Lettre Ouverte à Ngoôr (Par Mahmoudou Cheikh Kane)


Je t'écris, NGoôr, parce qu'il nous est venu, depuis quelque temps déjà, un hôte indésirable qui force notre hospitalité et menace notre convivialité. Il rôde, hante notre espace, régente notre quotidien et le bouleverse. Quand il ne tue pas, il sème parmi nous le désarroi, la suspicion, la stigmatisation, nous impose la distanciation et que sais je encore ? Il a pour noms CoronavirusCovid/19 ou, plus familièrement, Corona.

 

Je t'écris par ces temps de trouble où le muezzin de l’aube clamait sa solitude en une journée de Korité sans “ndeweneul”, où l'angélus du matin peine encore à se remettre des frustrations d'une Pâque confinée et d'une Pentecôte sans Popenguine.

 

Ma missive te parviendra en ces jours de peine où, aux portes de l’hôpital, l’horloge du décompte macabre sonne l'heure des deuils à la sauvette. Ce n'est pourtant pas faute  de sacrifice de la part des soignants confrontés à mille et une urgences et exigences qui portent  l'empreinte de Corona.

 

Je t'écris parce que Grand-place est vide, désespérément vide. “La Nation” - comme tu aimes à l'appeler - ne voit plus ses habitués, ces  citoyens (terme que tu chéris entre tous), ces inséparables compatriotes, hommes et femmes, originaires des divers coins du pays, qui ne s'identifient ni par l‘ethnie, ni par la langue, ni par le culte mais qui ont plutôt fait de leurs différences le ciment d’un “commun vouloir de vie commune”. Ce sceau que Corona n’abîmera pas, ils s'évertuent chaque jour à l'honorer et le préserver par l'esprit qui doit sous-tendre la patrie et ignorer la politique telle que pratiquée sous  nos cieux.

 

Le temps s'est arrêté l'autre jour, samedi 04 avril 2020, sur le grand boulevard où Corona nous a ravi l'éclat des 60 bougies de notre  indépendance : pas de tribunes, point de fanfare, point de majorettes. Au pied de l'Obélisque, Vieux Yéro Kouna, ancien porteur de pancartes  et fervent militant de l'indépendance immédiate, s'est arrêté un instant, a juste fixé du regard le lion et le baobab, symboles de notre souveraineté puis est reparti quelque peu désabusé, nostalgique de ses vingt ans et d'une certaine histoire.

 

Trois semaines après, à la fête du Travail, Yaguemar, Amélie, Mbouré Coumba, Sériba et Basile, en syndicalistes irréductibles, ont “fait le pied de grue” pendant longtemps devant le siège de la Centrale dans l'attente du rassemblement. En vain. Ils ont alors rangé banderoles et sifflets et remis à plus tard le Cahier et ses doléances ; Corona est encore  passé par là.

 

De cet hôte étrange et importun, objet de nos préoccupations présentes, je reparlerai plus loin pour que tu prennes la pleine mesure de nos attentes et de nos espoirs pour le jour d'après car l'avant Corona avait fortement marqué le pays et pas toujours en bien.  À Grand-place / La Nation, tu le sais bien, la question - que nous arrive-t-il donc ? - était déjà sur toutes les lèvres lorsque survint Corona. Et qu'en est-il de la réponse ?

     

Cette réponse, cherchons-la dans les choix, les actes, les actions de chacun de nous et de tous; interrogeons-nous sur la “prolifération” des roublards, des thuriféraires, des maîtres chanteurs et autres manipulateurs qui ont pignon sur rue.

 

A la vérité, la réponse se trouve un peu partout  et plus particulièrement du côté de cette politique dont un de nos vieux érudits du Fouta - aujourd'hui disparu - disait, non sans humour, en poular, - “ wona politique ko boné tigui ” - “politique non mais vrai malheur ! Oui, cette “ politique-boné tigui ” qui engendre des “monstres” qu'elle jette dans un environnement par trop “pollué” : on ne se tolère plus, on s'épie, on s'étripe, on s'entretue de diverses manières; il s y ajoute que l'arrogance, la forfanterie, l'insulte, les invectives, le déballage, - toutes choses qui nourrissent l'indécence - ont cours au quotidien jusque dans les couloirs, bureaux et tribunes de nos institutions. Et bien souvent dans cette partie-là, comme dans d'autres, pouvoir et opposition font match nul.                                          

 

C'est peut être de ces moeurs politiques que parle la Citoyenne Édile de Dakar quand, récemment, dans une visite pour des condoléances elle a, selon la pressedéclaré: “Nous les femmes devons aider à changer les moeurs politiques”. Il  y a donc bien un mal qui requiert remède et sans tarder.

 

Du côté de certains de nos médias c'est à qui donnera plus de saveur au ridicule et à  l’extravagance. En effet, loin de promouvoir l'information et l'éducation on y fabrique un citoyen, label des studios et plateaux de la starmania, du buzz-business, du peopolisme qui privilégient mimétisme et artifices prenant ainsi une large part dans l'Émergence et le développement du Grand Théâtre qu'est devenu le pays.

 

Ce Sunugal des planches où se jouent comédies, tragi comédies et drames de mauvaise facture dans lesquels les acteurs rivalisent d'adresse est le reflet d'une société en perte de repères gangrenée par  le maa téye et par une corruption endémique; une société où sévit  un terrorisme qui n'a rien à envier à celui des barbus à la kalachnikov et qui se traduit par tant d'atrocités que subissent des victimes souvent - dit-on - dépouillées, décapitées ou démembrées. Inqualifiable, intolérable, simplement. Incroyable aussi, s‘il faut en juger  par l'attitude de certains proches apparemment plus prompts à occuper caméras et micros qu'à faire leur deuil après un drame où, bien souvent, la victime est la grande oubliée.

 

Mais que nous arrive-t-il donc ? Je te dirai qu’avec toi et moi et certainement bien d’autres, l'Archevêque de Dakar s’interrogeait, il ya peu, sur “des comportements dont parlent les médias et qui ne font pas honneur à notre pays” (cf cérémonie de l'école la plus propre et la plus verte) en écho aux alertes répétées des Khalifes généraux et autres dignitaires religieux et coutumiers sur le trop plein de maux de toute nature qui nous interpellent tous.

 

Je t'écris, NGoôr, à propos d’un peuple en errance à la recherche d'un but avec une foi bien mise à mal et qui se retrouve embarqué dans le train d'une Émergence en question  avec comme viatique amoul problème, égrenant son chapelet de lamentations avant de descendre en gare de yalla bakhna.

 

Je te parle de ces citoyens et citoyennes en quête de considération, d'équité et d'attention simplement et dont le délégué Citoyen “diakhlé”, après avoir cherché pendant longtemps l'adresse de Citoyen Volonté politique (CVp), l'a enfin rencontré et s'est vu rassurer en ces termes : “ La grande politique c’est faire en sorte que chaque matin les sénégalais, hommes et femmes et leurs familles, sentent qu'on leur prête attention”. Ces mots,  assurément précieux, prononcés  -  pas par n'importe qui  -  le 04 mars dernier (cérémonie de l'Acte 2 de la Délégation de l'Entreprenariat Rapide / DER ) qui sonnent comme un aveu de déficit de gouvernance, mériteraient bien de figurer au fronton des édifices de tous les services de l'Etat et d'être lus en bréviaire au début de toute séance de Conseil des ministres hebdomadaire comme cette leçon de morale quotidienne écrite au tableau noir  tous les matins et que les écoliers de l'époque se devaient de recopier, apprendre et retenir pour la classe du lendemain.

 

Au moment où de par le monde, l'attention, la discipline, la générosité et la solidarité sont portées en étendard en riposte à Corona et à ses méfaits, on peut espérer que ce mouvement sera une opportunité pour que l’esprit qui semble animer les propos de CVp fasse éclore des initiatives et actions  concrètes et durables au profit de tous. Quoi qu’il en soit, cet élan d'altruisme, sous la pression du virus, vient comme une juste - mais hélas circonstancielle - rémission des souffrances nées de cette “mondialisation de l'indifférence”  que le Pape François ne cesse de déplorer et qui aura généré , partout, tant de vies précaires,   tant de démunis, ces “blessés de la vie “comme les appelait le charismatique Jean Paul II dont l'intérêt pour la détresse humaine n'a jamais faibli tout au long de son pontificat.

 

Il y a assurément en tout cela de quoi faire réfléchir et inspirer tout gouvernant quant à  l'impérieuse nécessité de prévenir et prévoir quand on a le privilège de l’exercice du pouvoir  ou que l'on en a l'ambition.

Ce disant, je m’en voudrais, NGoôr, de ne pas partager avec toi ces extraits d’une contribution en ligne d’un Citoyen, ministre jusqu’à une époque récente et responsable… politique, parlant de prévention en situation d’urgence à propos de la pandémie : “les autorités, chacune à son niveau, sont les premières responsables; elles ne devraient pas être aphones, laxistes, frileuses de mesures même coercitives qui peuvent sauver des vies, empêcher la propagation de la maladie et elles devraient  donner l’exemple lorsqu’elles doivent gérer des décès et autres événements familiaux. Il n’est pas possible de reprocher aux populations certains débordements si des autorités elles-mêmes en font de même; cette période est propice pour que chacun fasse son autocritique individuelle et change radicalement sa manière d’exercer l’autorité qui lui est confiée”.

  Que dire, NGoôr, sinon que les autorités ici visées devraient  bien méditer ces propos dont l'auteur fut dans une vie antérieure… un dompteur de lions. Alors, gare aux incorrigibles!

 

Pour en revenir à la riposte contre le virus au niveau planétaire, il faut souhaiter que ce  brusque regain d'intérêt pour l’humain et pour une politique sociale digne de ce nom de la part des gouvernants et de leurs pourvoyeurs d'aides puisse être pérenne et tout simplement dicté par la raison. Volens nolens, il restera à l'actif de Corona dont tu me diras qu'il a décidément tous les visages. Oui, en effet, il a tous les visages ce virus, du meilleur au pire et comment ne pas le discerner même s'il nous a tous “masqués”.

 

Tu  auras noté également, NGoôr, qu’en entrant chez nous, avec la menace en bandoulière,    ce Corona aura été, pour ainsi dire, une grosse aubaine pour Citoyen Vp qui a été souvent en peine dans ses appels au “dissoo” et  auprès de qui il a poussé comme par enchantement  nombre de Citoyens de différentes chapelles dont certains étaient visiblement heureux d'être sous les feux de  l'actualité  dans les salons feutrés de Keur Goumag, à la faveur d’une consultation sur l’invasion d’un virus que personne n'a vu venir et contre lequel les programmes de riposte se déclinent en milliards et en containers d’aides alimentaires, de quoi  aiguiser les appétits.

 

Ce  qui demeure constant c’est que ce Corona aux multiples facettes est une calamité que l'urgence commande de bouter hors des frontières. Demain, quand il ne restera de lui qu'un douloureux souvenirnul doute que l’on abordera une ère cruciale. L'ère des ruptures. Celle d’un nouveau départ (encore un ! me diras-tu)  qui s’imposera alors à nous comme partout ailleurs à partir des leçons apprises, des signaux reçus et des séquelles laissées.

En ce qui nous concerne, cela ne peut se faire, tu en conviendras, sans une sorte d’Opération “Propreté citoyenne”(OPc). Oui, changer ou sombrer. La pérennité de tout effort, de toute action bénéfique du gouvernant, la garantie de succès pour tout aspirant à la gouvernance et la sécurité sur tous les plans pour le citoyen sont à ce prix.                     

 

A l’évidence, NGoôr, l’OPc en question ici ne doit en rien ressembler au feu de paille du “cleaning day” de février dernier dont la plupart des acteurs ont vite fait de jeter le manche après la cognée, une fois caméras et micros partis. Non, assurément. Il  doit s'agir d’une profonde introspection, celle-là même fondée sur le constat courageux et  sincère que nous devons nous “assainir “, rompre avec les maux du présent en les confinant dans les poubelles du passé et consentir à ce pays qui nous aura tout donné, tout ce qu’il est en droit d’attendre voire d’exiger de nous.

 

Il me souvient, à cet égard, que cette année 2020 avait pourtant commencé sous d’heureux auspices : le couronnement d’un enfant du pays qui nous a offert un ballon d’or en étrennes en nous rappelant par la même occasion qu’il ya bien, ici et ailleurs, des concitoyens et concitoyennes de tout statut et de tout niveau qui, en toute retenue et avec générosité, donnent à notre Sunugal, chaque jour, des motifs d’espoir et de fierté, parce que encore attachés aux valeurs que sont, entre autres, la discipline, l’engagement, la loyauté et le sacrifice pour le bien commun.

 

Ces valeurs , à notre portée, devraient seules prévaloir dans la nouvelle aventure que nous devrons entreprendre en toute communion pour notre bien être à tous et donc celui de notre pays. Des urgences sont là et il se fait  tard . Aussi, tout en tirant leçon de ce que Corona nous  impose déjà et de ce qu’il nous laissera de pire comme de meilleur, une fois parti, tirons rapidement et résolument les rideaux sur le spectacle peu réjouissant du Sunugal des planches rythmé par le tohu bohu permanent auquel concourent et nous convient nombre d'amuseurs politiques et autres qui ne semblent pas mesurer les risques encourus et le temps qui passe. Oui, il se fait tard, NGoôr . Caaxane faakhé!

 

L'après Corona sera donc ce que nous en ferons.. Ce disant, il m’est revenu que Niokhor de Fandène et Emile de Mont-Rolland, tes parents, mes cousins du pays sérère, trouveraient des vertus thérapeutiques au ngourbane contre toutes les maladies que l’on peut imaginer et chercheraient donc à en vendre la formule. Tièye séréreyi !

 

Donne-leur alors l’adresse de Grand-Place-La-Nation où, le moment venu, ils seront conviés à faire un exposé sur leur trouvaille et, peut être, auront-ils  aussi la chance de remporter, un jour prochain, le Grand Prix du Consommer sénégalais que Citoyen Vp pourrait être amené à instituer à en juger par son plaidoyer de l’autre soir dans lequel il invite à:”développer un état d’esprit de nature à faire ancrer durablement une culture du produire et consommer sénégalais”  avec la conviction que : “consommer sénégalais est l’affirmation d’une véritable culture de souveraineté économique”.

 

En attendant, qu’ils nous rejoignent dans la prière avec, en mémoire, tous ceux de nos  compatriotes disparus des suites de la pandémie et toute notre compassion aux familles éprouvées, avec aussi nos pensées et souhaits sincères à tous ceux et celles affligés et en quarantaine actuellement. Enfin, esprits à l’unisson, tous et toutes déterminés et solidaires dans la chaine de l’espoir, veillons à la stricte observance des gestes barrières.

 

Paix à toi, NGoôr.  Paix à tous.     

Houmaîdou

 

Mahmoudou Cheikh Kane. Fonctionnaire à la retraite.

Jeudi 6 Août 2020




Dans la même rubrique :