Le Sénégal et la perspective du confinement total dans le contexte du Coronavirus : Entre nécessité vitale et hypothèque des besoins vitaux.


L’humanité paye un lourd tribut dans la pandémie du Coronavirus qui marquera assurément son histoire. Les contaminations se poursuivent par milliers. Les décès aussi. 

 

Les Etats sont peu armés devant l'expansionnisme du Covid-19. La Chine moderne et émergente, berceau de l'épidémie, est durement touchée. La France de Louis Pasteur et, plus largement, l'Europe des Lumières, paraissent assommées. La toute puissance américaine s'affiche exsangue devant la percée pandémique. La prometteuse Afrique, quant à elle, risque le chaos. 

La maladie a envahi le monde. Avec elle, la peur et la panique. 

Face à cette situation, dans l'attente d'un remède médical, les États organisent la riposte. Leur démarche consiste à combattre la propagation du virus. A cet effet, il existe une échelle de mesures dont le confinement demeure l’une des plus radicales. Au Sénégal, au gré de la progression de l'épidémie, le bien-fondé du confinement total (1) commence à gagner les esprits. Mais l'idée ne manquera pas de buter sur de nombreuses réserves quant à l'ampleur de ses conséquences économiques et sociales (2).

 

1- Le bien-fondé du confinement total :

 

La problématique posée aux décideurs politiques et aux autorités sanitaires, face à la diffusion rapide du Covid-19, concerne l'efficacité des mesures de lutte contre la circulation du virus. Pour rappel, ce dernier se transmet entre humains par voie aérienne, par contact manuel ou par un objet contaminé. C'est ce mode de transmission qui inspire les stratégies de riposte des gouvernements. Au passage, ces stratégies ne sont jamais affranchies de calculs économiques. 

 

Dans cet esprit, le Sénégal a adopté une démarche de dosage de sa riposte. De l'étape première de l'édiction des gestes barrières, il vient de proclamer l'état d'urgence assorti d'un couvre-feu entre 20h et 06h du matin, en passant par le stade de l'interdiction des rassemblements publics. 

 

Cependant, la trajectoire de la maladie ne faiblit pas. Au contraire, elle se propage à l'intérieur du pays avec une succession des régions et des départements touchés, et le dépistage de cas communautaires. En témoignent les chiffres officiels régulièrement publiés. C'est une complication sérieuse de la situation qui stimule l'idée du confinement total pour ses vertus probantes en pareilles circonstances. 

 

En effet, le premier postulat pro-confinement s'appuie sur le fait que le virus ne circule pas de lui-même, mais au gré des activités humaines professionnelles, religieuses, culturelles, politiques, etc. Il suffit, dès lors, de suspendre ces activités et maintenir les gens dans leurs périmètres résidentiels pour limiter le transport viral et les contacts humains épidémiogènes. C'est un modus operandi qui produit des effets heureux, comme par dans la province chinoise de Hubei dont le chef-lieu, Wuhan, a vu l'apparition de la pandémie. Hubei, d'une population de 53 millions d'habitants, ne compte presque plus de nouveaux cas de contamination et s'apprête à sortir du confinement. De ce point de vue, l'on peut se poser des questions sur l'ampleur qu'auraient effectivement prise les niveaux de contamination déjà très élevés en France, en Italie, aux États Unis, etc, si ces pays n'avaient pas adopté la mesure. 

 

Dans le cas spécifique du Sénégal, l'idée gagne davantage en pertinence avec la saturation structurelle des hôpitaux, la qualité lacunaire du plateau médical dans certaines zones, le taux de couverture assez insatisfaisant de la taille du personnel médical par rapport au nombre d’habitants, le manque voire parfois l'absence de personnels cadres de santé (Professeur, Docteur, spécialistes) dans les endroits reculés du pays, etc. Ces défaillances conjuguées sont de nature à saper la prise en charge correcte des patients dans une hypothèse de contaminations massives contre laquelle le Sénégal n'est pas tout à fait immunisé. 

 

Or, justement, le confinement à temps est un rempart contre les nombreuses transmissions virales et, partant, une solution à l'engorgement des hôpitaux, Puis, il facilite la circonscription du périmètre des cas suspects en cas de dépistage d’un patient, donc un diagnostic rapide des malades ainsi que leur prise en charge à temps. 

 

Au surplus, il est sensé de soulever cette réalité selon laquelle, le quart (25%) de la population sénégalaise se bouscule quotidiennement dans Dakar (0,03% du territoire sénégalais), épicentre de l'épidémie, autour de 80% de l'activité économique nationale. C'est une situation d'extrême promiscuité sociale, alliée potentielle de tous les risques dans une telle atmosphère d'expansionnisme viral.

 

2- De lourdes conséquences économiques et sociales :

 

Outre les craintes inhérentes à l'effondrement de l'économie nationale, le sort des couches sociales vulnérables suscite des inquiétudes majeures, à l'idée d'un confinement total du pays. En effet, pour ce qui est, d'un côté, des différents secteurs de l’économie sénégalaise dont une partie importante subit déjà le contrecoup de la crise sanitaire mondiale, c'est la menace d'un abîme généralisé qui s'opère avec la perspective du confinement : chute de l'activité productive, secteur informel à genoux, aggravation de la baisse du chiffre d'affaires des entreprises en proie déjà au marasme ambiant, pertes colossales de recettes pour l'Etat, chômage massif, arrêts provisoires de travail lourds d'incidences financières dans le public comme dans le privé, faillites à la pelle, raréfaction de l'investissement, recul de l'initiative entrepreneuriale, régression significative de la consommation des ménages, insoutenabilité du service de la dette publique, aggravation du déficit budgétaire, etc. 

 

D'un autre côté, au titre des dommages sociaux, ils pourraient atteindre des proportions à la limite de la famine. Les Sénégalais sont, pour une large part, aux prises avec la pauvreté, obligés de pourvoir chaque jour aux besoins vitaux les plus élémentaires (hygiène, alimentation) au bénéfice de leurs familles souvent nombreuses. 

 

Une vie au jour le jour, lot quotidien d'une majorité de compatriotes dans les villes comme dans les campagnes, dont on peut s'inquiéter à juste titre de leurs capacités de résilience en temps de confinement total. Aussi, il y a le secteur informel qui serait entièrement affecté alors qu'il génère plus de 95% des emplois dans le pays. De l'agriculture au commerce, en passant par l'artisanat, la main d'oeuvre, entre autres, les différentes composantes de l'informel seraient mises en berne, avec des pertes insurmontables de revenus conduisant à des conséquences sociales dramatiques en termes de paupérisation, de surendettement et de crise alimentaire. 

 

Cette dernière s'envenimerait avec le renchérissement du coût de la vie, surtout des denrées de premières nécessités dont certaines se signalent d'ores et déjà par leur rareté sur le marché, particulièrement dans le monde rural ainsi que dans les villes secondaires. Le confinement baliserait la voie aussi à l'accentuation des inégalités sociales dans la mesure où les dispositions d'usage en pareilles circonstances sont davantage à la portée des revenus les plus élevés comme dans le cas de l’anticipation des approvisionnements alimentaires auxquels ne peuvent procéder les bourses modestes, frappées par la précarité du lendemain, qui doivent, du coup, subir les ruptures de stocks voire les pénuries avec, en sus, la cherté des prix.

 

Pour finir, il est à relever la combativité rassurante de l'Etat du Sénégal, tant dans la lutte contre la propagation du Covid-19 auprès des professionnels de santé dignes de tous les éloges et de tous les honneurs, que dans la nécessaire atténuation des impacts socioéconomiques de la pandémie, avec notamment les mesures annoncées par le Chef de l'Etat comme la mise sur pied du Fonds de riposte et de solidarité contre les effets du Coronavirus (Force Covid-19), doté de 1000 milliards de CFA. Cependant, comme partout ailleurs, l'épidémie se poursuit dans notre pays, si bien que tous les jours de nouveaux cas de contamination sont dépistés. Si cette tendance devait s'aggraver avec une diffusion massive du virus, alors la question du confinement total se posera avec acuité. Et il faudra en décider sans hésiter. Parce que les humains savent se relever de tout, sauf de la mort. Oui, en décider. Avec, à l’évidence, des mesures fortes d'accompagnement surtout auprès des Sénégalais les plus modestes, où qu'ils se trouvent sur le territoire national./.

 

Ahmadou Lamine TOURE

Economiste, Conseiller des Affaires étrangères

Lundi 30 Mars 2020




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