Laser du lundi Macky Sall face à l’abîme des biens mal acquis, mal recouvrés et bien évaporés (Par Babacar Justin Ndiaye)


Quatre heures avant les premières minutes de l’année 2018, le Président Macky Sall a adressé aux Sénégalais et aux hôtes du Sénégal, un message traditionnellement chargé de vœux, de volontés et de visions.  Comme d’habitude, le discours (fruit d’un travail coordonné) est structuré. A ce titre, l’allocution présidentielle a balayé des pans de l’année écoulée (2017) et meublé l’année naissante (2018) de perspectives que le gouvernement de la république doit incessamment et ardemment matérialiser. Wait and see !
 

Sauf que l’attente est, d’ores et déjà, affectée par un débat qui démantèle tout crédit et pulvérise tout gage que l’opinion serait encline à accorder à l’évocation de l’impact des résultats antérieurement engrangés, depuis 2012, et à la fiabilité des projections bellement alignées dans le discours de fin d’année, du Président de la république. Pourquoi ? Parce les péripéties ahurissantes et les aspects surprenants de la polémique autour du succès et de l’insuccès de la traque des biens mal acquis, ont sérieusement troublé la perception citoyenne de la gouvernance en cours. Une obscure affaire de recouvrement qui a sûrement estomaqué puis inquiété le chef de l’Etat. Car, le Président Macky Sall n’a – dans son allocution – ni approché ni longé l’abîme établi entre 152 et 200 milliards. Mutisme total sur cette histoire des biens finalement mal traqués, mal recouvrés et partiellement évaporés.  
 

Malgré son intitulé féroce, la traque des biens mal acquis avait, au début de septennat, rencontré un assentiment de type populaire et suscité une ferveur d’ordre civique. La reddition de comptes faisait l’objet d’un culte quasi-religieux dynamiquement hissé par des slogans charmants comme la « gouvernance sobre et vertueuse » ou « la patrie avant le parti ». L’inique CREI était, à la fois, décriée et acceptée comme un mauvais moyen pour atteindre de bonnes fins. La certitude était candidement établie que tous les fossoyeurs des finances publiques allaient subir équitablement (tous sans exception) les rigueurs de la Loi. Dans la foulée, les caisses de l’Etat allaient déborder de milliards opportunément récoltés et judicieusement injectés dans les programmes prioritaires de lutte contre la pauvreté galopante. En un mot, la traque des biens mal acquis était la panacée qui préfigurait le paradis post-Wade.
 

Au crépuscule du mandat de Macky Sall, ce roman (judiciaire) à l’eau de rose est – à la lumière de la polémique allumée par Mme Aminata Touré et au vu du tableau très alarmant brossé par l’ex-Procureur spécial Alioune Ndao puis complété sombrement par le magistrat Aliou Niane – devenu un conte (pénal) couvert de cambouis. Décidément, ce mois de décembre 2017 est celui des dégâts, avec trois feux allumés dont les retours de flammes brûlent sévèrement : la polémique autour des 200 milliards moissonnés par la traque ; le fameux Rapport de l’OFNAC ; et les missiles ajustés sur la magistrature par…des magistrats, lors d’un conclave de l’UMS. Trois secousses dont les ondes de choc éprouvent l’Exécutif et esquintent la Justice. La justice censée être le pilier le plus protecteur et le plus sécurisant de la société. Mis à part le Rapport de l’OFNAC qui, lui-même, doit faire l’objet d’un Rapport plus lumineux, les deux scandales accablent le gouvernement et pâlissent l’image d’un système politique et démocratique, jusque-là, scintillant intra et extra muros. Car, en effet, le premier scandale (le fossé entre 152 et 200 milliards) suggère que le butin des voleurs a été, en partie, volé. Quant aux déballages des deux magistrats précités, ils déshabillent, donc déchirent le manteau de mystère et de respect qui enveloppe traditionnellement la magistrature.
 

Retour sur les chiffres fluctuants qui sanctionnent l’aboutissement provisoire de la bruyante traque des biens mal acquis. Les observateurs et les analystes se perdent en conjectures, autour des motivations et de la détermination (sans recul) de l’ancienne Premier ministre et longtemps ministre de la Justice, Mme Aminata Touré qui est incontestablement une voix autorisée. Elle a piloté la traque et, par conséquent, a été régulièrement la destinataire d’un certain nombre d’ampliations, de notes et d’informations en vrac. Mieux, n’a-t-elle pas pris l’initiative ou reçu l’ordre d’aiguillonner la traque vers l’intersection ou le carrefour des transactions, des arrangements, des récupérations en douceur et des médiations non médiatisées ? Je n’en sais rien. En tout cas, les 200 milliards reflètent des résultats en macédoines où les contentieux dénoués, les contrats renégociés, les amendes fixées ou payées, les remboursements secrets et – peut-être – quelques redressements fiscaux se mêlent inextricablement. Bref, on a du mal à croire que Mme Aminata Touré raconte des fables sur la traque, avec aplomb, insistance et persistance.  
 

Par ailleurs, l’attitude du gouvernement n’a pas été orthodoxe. Le silence interminable du ministre des Finances (gardien des coffres de l’Etat) accentue la perplexité de l’opinion publique. Certes, le communiqué du gouvernement engage toute l’équipe gouvernementale, mais il ne contraint pas au mutisme, le ministre le plus indiqué et le plus qualifié pour dissiper la vive controverse autour d’une partie (dissipée) de la somme annoncée et réitérée par l’ex-Premier ministre et ancien chef de tous les ministres, aujourd’hui, concernés de près ou de loin, par cette affaire. C’est d’autant plus vrai que le communiqué du porte-parole du gouvernement n’est pas un chef d’œuvre de technicité comptable, encore moins de clarté juridique, capable d’éclairer les méandres des Lois rectificatives et les dédales des Lois de règlement. Le paroxysme de la pagaille et le summum du discrédit sont donc atteints. Parallèlement, la vigilance citoyenne est dopée par le souvenir des 6 ou 7 milliards de Taiwan-Chypre, sous le magistère conjoint d’Abdoulaye Wade et de Macky Sall, entre 2004 et 2005.  
 

A l’image de la vache folle, la traque des bien mal acquis devient folle. En s’auto-infligeant des claques, la traque ressemble au serpent qui mord sa propre queue. Avec des dégâts collatéraux politiquement incommensurables. Par exemple, ce coup terrible des « 152-200 milliards » ébrèche l’autorité morale des autorités étatiques. Tout comme les déclarations, en solo, de Mme Aminata Touré, Envoyée spéciale et/ ou Représentante personnelle du Président de la république (logiquement très proche collaboratrice du chef de l’Etat) désarçonnent le gouvernement, déstabilisent toutes les stratégies de communication (présidentielle et gouvernementale), minent la discipline de Parti (APR) et dézinguent la coalition Benno Bokk Yakaar. Une voix – même autorisée – ne doit pas être une voix déchainée. Question formulée de façon agacée, lapidaire et triviale : …Allons, allons, mais on est où là… ?
 

Apparemment, on est dans un Etat-moulin, dans un Parti-bazar, dans une coalition sans âme et dans une majorité…mourante. Si on veut que le sol se dérobe électoralement sous les pieds du Président Macky Sall, on ne s’y prendra autrement, avec cette béance vertigineuse entre les chiffres officiels et les chiffres osés de Mimi Touré. Des « montants évolutifs », renseigne et exorcise le communiqué du ministre Seydou Guèye. Joli fruit lexical d’une masturbation sémantique. Avec sa triple casquette de chef d’Etat, de chef de Parti et de chef de Coalition, le Président Macky Sall est acculé par un dégradant et dévastateur débat, brusquement sorti des entrailles de son Parti et des tripes de sa majorité. Les Sénégalais l’observent. L’autorité suprême, réelle et dissuasive ne s’exerce pas indéfiniment sur et contre un maire ambitieux, un opposant réfractaire à la transhumance ou un intellectuel voire un journaliste anticonformiste. La crédibilité, la pérennité et l’efficacité d’un Pouvoir respecté et non dictatorial, résident dans sa capacité à commander et à discipliner, d’abord, en interne.
 

En définitive, la traque des biens mal acquis qui avait obtenu, hier, l’assentiment presque total et déclenché une ferveur approbatrice quasi-générale, se transforme, aujourd’hui, en tombeau électoral en voie de creusage, pour le candidat à sa propre succession. Une inquiétante éventualité qui justifie certainement l’autodafé des principes et la valse des valeurs dont la défense et l’illustration, jusqu’au sacrifice suprême (mort de l’étudiant Mamadou Diop), ont assuré la gloire du Mouvement du 23 juin (M23) et scellé, dans les urnes, le sort de Maitre Abdoulaye Wade, en mars 2012. Un enfouissement des principes et une évacuation des valeurs qui favorisent, maintenant, l’arrivée surprenante dans les rangs de l’APR, du « bourreau » Sada Ndiaye, porteur et éponyme d’une loi spécialement anti-Macky Sall. En ce début d’année 2018, beaucoup de héros du M23 sont fatigués. Seul, le brave Moustapha Cissé Lo a hurlé son désaccord. Les lambris dorés sont préférés aux feuillages poussiéreux des arbres de la place de l’Obélisque.      
 
   
Mardi 2 Janvier 2018




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