Laser du lundi : Le Phénicien et flibustier Ziad Takieddine tacle Karim Wade et titille le Sénégal (Par Babacar Justin Ndiaye)


Six ans après la mort du Colonel Mouammar El Kadhafi, le 20 octobre 2011, les ondes de choc, les secousses, les répliques et autres spasmes du considérable évènement se propagent dans plusieurs directions. Le Sénégal est, aujourd’hui, heurté de plein fouet, par les déclarations foisonnantes et accusatrices du fameux Monsieur Ziad Takieddine, à l’endroit du Président Abdoulaye Wade et de son fils Karim. Au-delà des accusations, il y a la curieuse, la surprenante, la bienveillante et l’ostentatoire sollicitude de l’homme d’affaires et de toutes les affaires, Ziad Takieddine, à l’égard du Sénégal dont le futur électoral et immédiat – donc le Destin avec un grand D – semble bizarrement le préoccuper.  
 


Laissons la parole à l’ex-intermédiaire entre Paris et Tripoli transformé, aujourd’hui, en lanceur de missiles anti-Sarkozy, de roquettes anti-Abdoulaye Wade et fils et, en dernier ressort, d’alertes au bénéfice du Sénégal. Morceaux choisis et rassemblés : « Je m’inquiète des lendemains sombres qui guettent le Sénégal…Ce n’est pas un hasard si Karim Wade s’est installé au Qatar…Le fils de Wade est un allié de la mafia qui a détruit la Libye…Comment Karim qui prétend à la magistrature suprême peut-il s’installer au Qatar, alors que le Niger, à côté du Sénégal, est détruit par Bokko Haram qui est financé par le Qatar Charity…Les Sénégalais doivent décider de leur sort et refuser d’être manipulés par des mafieux…Ce n’est pas un allié du Qatar et les mafieux français qui vont sauver le Sénégal…Le risque de voir Daech s’installer au Sénégal, est réel ». Du vrai charabia géopolitique de la part d’un homme visiblement plus sulfureux que savant. Sans être idiot. Car les enfants de la Phénicie (nom historique de l’espace syro-libanais) sont des navigateurs réputés. Qui naviguent fort bien en eaux claires et pêchent parfaitement bien en eaux troubles.  Il n’est donc pas étonnant que dans l’alerte ci-dessus, Ziad Takieddine mélange sciemment tout : des bribes de règlements de compte, des volets de vérité, des fragments de mensonges, des zestes d’erreurs et un doux parfum de manipulation.  
 


Indéniablement, le Président Abdoulaye Wade a commis une forfaiture politique qui a blessé tout le continent africain. Ici, Ziad Takieddine a fait mouche. Il n’a pas raconté une fable. L’odyssée du Président sénégalais à Benghazi, en 2011, fut inénarrable. Que le combattant pour la démocratie le plus couvert de gloire (26 ans de lutte épique et pacifique pour l’alternance) ; que l’universitaire nationaliste et libéral ; que l’auteur d’un ouvrage engagé et avisé, prospectivement intitulé « Un Destin pour l’Afrique ; que l’économiste-père du Plan OMEGA ; que l’un des précurseurs du NEPAD et panafricaniste depuis la FEANF et devant l’Eternel, se fasse le valet de l’OTAN, pour abattre un autre chef d’Etat africain… Ouf ! Cette collusion a abasourdi et assommé de douleurs, tous les fils d’Afrique, longtemps admirateurs de l’opposant patient et du « Président très spécial », pour reprendre l’expression de l’Australien James Wolfensohn, ex- Patron de la Banque Mondiale.
 


Certes, le Colonel Kadhafi n’était pas une sublime référence en matière de gouvernance politique. Le démocrate radicalisé et le républicain irréductible que je suis, ne souhaite évidemment pas vivre dans un pays où le chef de l’Etat ou le Guide reste quatre décennies (1969-2011) dans ses Palais et autres tentes de luxe, sans organiser des élections. Inadmissible et insupportable ! Même avec un substantiel PIB (par tête d’habitant) tiré du pétrole. Mais les contours politiquement affreux du système Kadhafi – Etat policier, assassinats des opposants à l’intérieur et à l’extérieur des frontières, expansionnisme militaire via une Légion cosmopolite, attentats sanglants etc. – ne justifient pas une complicité monstrueuse entre un Président du Sénégal et l’OTAN dont les avions de guerre (à travers l’armée de l’Air portugaise salazariste en Guinée-Bissau ) bombardaient, entre 1970 et 1973, les villages casamançais de Samine et de Tanaff. Le Sénégal était ainsi puni pour sa solidarité avec le PAIGC, en lutte contre le colonialisme portugais. Abdoulaye Wade, ancien Président du Comité des experts de l’OUA, le sait et s’en souvient. Sur ce point précis, personne ne peut être l’avocat de l’ex-avocat Abdoulaye Wade. Bref, Ziad Takieddine rattache fort justement la famille Wade à « la mafia franco-qatarie » (je cite) qui a détruit la Libye.
 


Diable, qu’est-ce qui avait motivé le voyage de Wade à Benghazi, sous escorte et protection aériennes des Mirage et des Rafale français ? L’argument officiel était le suivant : le Président du Sénégal, très choqué par le massacre des insurgés commis par les miliciens de Kadhafi, ne pouvait croiser les bras indéfiniment. Explication officielle et fallacieuse. En Afrique, la majorité des régimes tirent sur la foule lorsqu’ils sont confrontés à une subversion téléguidée de l’extérieur ou une révolte endogène très massive. Kadhafi ne fut pas le premier et ne sera malheureusement pas le dernier. En vérité, l’escapade de Benghazi était la quête d’une caution internationale et plus spécifiquement occidentale d’un soutien au schéma de dévolution mi- démocratique ou semi-dynastique que Wade allait, par des tours de passe-passe, matérialiser. Un scénario constitutionnellement assez chirurgical qui avait, bien entendu, besoin de la bénédiction passive (pas nécessairement un soutien ouvert) et anesthésiante de la France.  Tel fut le calcul « benghazien » ou « otanien » du renard Abdoulaye Wade désireux de faire, à la fois, pareillement et mieux que le Togolais Gnassingbé Eyadema. Fiasco total. La France qui avait quelqu’un sous la manche, lui suggéra, par la voix d’Alain Juppé, de faire à Dakar, ce qu’il a demandé à Kadhafi de faire à Tripoli, c’est-à-dire de quitter le pouvoir.
 


Comme on le voit, Ziad Takieddine étripe Abdoulaye Wade (ancien Président sans ambitions) et tacle Karim Wade, l’héritier ambitieux du PDS. Une attaque fulgurante et ciblée, en marge ou en prolongement de la guerre cruelle qu’il (lui Takieddine) mène contre l’ancien Président Nicolas Sarkozy coupable d’avoir tué Mouammar El Kadhafi. C’est compréhensible quand on sait que les pires ennemis sont les ex-amis. Mais attention à la colère (mauvaise conseillère) qui donne aux contradictions, les couleurs de la cohérence ! Ainsi, Takieddine qui a jadis roulé pour les « mafieux français » et les coyotes du Qatar, déconseille aux Sénégalais d’élire Karim Wade, un allié des « mafieux français » et des coyotes du Qatar. Motif :  son amour pour le Sénégal potentiellement en danger. Toujours sur l’axe des gesticulations contradictoires, je rappelle à Takieddine, que Nicolas Sarkozy, chef des « mafieux français » fut l’interlocuteur du Président Macky Sall, en avril 2012, pour la renégociation-express des Accords de défense franco-sénégalais drastiquement mis en berne par Abdoulaye Wade, le complice des « mafieux français et de leur allié du Qatar. Enfin, la déstabilisation du Mali ébauchée par le « mafieux » Sarkozy, est poursuivie par le non mafieux Hollande et présentement améliorée par le magnifique Macron qui demande aux Gurkhas africains de se regrouper au sein d’un G5 Sahel en vue de soulager la France du fardeau militaire et financier.
 
 
 
Au plan géopolitique, la théorie d’un péril djihadiste autour des liens entre Karim et le Qatar nous paraît vraiment tiré par les cheveux. Daech ne se déplacera pas vers le Sénégal, dans le sillage ou dans les bagages de l’incertain candidat Karim Wade. Daech est déjà dans le Sahel, convoyé qu’il est, par le Qatar, seul Etat arabe allié de l’OTAN, dans la campagne militaire anti-Kadhafi de 2011. Depuis cette date-là, les services secrets de Doha (sous le couvert du Croissant-Rouge ou Qatar Charity) grouillent et grenouillent dans toute la bande saharo-sahélienne. Avant le déclenchement de l’opération SERVAL, ce sont des avions qataris qui, par des vols nocturnes, ravitaillaient les djihadistes maitres de Kidal. Du reste, rien n’a changé : Kidal est encore et demeure toujours le haut lieu d’un jeu trouble et triangulaire entre la France, l’Algérie et le Qatar.
 


Né dans une famille druze à Baakline (un village du Mont-Liban) Ziad Takieddine est un homme d’affaire doué et roué, à l’image d’un navigateur phénicien au long cours. Parcours tellement long qu’il fut, en 2002, mouillé (déjà) dans l’affaire dite de Karachi, c’est-à-dire la vente nébuleuse de trois sous-marins à la Marine pakistanaise, avec un parfum tenace de commissions et de rétro-commissions destinées à financer la campagne d’Edouard Balladur. Ayant manifestement perdu pied dans l’affaire libyenne, Takieddine contre-attaque rageusement et fait feu de tout bois. Une parade à la descente aux enfers d’un éternel pion qui enfile subitement le manteau d’un Prométhée et cogne sur les « mafieux » français et leurs alliés sénégalais, en l’occurrence, les Wade. Portons à la connaissance de Ziad Takieddine, le proverbe bambara que voici : « L’hyène n’est pas plus fauve que son batteur de tam-tam ». Effectivement, si l’on peut faire danser l’hyène au son de son tam-tam, sans être dévoré, c’est qu’on n’est pas moins fauve qu’elle. Ziad Takieddine est un mafieux en colère contre d’autres mafieux. Par conséquent, il n’est guère qualifié pour aiguillonner les Sénégalais vers un bon ou mauvais choix, en 2019. Un natif du Mont-Liban qui prétend aimer le Sénégal davantage qu’un fils de Mont-Rolland, dans la région de Thiès…Est-il sérieux ou taquin ?
 
 
Lundi 26 Mars 2018




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