L’heure du consensus aurait-elle sonné ? Les grands défis du président Macky Sall. (Par Abdoulaye Fofana Seck)


Jamais dans son histoire politique, le Sénégal ne s’est trouvé autant exposé à des incertitudes d’une gravité aussi saisissante, et pis, à des périls et ruptures susceptibles d’ébranler sa légendaire stabilité, voire  s’affaisser la solidité de sa cohésion sociale.

 

Ce constat survient certes dans un contexte d’une année 2020 violemment chahutée par la pandémie de la Covid 19 qui a balayé les bases sanitaires, puis les équilibres économiques de l’ensemble des pays de la planète Terre.

 Le Sénégal, notre pays,  n’y échappa guère.

 

Profondément angoissées par la gestion de cette crise, les populations ont vite fait d’apprécier  ceux à qui elles ont délégué la conduite de leur vie et la préservation de leur bonne santé à l’aune de leur compétence, de leur cohérence et de leur pragmatisme. C’est dans ce contexte déjà fortement marqué, qu’est venue se greffer une crise profonde au cœur du parti présidentiel, traversé par des luttes intestines meurtrières, dont les conséquences impacteront inéluctablement le futur proche de notre pays.

 

Les unes plus graves que les autres, les questions se télescopent dans la tête de l’observateur averti, qui s’emploie à comprendre l’Etat du Sénégal et s’exerce à entrevoir son destin.

 

Ces interrogations et projections sont partagées sans doute avec celui qui préside aux destinées de ce pays, qui, il n’y a guère moins de dix huit mois, a été confortablement réélu à la magistrature suprême.

 

Les « amis » étrangers du Sénégal, au premier chef  desquels, la France, scrutent d’un œil  attentif la scène, placent leurs pions sur l’échiquier et préparent leur stratégie qui se résumera à satisfaire l’unique question qui vaut à leurs yeux : comment  et qui sauvegardera leurs intérêts, sans remettre en cause l’équilibre nécessaire aux jeux d’influence stratégique en Afrique ?

 

Cinq questions majeures d’actualité, émergent comme un flotteur dans l’eau que je formule avec beaucoup d’humilité.

 

1.     Faudrait-il continuer à entretenir l’illusion que le Président Macky Sall dispose d’un parti politique classique ? Si oui, pourrait-il le renforcer pour poursuivre son œuvre politique ? Sinon devrait-il se rendre à l’évidence de créer une organisation politique apte à porter ses ambitions ? La question subsidiaire intéressante est celle de la possibilité de mettre en musique un parti réinventé qui puisse lui survivre durablement à la fin de son deuxième mandat.

 

2.     L’ambition serait-elle de finir son mandat et de passer le témoin à un successeur choisi par ses soins ou plutôt d’oser le pari du « troisième  mandat » ? La réponse à cette question majeure déterminera inéluctablement les actes qu’il pose  dans le présent, comme ceux qu’il posera dans le futur proche.

 

3.     Ainsi, va-t-il maintenir l’axe paradigmatique de ses alliances, en optant pour la préservation de l’Alliance « Benno Bokk Yakaar » renouvelée ou élargie ?

 Serait-il plutôt enfin inspiré par l’exigence de bâtir son premier cercle autour du regroupement serré de la « famille libérale », scellé par un pacte des héritiers de Maître Abdoulaye Wade ?

 

Ce rassemblement passerait-il prioritairement par un accord avec Idrissa Seck, le leader de Rewmi, comme le susurrent certains milieux « bien informés » ? Se bâtirait-il en y associant et Karim Wade et Khalifa Sall et tous les jeunes leaders politiques comme Aliou Sow de MPD Liggey, Abdoulaye Baldé de l’UCS, sans oublier les derniers fidèles libéraux rénovateurs que sont Oumar Sarr, Me Amadou Sall, Babacar Gaye qui sont sur le point de créer une formation politique ?

 

Bouleversant ces deux schémas, l’option massue serait l’édification sur les cendres de « Benno Bokk Yakaar » d’un très large « Front Républicain à la Macron » autour de Macky Sall qui l’accompagnerait dans la conquête du troisième mandat présidentiel.

 

4.     Précisément la Grande question demeure celle du dernier mandat du Président Macky Sall, qui, au-delà des considérations de subtilités juridiques, pose la question brûlante de l’opportunité et du risque.

 

5.     Enfin et surtout en balayant ces cinq questions majeures d’actualité soulevées, l’heure des consensus forts n’est-elle pas venue pour bâtir ou renforcer l’Etat de droit, enraciner la bonne gouvernance avec des femmes et des hommes compétents, vertueux et patriotes jusqu’au bout des ongles ? L’absolue gravité des incertitudes qui pèsent sur le monde actuel, le délitement de tous les socles économique, politique, social et culturel, n’imposeraient-ils pas une coalition forte et solidaire sur une majorité d’idées pouvant  affronter les défis post-covid 19

 

 

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L’ESSOUFFLEMENT  DE L’APR EST-IL ACTÉ ?

 

De sa création en 2008 à nos jours, soit douze bonnes années, l’APR, parti présidentiel, a été la force politique la moins prégnante sur le cours  politique sénégalais. Très tôt et trop vite arrivée au pouvoir sans avoir pu élaborer avec finesse son ancrage idéologique et sans s’être amarré dans l’affect du peuple profond, l’APR s’est vite confronté à un métissage politique qui lui a enlevé son âme.

 

Les bâtisseurs de la première heure ont été vite submergés par les nouveaux alliés, regroupés au sein de la Coalition Benno Bokk  Yakaar, après que, un à un, certains de ses géniteurs proclamés dont Alioune Badara Cissé, déchu de son titre de coordonnateur général de l’APR et plus récemment Moustapha Cissé Lô, qui vient d’en être violemment exclu.

 

Les instances se réunissant peu, sinon pas du tout, sauf pour prononcer  des purges disciplinaires, ou exclusions comme ce fut le cas de Moustapha Diakhaté et Moustapha Cissé Lô,  aucune animation, ni action de partage du projet initial du « Yoonu Yokkute » n’est enregistrée alors que son leader se trouve cerné à la tête de l’Etat par de nouvelles formations politiques alliées qui occupent savamment tout l’espace vital.

 

Choix voulu ou conséquence d’un désintérêt constaté de l’inanité de réanimer ce cadre assoupli depuis une décennie, le Président Macky Sall semble se résoudre à régler sans cesse des velléités de contestation de ses choix par le cercle de ses premiers amis avec qui il a traversé le désert et qui revendiquent à cor et à cri leur dividende, en tant qu’actionnaires majeurs. Si l’APR n’est pas un parti d’exclusion, on peut noter objectivement que la pratique de l’isolement et de l’extinction de ses responsables politiques y trouvent un terreau fertile.

 

 Dans ce sillage,  il est utile et opportun de rappeler les membres historiques, fondateurs de  l’APR, qui se sont engagés et battus dès les premières heures de la création du Parti, le 1er Décembre 2008 :

Macky Sall, Alioune Badara Cissé, Harona Dia, Mor Ngom, Elhadji Malick Sarr dit Luc Sarr, Abou Abel Thiam, Farba Ngom, Mame Mbaye Niang , Abdourahmane Ndiaye, Abdoulaye Badji, Augustin Tine, Me Boubacar Diallo, Abdoulaye Daouda Diallo, Abdoul Aziz Mbaye, Diène Farba Sarr, Mansour Faye, Abdoulaye Timbo, Daouda Dia, Biram Faye, Papa Samba Diop, Mariama Sarr, Awa Guèye, Ndèye Nam Diouf, Thérèse Faye Diouf et Fatim Senghor, l’assistante fidèle, discrète et dévouée depuis Petrosen. Les responsables politiques Mbaye Ndiaye et Moustapha Cissé Lô, officiellement démis de leurs fonctions de député, membres à l’époque de la coalition Sopi, connus pour leur attachement indéfectible à Macky Sall, démissionnaire du perchoir de l’Assemblée nationale et de tous les mandats obtenus grâce au PDS, ont rejoint le 13 Janvier 2009, l’APR, nouvellement créé par le Président Macky Sall. Ce groupe de légitimistes de l’APR, complété par des chefs de file disséminés dans la diaspora, tout aussi engagés, à l’image de Alioune Ndao Fall, nommé ambassadeur itinérant, bénéficient de la même légitimité historique.

 

Les saillies toutes récentes et fort peu poétiques de Moustapha Cissé Lô illustrent à satiété l’état de déliquescence atteint par l’APR ou ce qui en reste et autorisent à penser que le cheval dont est frappé son emblème est passé d’un pur sang puissant et conquérant à une vieille rossine claudiquant et proche de rendre le dernier souffle. Une telle organisation ne peut ni accompagner avec assurance la poursuite des trois ans et demi qui séparent le Président Macky Sall de la fin de son mandat en cours, encore moins préparer sa possible quête-autrement plus aléatoire- d’un autre mandat en 2024.

 

DAUPHINAT OU PROLONGATION ?

 

Se pourrait-il que Macky Sall, excellent élève de Maître Abdoulaye Wade, un redoutable politique,  sur certaines matières, cache son jeu et finisse par se résoudre à céder le pouvoir à un dauphin dans son camp ou un allié politique de la majorité présidentielle ou de l’opposition, à la fin de son deuxième mandat ? Rien n’est moins sûr. Les paris restent ouverts ?

Tous les actes et postures montrent plutôt l’entretien d’une indécision qui est loin d’en être une, quant au fond.

 

Le maintien de l’Alliance Benno Bokk Yakaar qui a atteint ses limites comme unique cadre politique de conquête électorale et de gestion du pouvoir illustre à satiété le choix présidentiel de poursuivre son parcours politique en gardant et sa formule et ses plans d’alliance politique.

 

Peut être que par souci d’adaptation à l’émergence de forces montantes et pour faire face aux effets désastreux de la crise sanitaire et économique de la Covid 19, le Président Macky Sall élargira l’espace de la gouvernance avec des dissidents du PDS comme  Aliou Sow, Abdoulaye Baldé, Oumar Sarr, Babacar Gaye, Me Amadou Sall et quelques responsables du Rewmi d’Idrissa Seck. Mais cela n’est pas regrouper la famille libérale.

 

Karim Wade, comme allié, serait-il alors le grand coup ? Nul ne sait, car à ce stade, les transactions selon certaines sources mettent en présence Maître Abdoulaye Wade, Karim Wade et Macky Sall. Le Qatar, qui bouscule le leadership de l’Arabie Saoudite dans le monde Arabe, va-t-il parrainer ces retrouvailles ? Idrissa Seck en renard politique, serait-il le visiteur du soir, qui surveille comme du lait sur le feu,  les manœuvres sur la dunette ?

 

En tout état de cause, il est clair dans l’esprit de tout observateur lucide que le Président Macky Sall est dans un schéma où le non dit est plus manifeste que ce qui est dit.

 

Chercherait-il une voie médiane ? Les dés seront bientôt jetés. La certitude d’un prochain attelage gouvernemental attendu semble-t-il dans les semaines à venir nous indiquera vers quel sens tourne la girouette. Certaines notoriétés dont la compétence, l’exemplarité et le patriotisme ne souffrent d’aucune ambigüité vont-elles entrer dans le prochain gouvernement  qui se veut d’ouverture, d’unité, d’entente et de rassemblement pour renforcer sa crédibilité, son efficacité et son aura ?

 

Maître Alioune Badara Cissé lâchera-t-il la médiature pour se retrouver dans le prochain gouvernement ? Lui à qui on a trouvé un successeur, un an avant la fin de son mandat

 

Un nouveau gouvernement pour assurer la transition à l’horizon 2020-2022, date prévue pour les législatives qui seraient couplées aux locales est-il en vue ? Quelle ampleur, quelle période, quand et comment ?

 

Mystère et boule de gomme. Il faut être devin ou disciple de Pytonis pour savoir lire dans les intentions du  Président Macky Sall, emmuré dans un silence bruissant de paroles.

Pour l’heure, nul dauphin en vue. Nul éclairage sur l’option du troisième mandat. Nulle visibilité sur les choix d’alliance. Seule certitude, ça place des pions et ça élimine des prétendants pressés. Ça manœuvre serré.

Les probables dauphins annoncés pour la succession de Macky Sall en 2024, survivront-ils à la purge qui s’annonce dans les semaines à venir ?

 L’avenir nous édifiera.

 

DES ALLIANCES DEVENUES OBSOLETES

 

« Je suis seul ». Tel serait l’aveu fait par le Président Macky Sall à Abdoulaye Makhtar Diop, dignitaire lébou, Grand Serigne de Dakar, Technocrate rompu à la tâche, politique averti et député influent de la majorité présidentielle qui devrait être élargie comme ce fut le cas sous le Président Abdou Diouf avec l’entrée de Maître Abdoulaye Wade au pouvoir en 1991 et 1995 pour la pacification de l’espace politique.

 

La crise de la Covid 19 a permis, en trois mois au Président Macky Sall de constater une réalité qui s’est faite jour dès le début de son 1er mandat. L’absence de numéro deux dans son Parti, le même constat dans son alliance Benno Bokk Yakaar, la suppression du poste de Premier Ministre depuis sa réélection en 2019 l’ont placé SEUL face à son destin et à la lourdeur de sa charge. La restauration du poste de Premier Ministre est devenue aujourd’hui plus qu’une exigence pour une meilleure coordination et efficience de l’action gouvernementale.

 

Le Président Macky Sall a pu mesurer dès lors les forces et faiblesses de ses collaborateurs, le niveau de loyauté de ses alliés, l’expertise ou l’incompétence de ceux qu’il a investis de sa confiance. Il a surtout assisté à l’expression d’ambitions ouvertes ou diffuses, y compris dans ses propres rangs, de dauphins pressés d’être khalife à la place du khalife.

 

Certes le  Pouvoir est le domaine, par excellence, de la solitude. Cependant en pleine tempête, un capitaine éprouve un besoin vital de se savoir à la tête d’un équipage fort, engagé et déterminé pour mener le navire à bon port.

Le Président Macky Sall en a fait l’aveu, la réalité le confirme, il ne peut  reposer sa confiance que sur un cercle très restreint et infime et le poids de ses alliés dans le soutien à son action. Pis les déchirures se font nombreuses et irréversibles. Changer de cap, de stratégie et d’alliances s’impose à lui.

 

VERS UN FRONT REPUBLICAIN CONSENSUEL

Allons nous vivre alors sous les tropiques, à l’instar de ce que vécut la France en 2012, l’émergence d’un camp présidentiel recomposé autour du Président Macky Sall, qui, rassuré que les effets de la crise sont contenus et la relance économique enclenchée, réorganise sa gouvernance avec des hommes et des femmes nouveaux dans un front républicain fort, qui cherchera les meilleurs, les plus engagés, ceux dont le patriotisme, la compétence, la rigueur  et la probité morale sont inattaquables ?

 

Cette hypothèse qui est loin d’être illusoire serait le dernier choix lorsqu’aura été définitivement scellée la question du doute sur la viabilité ou non de la situation actuelle du « parti du Président » et de celle de la qualité de la gouvernance en cours.

 

Il n’est pas audacieux de préjuger qu’un tel schéma pose un large éventail d’alliance, qui n’écarterait  nulle force qui réponde aux critères  de base  imprescriptibles posés.

 

Une telle configuration bien sûr devrait surmonter  les réticences fortes des tenants du statu quo, qui joueront avec l’énergie du désespoir, leur survie.

Il faudra cependant se résoudre à appliquer le « dégagisme » en ciblant les hommes du passé, les incompétents, les marchands d’illusion, les profiteurs de la République, les apprentis sorciers et autres leaders à la réputation surfaite. Alors joueront leur partition, les passeurs, les traits d’union indispensables, interfaces honnêtes de la cohésion qui participeront à cette renaissance politique si nécessaire qui ferait s’entendre et se parler le Président Macky Sall, Maître Alioune Badara Cissé, Moustapha Diakhaté, Moustapha Cissé Lô, Idrissa Seck, Aliou Sow, Abdoulaye Baldé, Oumar Sarr, Babacar Gaye, Maître Amadou Sall, Ameth Fall Braya, Karim Wade, Doudou Wade, Tafsir Thioye, Bara Gaye, Malick Gakou, Mamadou Diop Decroix, Khalifa Sall, Issa Sall, Abdoul Mbaye, Mamadou Lamine Diallo, Thierno Alassane Sall, Pape Diop, Habib Sy, Madické Niang, Souleymane Ndéné Ndiaye, Modou Diagne Fada, Cheikh Tidiane Gadio, Alioune Sarr, Mbaye Dione, Cheikh Bamba Dièye, Barthélemy Dias, Moctar Sourang, Aïda Mbodj, Amsatou Sow Sidibé, Aminata Touré, Aminata Mbengue Ndiaye, Aïssata Tall Sall, Soham Wardini et pourquoi pas Ousmane Sonko, le leader de Pastef  les patriotes qui incarne l’opposition pure et dure ?

 

D’aucuns me reprocheront de vouloir transformer « ce miracle » en postulat opérationnel, il se trouve que je suis très attaché à la vision gaullienne de la politique selon laquelle « là où il y a une volonté, il y a un chemin ».

 

Un nouveau chemin qui impose un changement de cap dans une démocratie d’opinion où le pouvoir semble perdre le pied.

 

 

La situation difficile que traverse notre pays, nécessite un impératif de réajustement et nous impose, avec lucidité, sérénité et clairvoyance de construire le consensus par delà les clivages politiques afin que la barque « Sunugal » puisse accoster sur les rives de la félicité pour la renaissance de l’espoir dans la paix, la concorde, la solidarité et la prospérité. 

 

 

Abdoulaye Fofana SECK

Jeudi 6 Août 2020




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