Formation Professionnelle, Qualification des Jeunes, Insertion : Défis et Perspectives (par Cheikh Mbow, Directeur COSYDEP)

Je voudrais exprimer l’immense plaisir que je ressens en introduisant la Conférence d’ouverture du neuvième et dernier forum ‘‘ESSOR DU SECTEUR PRIVÉ PAR L’ÉDUCATION POUR L’EMPLOI’’.


Ma présence est aussi un symbole de l’excellente collaboration qui existe depuis longtemps entre la COSYDEP et le MEFPA. En effet, je me plais toujours de rappeler le rôle déterminant que le ministère a eu à jouer lors des Foires sur les Innovations en Education et formation tout comme lors des Campagnes « Nos Vacances Pour l’Ecole », organisées par la COSYDEP. A travers des expositions et des panels, nous avons célébré des initiatives et bonnes pratiques en matière de qualification/certification de jeunes. De telles rencontres permettent de provoquer des échanges en vue de promouvoir la créativité et l’innovation et de sortir des sentiers battus pour des changements dans les modes de penser et d’agir. Depuis le Sommet de Jomtien en 1990, puis le Forum Mondial de Dakar en 2000 suivi de celui de Incheon en 2015, le Sénégal, à l’instar des autres pays du monde, s’est engagé à fournir à tous les enfants du pays une éducation et une formation de qualité. Dans cette perspective, des efforts substantiels ont été déployés. Aujourd’hui, la formation professionnelle se trouve au cœur de la politique de développement de l’Etat. Dans cette optique, le Projet ESP-EPE apparait comme une traduction concrète des orientations et objectifs du ministère et de sa Loi d’orientation. Toutefois, il reste que des efforts importants doivent être faits pour que la formation professionnelle ne soit plus perçue comme une béquille tendue aux jeunes n’ayant pas pu s’adapter à l’enseignement général mais une option pertinente et prioritaire dans l’ensemble des possibilités d’éducation et de formation du pays. Les résultats obtenus dans des domaines aussi stratégiques que l’élargissement de l’accès à la formation professionnelle et technique, l’amélioration de l’offre, l’autonomisation des établissements de formation, la communication entre les parties prenantes, la valorisation de la formation professionnelle et technique, méritent d’être célébrés et partagés. Au demeurant, ce forum est aussi un moment de réflexion sur les grands défis que nous devons encore relever ensemble. Cela est d’autant plus vrai que le Sénégal possède un système d’éducation et de formation caractérisé par des taux de scolarisation et d’achèvement encore bas avec un taux d’analphabétisme très élevé d’environ 54%. Une telle situation montre que de nombreux jeunes sont hors de l’école sans formation et sans qualification (1 500 000) selon des études de la COSYDEP et de l’USAID en 2016 et 2018. C’est ainsi que plus de 300 000 jeunes se présentent chaque année, souvent sans qualification, sur le marché du travail. L’on sait qu’une personne sur cinq travaille à plein temps au Sénégal. Une situation qui laisse entrevoir un taux élevé de dépendance qui se traduit, entre autres, par une pression constante sur les individus qui travaillent et qui courent ainsi le risque de basculer dans la pauvreté monétaire. Il faut dire qu’il s’agit là d’une véritable bombe qui menace l’équilibre social du pays et peut hypothéquer la réalisation du dividende démographique dans un pays où plus de 67% de la population ont moins de 15 ans.

Le projet ‘‘Education pour l’emploi’’ est mis en œuvre dans un contexte particulièrement complexe. En effet : Selon l’AFD, « Au Sénégal, les dispositifs de formation ne sont pas à la hauteur des attentes de la population ni des besoins des entreprises (…) : plus d’un sur trois est au chômage. Dans sa publication de 2008 sur la « situation économique et sociale de Dakar pour l’année 2006», l’Agence Nationale des Statistiques et de la Démographie (ANSD) nous apprend que le taux de chômage à Dakar est d’autant plus élevé que l’on est instruit ! Ce taux est de 13,5% chez les analphabètes, de 18% chez ceux qui ont terminé le cycle secondaire, et de 23,5% pour ceux qui ont atteint le niveau universitaire. Le plan Sénégal Emergent, pour sa part, cible « des secteurs porteurs de croissance et d’emplois et impactant sur le développement local ».

A travers ce tableau, l’on peut faire un certain nombre de constats concernant la formation professionnelle et l’emploi des jeunes :

  •         Une très forte demande en matière de formation et de qualification.
  •          Une jeunesse qui vit dans l’angoisse avec peu de perspectives d’avenir.
  •         Des initiatives en matière de qualification des jeunes hors école qui existent mais avec des offres de formation qui sont de faible envergure, cloisonnées et sans synergie véritable.

Sous ce rapport, le Projet ESSOR DU SECTEUR PRIVÉ PAR L’ÉDUCATION POUR L’EMPLOI peut être considéré comme une réponse cohérente et pertinente à la problématique mais malheureusement, comme la plupart des initiatives, ce projet comporte des limites objectives. Nous saluons l’énorme investissement du partenaire financier quand bien même, nous nous interrogeons sur l’après projet et estimons qu’il est absolument nécessaire de réfléchir sur un financement endogène en lien avec les possibilités internes du pays. Il en est ainsi de l’entrée par le formel du projet. Quelle place réservée au non formel et à l’informel ? Quid des « ateliers coin de rue » ? De l’accompagnement des initiatives pertinentes développées par les OSC ? De la qualification/insertion des bacheliers sans accès aux

 

Universités ? A y réfléchir de plus près, l’on se rend compte qu’il faut explorer de nouvelles pistes surtout dans le cadre du Groupe National des Partenaires de l’Education et de la Formation (GNPEF) dont nous sommes membres, le MEFPA assurant actuellement la présidence :

  •          L’avenir de l’apprentissage traditionnel dans le nouveau paradigme adopté par le MFPAA.
  •          L’approche de type dual de la formation professionnelle qui se caractérise par une alternance de 20% théorie et 80% de pratique.
  •          L’implication du secteur privé dans le choix des filières, la définition des compétences et la certification des formations.
  •         La diversification des offres mais aussi des niveaux de transition de l’informel et du non formel à la formation professionnelle ;
  •          La question du répertoire des métiers d’aujourd’hui et de demain.
  •         La nécessité d’articuler les besoins des entreprises à la formation dispensée dans les universités et les centres de formation.
  •         La nécessité de disposer d’un modèle économique permettant de mieux gérer la formation professionnelle.
  •          L’introduction des valeurs dans la formation professionnelle en faisant une entrée par les langues nationales.
  •         Les modalités de mise en œuvre du Partenariat Public Privé qui trouve ses fondements dans l’article 25 de la Loi d’orientation de la Formation professionnelle.
  •         Le nouveau paradigme de la Formation professionnelle qui exige de la flexibilité pour un ajustement continu des besoins de formation aux réalités du marché.
  •         Un changement capital de paradigme qui consiste à avoir une approche stratégique de l’éducation et de la formation. Cette approche doit conduire à développer un cadre de compétences étroitement articulées au programme de développement économique et social du pays pour connaitre les compétences dont le développement a besoin à chaque étape
  •          La mise en place de mécanismes de dialogue entre les interventions orientées sur la formation professionnelle et l’insertion grâce à la formalisation de cadres de concertation formation-emploi
  •         La démarche orientée vers l’équité avec l’implication des acteurs locaux, en particulier les responsables de collectivités territoriales
  •         La priorisation de l’insertion par le choix de métiers porteurs qui donnent de meilleures chances d’insertion aux sortants du processus de formation
  •          L’implication des maîtres d’apprentissage gérant des centres pilotes dans leur dispositif de formation professionnelle en les mettant en synergie avec les centres de ressources.

Je terminerai par quelques recommandations issues d’une étude que la Coalition a menée 2019, avec l’appui technique et financier de l’UNESCO, sur les initiatives de la Société civile en matière de qualification/ certification des jeunes non scolarisés/ déscolarises et analphabètes.

  •          La nécessité d’aller vers la synergie des expériences pour plus d’efficacité et d’efficience.
  •          L’utilisation des langues locales pour faciliter l’accès aux connaissances.
  •          La place du suivi et de l’évaluation dans les projets de formation mis en œuvre.
  •          La révision de la conception que nous avons de l’entreprise.
  •          La réalisation d’une cartographie interactive des offres de formation.
  •          La valorisation des acquis de l’expérience (VAE) à travers des cadres de certification.
  •          L’appui des systèmes de certification comme la VAE et la nécessité de mettre en place des cadres nationaux, régionaux de certification pour la mobilité des savoirs et des compétences
  •          Le décloisonnement et l’harmonisation des offres de formation existantes.
  •          L’option pour une vision holistique de l’éducation et de la formation en vue de prendre en compte et de travailler à la fois avec les filières formelles, non-formelles, informelles.
  •          La mise en place d’une plateforme de tous les intervenants pour une meilleure harmonisation de la vision, de la mission et des stratégies en évitant le cloisonnement pour plus de pertinence, d’efficacité et d’efficience.
  •          La création d’un fonds national pour l’éducation et la formation.
  •          La mise à profit de l’Observatoire National de la formation professionnelle pour la veille, le financement, l’aide à l’insertion des sortants des structures de Formation.
  •          L’alignement de l’apprentissage traditionnel rénové sur les besoins prioritaires de l’économie nationale.
  •          La mise en place d’un système fiable et régulièrement mis à jour d’informations accessibles sur les besoins prioritaires de l’économie locale, nationale.

Le changement de paradigme devenu urgent ne saurait être effectif qu’à condition de disposer de stratégies de partage des données fiables, de bonnes pratiques, d’expertise et d’expériences réussies permettant de focaliser l’attention des autorités et du grand public, et de générer un courant d’opinion favorable à une amélioration de la qualité de l’éducation. La mutualisation des ressources, des savoirs et des savoirs – faire est incontestablement une des voies obligées pour une bonne appropriation des problématiques et des priorités en matière d’éducation. Une telle situation appelle des initiatives audacieuses et pertinentes pour que les offres d’éducation et de formation qui ne manquent pas, puissent jouer leur véritable rôle pour contribuer efficacement au respect du droit à l’éducation et à la formation de tous les citoyens quels que soient leurs origines socioculturelles, leurs pouvoirs économiques ou leur milieu de résidence. Pour ce faire, les offres autres que publiques (daara, écoles franco-arabes, centres et ateliers artisanaux, …) tout comme les offres de formation qualifiante, doivent être crédibilisées, renforcées et valorisées pour une adaptation du système aux différents besoins et contextes des apprenants. A notre sens, les propositions doivent répondre aux exigences suivantes :

– une articulation de l’Ecole à la société, à l’économie et aux besoins d’un Etat en voie de développement ;

– un financement durable et endogène mais aussi une gestion efficiente de toutes les ressources ; Dans le contexte actuel du Sahel, notre jeunesse est plus que jamais exposée, elle a besoin d’être accompagnée, protégée et qualifiée. Sans une prise en charge correcte de cette frange par l’éducation et la formation, gage d’un développement durable, on ne saurait faire face aux défis aussi complexes que ceux liés aux crises économiques, aux migrations irrégulières, à la montée de l’insécurité de même que l’extrémisme violent.

Il urge de réfléchir sur des offres de formation, d’apprentissage qui donnent la « …la possibilité (aux jeunes) d’actualiser leurs compétences régulièrement, par le biais de l’apprentissage tout au long de la vie ».

Au total, je reste convaincu qu’il faut apprendre à nous célébrer. Oui, les succès, réussites et résultats méritent d’être célébrés mais surtout d’être capitalisés au bénéfice des programmes actuels et futurs.

Cheikh MBOW,

Directeur Exécutif de la COSYDEP

Mercredi 26 Février 2020




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