Economie et inepties gouvernementales : à quand la délivrance ?


Economie et inepties gouvernementales : à quand la délivrance ?
Cette semaine écoulée, il n’y a finalement pas eu de cours à l’université de Thiès : les étudiants ont décrété le lundi 5 mars 72 heures renouvelables, puis ils ont encore décrété 72 heures renouvelables jeudi 8 mars. J’étais en train de planifier pour inciter mes étudiants à la défaillance afin de faire cours lundi 12 mars, mais le Syndicat autonome des enseignants du supérieur (SAES) a annoncé jeudi 8 mars, un mot d’ordre de 48 heures renouvelables, lundi 12 et mardi 13 mars.
Il importe de signaler au passage, que malgré le fait de m’associer à toutes les nobles revendications des divers syndicats d’enseignants, mon désir de faire cours relève d’un cas de conscience après tout ce temps resté sans faire cours.
Toutefois, mes collègues et moi, sommes des enseignant-chercheurs, qui avons la manie de se rattraper à chaque fois, mais aussi nous consacrons beaucoup de temps à nos prochaines publications pour ceux qui font réellement de la recherche. La principale revendication des étudiants est d’ordre social, puisque le centre de santé de l’université de Thiès n’est effectivement pas équipé et la restauration est défaillante parce que l’Etat ne paie pas correctement les repreneurs et leur doit beaucoup d’argent, à rajouter aux 500 milliards de FCFA de dette intérieure qu’il doit au secteur privé national. Les enseignants du supérieur ont acquis depuis 2016 des accords sur la retraite que l’Etat tarde vraiment à mettre en œuvre. Les autres enseignants de l’éducation de base, davantage utiles à la nation, réclament près de 85 milliards de FCFA de rappels en plus d’autres obligations étatiques d’amélioration de leur situation.
Au même moment :

I. L’Etat va distribuer 40 milliards FCFA de bourses sociales en 2018 à des familles, et on peut affirmer sans se trompées que les retombées socioéconomiques de ces bourses sont moins certaines que celles escomptées du capital humain que constitue étudiants. Et 300 autres milliards de FCFA ont été annoncés par le gouvernement en 2018 en faveur d’un certain « front social ».

II. L’opérateur Eiffage, les chinois, les marocains ou les Turcs, ayant raflé la quasi-totalité des marchés d’infrastructures dans ce pays, ne se sont jamais plaints de défauts de paiements de la part de l’Etat. Alors que nos entrepreneurs locaux croupissent sous le joug des arriérés compromettants dus par un gouvernement qui ne s’est pas gêné d’aller sauver, pour 57 milliards de FCFA de lampadaires, une PME française de 40 salariés. Pourtant, une kyrielle d’innovations photovoltaïques alternatives sont occultées dans les laboratoires de l’ESP de Dakar.   

III. Ce gouvernement annonce chaque année des recettes dépassant largement les 3000 milliards de FCFA. Il paie environ 70 milliards FCFA mensuels de salaires et d’indemnités, et s’acquitte d’un service de la dette de 72 milliards F CFA mensuels, soit en tout 1700 milliards de FCFA par an. Donc, si le budget est de vérité, il reste une marge dépassant largement 1300 milliards de FCFA annuels, pour payer les autres charges courantes et d’investissements. Dès lors, le manque récurrent de liquidités publiques, de même que le niveau atteint par la dette intérieure ne peuvent s’expliquer. 

Ce laconique tableau des tensions socio-financières qui caractérisent notre pays montre qu’il y’a anguille sous roche et que le gouvernement dissimule des pratiques budgétaires douteuses. On peut entrevoir d’ailleurs les raisons pour lesquelles le gouvernement soutient mordicus que l’endettement du Sénégal est soutenable. Ce même gouvernement s’est encore donné la latitude de lever 1200 milliards de FCFA en devises (dollars et euros) en Europe, en arguant que c’est par ce que la signature du Sénégal est bonne. Mais qui veut-on tromper sur ce coup de pub ? Il n’est point besoin d’être économiste pour comprendre que les bruits persistants sur la dette intérieure, le creusement des inégalités, la politisation à outrance de la pratique gouvernementale, le caractère embryonnaire d’un secteur privé local de plus en plus fragilisé et l’exacerbation du front social sont autant d’arguments ostensibles qui ternissent davantage la signature du Sénégal, en le rétrogradant en même temps sur les indices du développement humain, de la corruption et du Doing Business. 
Cette manne de nouveaux emprunts potentiels répond à un questionnement lié au contexte :

1°) Un Etat insoucieux des générations futures, empêtrés dans une dynamique implacable d’endettement chronique, ne peut-il pas être tenté par la chaine de Ponzi (Soul bouki soulli bouki) ?      

2°) Comment un pays qui attend, dès l’année 2020, plus de 1000 milliards F CFA annuels de recettes gazières et pétrolières peut manquer de bonne signature dans les marchés financiers ? 
Il faut que chaque sénégalais le sache : ce gouvernement est en train de nous embringuer dans une campagne de pré-consommation stérile de l’essentiel de nos recettes pétrolières et gazières futures. Cette dynamique va nous priver des réelles possibilités de constituer des réserves anticipatoires, d’autofinancer notre développement suivant une meilleure prise en compte des générations futures.

Autre hypothèse plausible : un coût salé à payer pour le second mandat de notre Président. On sait déjà que dès 2014, il a mis ses sujets sur le terrain pour des objectifs électoralistes. Il a fait la place à 84 ministres au lieu de 25 et à d’autres politiciens, casés par ailleurs, pour mieux investir le terrain à l’orée de 2019. Ce n’est pas que ça : le Président veut aussi des résultats d’émergence forcée. Il a déjà inauguré le pont de l’émergence, il érige sa cité de l’émergence, il est en phase avancée dans son pôle de Diamniadio dont les conditions d’exploitation ne sont pas éclaircies. On a aussi en tête les 50 milliards de FCFA consacrés aux projets improductifs que sont Dakar Aréna et l’arène nationale, ainsi que les 417 milliards de FCFA pour la très inopportune autoroute Thiès/Touba.  

Il faut le répéter encore : les pays émergents comme Singapour, Malaisie, Taiwan et autres, ont érigé leurs grandes infrastructures et leurs cités à la suite d’une croissance à deux chiffres sur 15 à 20 ans. Le Plan Sénégal Endettement n’a finalement recours qu’à des emprunts inféconds ne servant qu’à une précipitation infrastructurelle piétinant toute norme de qualité, de même qu’à entretenir des slogans creux tels que PSE, PUDC, PUMA, CMU, Bourses familiales, …
Il est temps de procéder résolument à des réajustements en s’inspirant des deux citations suivantes :

ARISTOTE : « Quand l’intérêt particulier prend le pas sur l’intérêt général, chacun d’eux se mue en son correspondant inacceptable, respectivement la tyrannie, l’oligarchie, la démocratie ».

THOMAS HOBES : « Si l’Etat cesse de protéger la population, l’homme retournera alors à l’état de nature, jusqu’à ce qu’un nouveau contrat lui soit proposé ». 

Vivement, un nouveau contrat, un véritable modèle de société qui aura vocation à éviter des lendemains socio-politico-économiques sombres à notre cher Sénégal.  

Paix et Salut sur le Mouhammad.

Elhadji Mounirou NDIAYE, économiste

 

Samedi 10 Mars 2018




Dans la même rubrique :