Dysfonctionnements au palais de justice : « Le plus gros scandale du Sénégal, c’est le fait de mettre des gens dans des conditions qui ne sont pas possibles et de leur demander de rendre justice » (Me Ndèye Fatou Touré, avocate).


La totalité des affaires qui avaient été retenues pour jugement, ce 6 octobre, par la chambre criminelle du tribunal de grande instance de Dakar a été renvoyée à des dates ultérieures. La raison évoquée demeure les conditions difficiles de travail parce qu’il faisait une chaleur infernale à la salle 4 du tribunal où devait se vider tous les dossiers qui avaient été mis à l’ordre du jour. Des difficultés qui ont fini par mettre certains avocats à l’image de Me Ndèye Fatou Touré dans tous leurs états. C’est à un véritable coup de gueule que le conseil s'est adonné après la levée de l’audience.

 

« Les affaires ont été renvoyées parce que nous étions en train de suffoquer dans les salles d’audience. C’est humainement intenable. Le plus gros scandale du Sénégal, c’est le fait de mettre des gens dans des conditions qui ne sont pas possibles et de leur demander de rendre justice. Quand on se met à juger la justice, l’institution judiciaire, les acteurs judiciaires à travers moins de 2% de leurs activités, c’est-à-dire des affaires mettant en cause des acteurs politiques, je trouve que c’est injuste », a dénoncé l’avocate habillée d’un habit traditionnel complètement imbibé.

 

« Ce qui se passe est inadmissible, indigne d’un État qui se dit de droit même d’une organisation qui se dit étatique et qui existe au plan international, qui souscrit à des engagements. Nous travaillons dans des conditions particulièrement inhumaines, devenues insupportables, déplorables et vraiment on ne peut que malheureusement le regretter très vivement », a ajouté la robe noire.

 

LA JUSTICE DOIT S’ARRÊTER!

 

À en croire Me Touré, l’institution judiciaire devrait marquer une pause et se pencher sur ses problèmes.

 

« On devrait marquer un coup d’arrêt ! La justice doit s’arrêter puisqu’elle ne peut pas fonctionner. Il y a des dysfonctionnements et le premier de ces dysfonctionnements ce sont les conditions de travail des magistrats, des avocats, de tout le personnel judiciaire. Nous avons un personnel judiciaire particulièrement insuffisant qui croule sous le poids de la surcharge de travail, c’est inadmissible et aujourd’hui, le tribunal d’instance de Dakar fonctionne avec moins de 4 magistrats. Ces derniers n’en peuvent plus, les avocats aussi, nous suffoquons dans les salles d’audience. Si vous pouviez me filmer, vous verrez que j’ai les habits totalement trempés et la dernière fois, vous avez vu un procureur tomber en syncope, mais vous aller bientôt voir un avocat tomber en syncope. Vous avez même vu, ici, des avocats tomber dans le palais et mourir, cette année, on aura tout vu et nous travaillons dans l’insécurité totale et cela est inadmissible et élémentaire », a-t-elle fustigé.

 

L’avocate qui s’était déplacée au palais de justice pour s’enquérir de ses dossiers, n’a pas manqué de s’attaquer à la tutelle.

 

« Je ne parle même pas du ministre de la justice qui ne descend pas dans les salles d’audience, qui ne veut pas savoir ce qui se passe, qui ne veut pas pallier depuis des années à cette insuffisance notoire et palpable d’infrastructures adaptées mais aussi d’équipements et également de personnel judiciaire, ça c’est criard. La région de Dakar polarise plus de 25% de la population sénégalaise et plus de 80% de l’activité économique du pays. C’est ici qu’on règle toutes les difficultés afférentes au  commerce juridiques. Les personnes ont soif et faim de justice », a-t-elle laissé entendre.

 

IL FAUT QUE LES GENS ARRÊTENT DE METTRE LES BUDGET AILLEURS.

 

À la question de savoir ce qu’il faut faire pour résoudre le problème, Me Touré croit qu’il faut impérativement mettre terme au gaspillage et s’interroge sur les fonds alloués pour la bonne marche de la justice.

 

« C’est élémentaire pour un État. Il y’a du gaspillage. J’ai la chance d’être avocate depuis 36 ans et d’avoir été aussi dans l’une des plus hautes instances du pays, j’étais membre de la commission des finances de l’Assemblée nationale, je sais qu’il y a des tranches budgétaires qui permettent tout de suite de régler ce problème, même nos partenaires en ont assez de nous aider. L’Union européenne dans le cadre de ses Fonds Européens de Développement (Fed) a injecté énormément d’argent dans l’appareil judiciaire, où passe cet argent ? Que fait l’État du Sénégal pour assurer, imaginez-vous, même des ventilateurs dans les salles. Quand il y a un dysfonctionnement sur des facteurs élémentaires, il faut savoir s’arrêter jusqu’à ce que ceux qui nous gouvernent sache que le minimum pour un 3ème pouvoir de l’État pas des moindre, le rempart des libertés, le gardien du temple, il faut le doter du minimum qu’il faut pour son fonctionnement », a asséné Me Ndèye Fatou Touré.

 

LA GOUVERNANCE DU SECTEUR, ELLE INCOMBE À L’EXÉCUTIF.

 

Elle pointe un doigt accusateur vers l’exécutif qui, selon elle, est responsable de cette situation dégradante que traverse l’appareil judiciaire.

« Il faut que les gens arrêtent de mettre les budgets ailleurs que dans le fonctionnement des institutions telles que la justice qui est mal gouvernée et la gouvernance du secteur, elle incombe à l’exécutif, le judiciaire n’a pratiquement pas son mot à dire, les deniers sont détenus par l’État, cela veut dire que je m’adresse, aujourd’hui, pas seulement au ministre de la justice qui est issu du milieu judiciaire et qui aurait dû faire des descentes inopinées dans les juridictions pour voir dans quelles conditions nous travaillons et pouvoir y remédier avec le ministère de l’économie et des finances. Que le ministre de l’économie et des finances vienne dans les tribunaux pour se rendre compte qu’il y a un minimum ! Si vous allez à son ministère, la caissière et la secrétaire la moins importante ne manquent de rien, côté matériel, alors qu’ici, ils ne sont pas capables de nous mettre des budgets qui puissent prendre en charge la ventilation. C’est extraordinaire! », a conclu l’avocate...

Mercredi 6 Octobre 2021




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