Cri de cœur d'un étudiant... (Par Ismaila Ly, étudiant en AES)



Les  apprenants d'aujourd'hui sont allergiques au savoir, rares sont ceux qui consacrent leur temps à la quête du savoir.Au lieu de s'investir dans la quête du savoir, ils sacrifient leur sacré temps dans des débats superfétatoires "tel joueur est transféré, telle équipe a remporté la ligue des champions, tel joueur est meilleur, tel lutteur est.. ,tel chanteur a..." Voilà les sujets de discussions de nos écoliers et étudiants  d'aujourd'hui qui n'ont aucun rapport avec ce qu'ils étudient à l'école. De ce qui précède, on peut inférer aisément que nos apprenants considèrent pour modéles, ces personnes susvisées. Une jeunesse qui ne s'intéresse guère à son histoire, à sa culture et au savoir, qui ne sait  rien de ses figures emblématiques, est une jeunesse "inéluctablement perdue" pour  reprendre ainsi l'expression de Mamadou Sy Tounkara, dans son livre "le développement expliqué aux jeunes". 
Interrogé sur un savant  de son pays, Cheikh Anta Diop , à l'occasion de la commémoration de son décès, l'étudiant fréquentant l'université que porte le nom de ce savant  resta interloqué et aphone.
Qui sont nos modèles?

Les hommes de sciences et de lettres qui ont marqué et révolutionné le monde  ne sont plus nos modèles.
"Sen petit galé" en est une parfaite illustration. Au lieu d'organiser des compétitions de culture générale, de génie en herbe ou parler des grands hommes; ce sont des concours de musique, et ne sont habilités à y participer que ceux qui ont récolté de bonnes notes à l'école. Plus navrant, tu ne verras jamais les enfants des organisateurs ou ceux des politiques y participer  à moins qu'ils soient spectateurs mais jamais leurs enfants ne s'exhiberont sur scène.
Que deviendront ces majors de classes et d'écoles?
Quand est ce que nos parents pauvres useront de leur "bon sens" et orienteront leurs enfants vers l'essentiel ?

Voilà la question qui me brûle toujours les lèvres:
quel peuple aurons- nous, quand la jeunesse est orientée vers la musique, la danse, la lutte ou le football ?

L'école est devenue juste un passe-temps. Pour certains c'est mieux d'aller à l'école, selon eux, que de rester à la maison sans  rien faire mais l'amour n'y est pas. Le corps est à l'école mais l'esprit n'y est pas. 
C'est pourquoi les résultats scolaires sont toujours alarmants. 
Nonobstant  la prolifération des écoles privées,devenues de véritables entreprises de gagne-pain, la construction des écoles publiques et le recrutement des enseignants, la situation demeure  désastreuse. Le niveau est très bas. Pour t'en rendre compte, écoute certains licenciés ou doctorants s'exprimer, tu as envie de boucher les oreilles. Si les fautes et les incohérences tuaient, il ne resterait à coup sûr de monde dans les établissements et administrations, les apprenants tout comme les responsables accadémiques  ou administrateurs.
On ne maîtrise ni notre propre langue ni la langue d'autrui. Notre wolof est émaillé de mots et d'expressions françaises et notre français est émaillé de fautes, de solécisme et de barbarisme.  
On lui demanda le directeur, la sécrétaire répondit "il est en jury pour les épreuves oraux*" au lieu épreuves orales, ou comme cette responsable de formation qui ne cesse de répéter à ses élèves "C'est moi qui a* dit" comme si le "je "et le "il" sont des pronoms interchangeables, ou encore un major de sa promotion dans une faculté à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar qui ne sait pas faire la différence entre l'auxiliaire être et avoir. On peut à loisir multiplier les exemples.

Loin de faire la promotion de cette langue qui nous est imposée par les colons et qui devait être reléguée au second plan au profit de nos langues maternelles par nos premiers leaders dès notre accession à l'indépendance mais malheureusement ils n'en faisaient pas leur priorité .
Monsieur Diop a raison de dire que "l'enseignement dispensé dans la langue maternelle éviterait des années de retard dans l'acquisition de la connaissance".

Il n'en reste pas moins qu'on ne saurait faire une analyse monolithique en imputant la faute uniquement à cette langue que nous utilisons des décennies durant. Vous conviendrez en effet avec moi que la curiosité intellectuelle a cédé la place à la paresse intellectuelle de nos jours.  Les bibliophiles, les amoureux de la lecture ou du savoir en général,on peut les compter. Ce qui faisait la règle fait maintenant l'exception. 
Les apprenants d'avant lisaient jusqu'à avoir les yeux crevés alors que certains parmi nous  n'ont jamais lu un livre de son début jusqu'à  sa fin.
Dans ses mémoires "les vicissitudes d'un militant du tiers monde",Mamadou Dia, ancien Président du Conseil du Sénégal, nous décrit son emploi du temps quand il fut en prison. Il y dit qu'il avait établi un emploi du temps comme un étudiant et le suivait à la lettre, il a terminé en un laps de temps 5 tomes d'un ouvrage et a piqué sa première crise de surmenage.
Voilà un éloquent exemple!!
La comparaison entre nos licenciés d'aujourd'hui et ceux d'avant n'est pas possible. Nous, apprenants d'aujourd'hui, ne les arrivons même pas au talon. Ils potassaient inlassablement et ne disposaient pas des moyens dont nous disposons aujourd'hui.
On ne saurait aujourd'hui évoquer la rareté des livres ni la cherté de ceux-ci pour justifier notre fainéantise, les livres sont disponibles à gogo sur le net, dans les bibliothèques et librairies. Ne peut-on pas dire avec Louis Pasteur que " la science n'a pas de patrie" ou avec l'auteur du "discours de la méthode" que " la science réserve sa beauté à celui qui la démasque"? Il est triste de le dire mais les jeunes sont allergiques à la recherche.

Comment peut-on transmettre un savoir par une langue qu'on ne maîtrise pas?

Il serait illusoire de maîtriser des théories écrites ou enseignées par une langue que la plupart de nos apprenants ne maîtrisent. Que de fois ,on nous parle des théories de Marx, de Hegel ou de Mao pour ne citer que celles-là vu que nos anciens comme nos nouveaux leaders n'ont pas de théories ou importent celles-ci.
On nous tympanise toujours avec des théories et des idées que nous n'arrivons pas à maîtriser dépuis le collège. Les 75% de ce que nous apprenons à l'école ou à  l'université  sont oubliés à notre sortie de celle-ci. En effet,
les étudiants  ne courent plus derrière le savoir mais derrière les crédits, le savoir ne les intéresse pas sous pretexte qu'ils valident l'année en vue de préserver leurs allocations. Donc il faut gober tout ce que les professeurs donnent sans comprendre et restituer fidèlement. 
Tout étudiant qui déroge à cette règle risquerait de "cartoucher".
Et la plupart de ceux qui redoublent ou n'ont plus espoir, se lancent dans les concours. Rappelons au passage cette parole de l'auteure d'"une si longue lettre", Mariama Ba.
"Le diplôme n'est pas le savoir mais il  couronne le savoir". Diplôme sans connaissance est un pistolet sans balles.

De nos jours, au Sénégal, aucun concours n'est négligé.
Une profession noble qui devait être valorisée et réhabilitée relevait à l'époque, du volontarisme. Il s'agit de l'enseignement à l'élementaire, c'est ce qui explique l'entrée massive des gens avec un niveau très bas dans ce métier. Il était hors de question  de faire aimer cette profession  à un étudiant.

Aujourd'hui, le concours de recrutement des élèves maîtres est un des concours qui reçoit plus de candidats au Sénégal, avec des frais d'inscription très élevés. 
Les gens le font-ils par motivation ou par désespoir?
On ne saurait connaître les intentions de chacun mais je pense que l'histoire récente nous a amplement édifié.

Une fois admis au concours, on ne saurait généraliser, ceux qui traînaient des lacunes à l'école et à l'université et n'ont pas pris le temps de s'en débarrasser transmettent celles-ci  à leurs élèves et voilà le cycle suit son cours au moment où, d'autres se paient un visa pour aller étudier à l'étranger et nous reviennent avec des idées importées et reprennent les rênes de notre pays et nous dirigent à l'"occidentale". Oubliant ainsi que leur pays respectif a été victime de pillage et de massacre de la part des colons. La plupart des jeunes qui partent à l'étranger  sont victimes d'acculturation et d'assimilation et nous reviennent avec d'autres pensées et modes de vie.
Conséquence: impossible de sortir du cercle vicieux.
Au lieu d'exiger  une éducation de qualité, certains  se fourmillent dans les pays  étrangers pour étudier  et ceux qui restent au pays  semblent être plus obnubilés par les allocations et crédits. Dès que les bourses  tardent, on les entend crier à tue-tête, risquant parfois leur vie pour laver cet "affront"...

Ismaila Ly
Etudiant en AES (Administration Économique et Sociale) en licence 3 à l'Université Virtuelle du Sénégal.
Dimanche 20 Octobre 2019




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