Covid-19 : Quand magasinage et surestaries menacent de grever le panier de la ménagère.


La guerre contre le Covid-19, engagée depuis le 23 mars au Sénégal, se poursuit jusqu’à nouvel ordre. Plus de deux mois après la détection du premier malade du coronavirus dans nos murs, des mesures d’accompagnement ont été prises par l’Etat pour amortir l’impact économique. Plusieurs secteurs ont été pris en compte en ce sens. Mais, il demeure que les acteurs portuaires en charge de plus de 75% des importations et des exportations ont été laissés à eux mêmes face aux armateurs et consignataires. En ce temps d’état d’urgence où les activités sont considérablement réduites, les frais de magasinage et de surestaries les étouffent. Ces frais qui n’ont pas été pris en compte dans le Programme de résilience économique et social passent, à leurs yeux, pour un boulet au pied pour leur secteur.
 
Voilà, aujourd’hui, plus de deux mois qu’ils font face à cette situation. Avec l’application du couvre-feu qui continuent d’impacter tous les secteurs d’activités, des voix de commerçants et autres acteurs intervenant dans le secteur de l’import/export ne cessent de se faire entendre pour exposer une batterie de difficultés auxquelles ils disent être confrontés. Parmi ces difficultés qui, aujourd’hui, les tireraient vers le bas, figurent en bonne place les lenteurs administratives qui conduisent au dépassement des délais de franchise. Ces délais d’une dizaine de jours sont accordés aux opérateurs après l’arrivée du navire ayant débarqué leurs marchandises. Ils constituent un nombre de jours durant lesquels toute opération d’enlèvement peut se faire sans aucune pénalité à payer. Le magasinage et les surestaries sont donc des frais liés à l’immobilisation du conteneur. 
 
En ce moment où le président Macky Sall a décrété la réduction du temps de travail des agents de l’administration, ce sont les populations Sénégalaises déjà affaiblies financièrement qui vont supporter la note salée. Ce, alors que dans d’autres pays comme, le Togo, la Côte d’Ivoire et l’Île Maurice, des mesures adaptées sont prises pour accompagner les commerçants, les industriels et tous ces acteurs qui font de l’import/export. Et c’est pour éviter qu’au finish, ces faux frais ne greffent davantage le panier de la ménagère, après le Covid-19, que Dakaractu s’est penché sur ces pénalités au port de Dakar. Surtout quand on sait que le commerçant ne vend jamais à perte dès lors qu’il répercute tout frais engagé lors de l’opération sur le coût de la marchandise.
 
‘’Qu’est ce qui est fait pour accompagner la population par rapport au magasinage et surestaries ?’’
 
Il est bon de se demander, aujourd’hui, avec la situation d’état d’urgence engendrée par le Covid-19, qu’est ce qui est fait pour accompagner la population par rapport aux marchandises importés qui génèrent des frais de magasinage et des surestaries ? Qu’est-ce qui est fait au niveau des compagnies maritimes et des manutentionnaires au profit des populations concernant ces magasinages ? Des questions qui tardent à trouver des réponses malgré les lenteurs administratives qui lèsent les acteurs portuaires.
 
Pour l’Association des commerçants et industriels du Sénégal (Acis), il urge pour l’Etat de se pencher sur les difficultés de leurs secteurs confrontés au paiement de pénalités. Pour plus d’un, aider aujourd’hui ces populations qui supportent tous les frais répercutés sur le prix de la marchandise, passe inéluctablement par la suppression des délais de franchise, le temps de l’état d’urgence. Ce, à l’image de certains pays où armateurs comme manutentionnaires ont suspendu les frais de magasinage et de surestaries jusqu’à la fin de l’état d’urgence ou au sortir de cette crise sanitaire qui entraine le confinement. C’est le cas, en Afrique, de l’île Maurice et de la Côte d’Ivoire mais aussi du Togo.
 
Commençons par le pays de Houphouët-Boigny où pour réduire considérablement l’impact du Covid-19 sur l’économie locale, les autorités portuaires ont proposé des facilités aux usagers du port d’Abidjan. Cette mesure constitue un moyen de soutenir les populations ivoiriennes au plan économique, social et humanitaire. Ainsi, annoncée par le gouvernement ivoirien le 31 mars 2020, la suppression des délais de franchise est effective, depuis plusieurs semaines. Ce, à la suite d’une rencontre avec les responsables des entreprises du port autonome d’Abidjan, initiée par l’autorité portuaire, le 2 avril 2020 dernier. Rencontre qu’ont mis à profit toutes les parties prenantes de cette réunion pour faire des propositions portant sur des facilités ou exonérations à apporter aux surestaries touchant les marchandises, les navires et les conteneurs dans le but d’alléger les charges financières des entreprises implantées au port d’Abidjan. 
 
‘’Réaménagement, en Côte d’Ivoire du paiement des frais de magasinage durant la période de la pandémie’’
 
À l’issue de ces échanges, la mesure annoncée par le gouvernement qui engage les ports ivoiriens, a porté sur le réaménagement du paiement des frais de magasinage durant la période de la pandémie. Cela a conduit à la suspension des pénalités et de la facturation des surestaries.  Ce qui revient à dire qu’aucune pénalité ne sanctionnera, le temps de la crise, un quelconque dépassement de délais de franchise dans l’enceinte portuaire.
 
Au titre des mesures de soutien aux entreprises, à court terme, visant à maintenir l’activité économique, à soulager leur trésorerie et à préserver l’emploi, l’on peut citer entre autres, celle relative au réaménagement, en liaison avec les Ports Autonomes d’Abidjan et de San Pedro du paiement des frais de magasinage durant la période de la pandémie pour surseoir aux pénalités et suspendre la facturation de surestaries, c’est-à-dire les pénalités dues en cas de dépassement des délais de présence des navires’’.
 
Pour certains acteurs économiques du ‘’pays de la Téranga’’, cette mesure aurait dû être prise au Sénégal depuis le jour où a été décrété le couvre-feu. Et ce, jusqu’à la fin de l’état d’urgence. Cela revient à dire que logiquement, toutes les marchandises débarquées au Sénégal durant la période du couvre-feu, (depuis le 23 mars jusqu’à la fin de l’état d’urgence), ne devraient supporter ni frais de magasinage ni de surestaries. Cela aurait dû être une mesure présidentielle adoptée dès le début pour accompagner les ménages. En Île Maurice, par exemple, c’est cela qui a été décidé. Cette mesure est loin d’être une affaire maritime, mais c’est la situation qui l’impose pour atténuer l’après crise où il est connu que le monde va être bouleversé. 
 
Quant au Togo, c’est depuis le 6 mai dernier que les surestaries ont été suspendues au Port autonome de Lomé jusqu’à nouvel ordre. Et en raison de la crise sanitaire et des effectifs réduits des personnels, la manutention des conteneurs est ralentie. Du coup des centaines de conteneurs sont en souffrance.
 
Ce que Macky Sall aurait dû faire depuis l’annonce de l’état d’urgence
 
Ce problème constitue, pour des opérateurs économiques comme Mamadou Seck, un goulot d’étranglement. En activité dans le secteur immobilier, l’entreprise dans laquelle il travaille importe beaucoup de conteneurs pour les différents projets immobiliers qu’il y a au Sénégal. Ce sont, entre autres, des conteneurs de carrelage, de portes en aluminium etc. qui sont importés régulièrement par sa boite. Face à l’état d’urgence, les enlèvements se font de plus en plus difficilement. Ce qui entraîne des pénalités qu’ils disent être obligés de payer à tort. 
 
‘’Aujourd’hui, le grand problème qu’on a avec Dubaï Port World (Dpw), est qu’ils sont en train de facturer des frais de magasinage et de surestaries sans tenir compte du Covid-19. Et cela, malgré la lenteur qu’ils ont eux-mêmes occasionnée en diminuant le personnel à cause des mesures barrière pour contrer le Covid-19. Le personnel réduit, le rythme est au ralenti au niveau de la douane. Les gens viennent pour payer mais ils n’y parviennent pas à cause du personnel qui est en mode télétravail. Nous qui sommes opérateurs économiques, ne sentons pas l’accompagnement de l’Etat dans ces moments. Chaque jour de retard, au-delà des délais de franchise est facturé par l’armateur. Ce qui n’est pas du tout normal puisque cette lenteur n’est pas imputable à l’opérateur. Mais, c’est plutôt lié à un problème de gestion au niveau de Dpw avec les facturations. Donc, ladite compagnie doit trouver un moyen de traitement des facturations de surestaries et magasinage. Cela, ne serait-ce que pour la période du Covid-19. Dpw ne doit pas nous facturer ces frais (surestaries et magasinage) en cette période de crise sanitaire qui a paralysé l’économie en réduisant gravement les activités’’, s’est insurgé M. Seck.
 
‘’C’est à croire qu’ils ont décidé sciemment de …’’
 
Pour lui, tout cela est engendré par le monopole. ‘’C’est ce monopole qui a complètement bousillé les activités au port. Etant seule, la compagnie Dpw fait ce qu’elle veut. Elle a décidé de réduire son personnel, mais elle se devait de facto, revoir son système de facturation. Et en établir une qui soit spécifique pour la période de crise sanitaire. C’est à croire qu’ils ont décidé sciemment de ralentir leurs activités et, en retour, en profiter pour faire payer chèrement aux opérateurs, ce retard qu’ils ont occasionné pour le paiement de facturation et des enlèvements. C’est devenu un vrai deal. Un moyen de s’enrichir sur le dos des opérateurs et c’est cela que je soupçonne en réalité. Pour cause, j’ai 7 ou 8 conteneurs au Port de Dakar qu’on veut sortir. On avait arrêté la date du 27 avril dernier pour les enlèvements, mais jusqu’à mercredi 29 avril dernier, nous n’y sommes pas. Tous les jours, du 27 jusqu’au 30 avril, feront encore l’objet de surestaries et de magasinage. Et pourtant c’est à cause de son personnel réduit que Dpw ne parvient pas à satisfaire la clientèle. Parce que faute d’assez de bras, le traitement de document ralentit. Et à ce rythme, c’est l’opérateur qui en sort lésé parce qu’obligé de payer des jours de magasinage supplémentaire’’, annonce  l’opérateur qui s’indigne du fait ‘’que personne ne réagit pour dénoncer cela’’.
  
D’autres grands importateurs Sénégalais eux aussi n’arrivent pas à avaler la pilule. Réunis au sein de l’Association des commerçants et industriels du Sénégal (Acis), ils ont haussé le ton. ‘’Ce qui pose problème est que même si nos conteneurs sont déjà débarqués et le processus d’enlèvement en cours, il se trouve que les fournisseurs sont actuellement en confinement. Ainsi, le conteneur peut arriver à destination sans que les documents nécessaires pour les opérations d’enlèvement ne soient disponibles. Cela fait qu’une fois les délais de franchise épuisés, commencent alors le magasinage et les surestaries. L’importateur est alors obligé d’attendre parce que n’étant pas en possession du connaissement (titre remis par le transporteur maritime, ou son représentant, à l'expéditeur propriétaire de la marchandise en reconnaissance des marchandises que son navire va transporter. Sur ce document sont consignés la nature, le poids et les marques des marchandises embarquées)’’, a déclaré Abdourahmane Syll, Secrétaire général de l’Acis.
 
‘’Nous sommes dans une situation exceptionnelle, nous aurions préféré l’annulation de ces délais de franchise’’
 
L’autre problème est que le confinement entrave le travail à l’étranger mais il impacte aussi le système portuaire et les opérations ici au Sénégal. Ce sont ces deux facteurs qui entrainent magasinage et surestaries. Des frais supplémentaires indépendants de notre volonté. C’est cela le problème. Nous avions saisi le ministère du commerce pour lui faire part de nos difficultés idem pour les compagnies de transport et armateurs. Nous aurions préféré l’annulation de ces délais de franchise. Parce que nous savons que si tout tournait normalement, on n’en serait pas là à subir des retards d’enlèvement qui  engendrent des frais de magasinage. Mais il se trouve que nous sommes dans une situation exceptionnelle. Aujourd’hui, les délais de franchise peuvent être dépassés sans que l’on détienne les documents nécessaires pour les formalités d’usage. Alors qu’auparavant on entrait en possession des documents des conteneurs dès leur départ’’, a confié le Secrétaire général de l’Acis. C’était au cours d’un entretien téléphonique accordé à Dakaractu.
 
Il est ressorti dans ses propos que beaucoup de membres de l’Acis sont ‘’aujourd’hui confrontés à des difficultés énormes. Chaque jour des membres de notre organisation nous interpellent. Actuellement, une telle situation entraine des conséquences. Mais, ce sont des conséquences qui impactent sur les populations. Cela peut favoriser une situation de pénurie. Cette rareté peut engendrer une inflation des produits.  Ces frais supplémentaires vont aussi être répercutés sur les prix de revient. L’importateur va les répercuter sur les prix pour ne pas enregistrer de perte. Cela aussi va entraîner une flambée des prix. 
 
Et pire, nous sommes en période de ramadan, nous avons beaucoup de conteneurs qui contiennent des dattes et autres produits périssables. Si l’importateur est confronté à des difficultés pour sortir son conteneur du port au moment où on a entamé pleinement le mois de jeune. Il risque de ne plus avoir la possibilité d’écouler son produit. Or, nous savons tous que la datte est un produit qui n’est prisé que durant le ramadan. Donc, il faut dire que cette situation a des conséquences qui ne profitent pas aux Sénégalais. Il s’agit de pénurie, de flambée des prix ou de pertes individuelles pour les importateurs’’, a-t-il indiqué.
 
Toutes choses qui confirment la nécessité pour l’Etat de rectifier le tir en procédant à la suspension des délais de franchise. Mais il faut préciser que des tentatives pour joindre la direction de Dpw sont restées vaines, malgré plusieurs appels téléphoniques.
 
Lundi 11 Mai 2020




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