Casamance - 870 morts, 75 zones piégées, 1000 familles déplacées: Retour sur le lourd bilan de 40 ans de conflit


Le déplacement du Président Bassirou Diomaye Faye à Dar Es Salam, dans la commune de Nyassia, a permis de mesurer concrètement les conséquences d’un conflit vieux de plus de quatre décennies. Face au chef de l’État, deux acteurs principaux ont conjugué leurs diagnostics pour dresser le tableau d’une Casamance meurtrie mais résiliente : il s’agit de l’Ambassadeur Pape Maguèye Diop, directeur du Centre National d’Action Antimines (CNAMS) et de Iba Sané, directeur général de l’Agence Nationale pour la Relance des Activités économiques et sociales en Casamance (ANRAC).

 

Le fardeau des mines : 870 victimes et 1,3 million de m² encore à sécuriser

 

L’intervention de l’Ambassadeur Magueye Diop a rappelé la genèse d’un drame humanitaire né en 1982 avec le conflit entre le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC) et l’État du Sénégal. À partir de la seconde moitié des années 90, la région s’est progressivement transformée en champ de mines, certains experts faisant même remonter cette contamination à la guerre de libération d’un pays voisin. Le bilan humain est lourd : 870 victimes, toutes catégories confondues. En effet, le CNAMS prend en charge 186 victimes civiles, tandis que l’armée s’occupe des autres, essentiellement militaires. « Ces chiffres témoignent du prix que nos populations ont payé pour un conflit qui a duré trop longtemps », a souligné le directeur du CNAMS.

 

Depuis 2008, année du démarrage effectif des opérations de déminage, les équipes du CNAMS ont sécurisé 2,2 millions de m² de terrain, répartis dans 144 zones couvrant 11 communes et 55 localités. Au total, 527 engins explosifs ont été découverts et détruits. Mais le travail restant demeure considérable selon le DG du CNAMS qui rappelle que 1,3 million de m2 doivent encore être déminés dans 75 zones dangereuses réparties dans 36 localités. Il ajoute que Bignona concentre à elle seule 42 zones dangereuses, soit plus de la moitié des sites à traiter. Pour les autres zones concernées qui se situent à Oussouye, Ziguinchor et Goudomp, seul le département de Sédhiou est touché par cette contamination.

 

Parallèlement aux opérations de déminage, le CNAMS a mené des campagnes de sensibilisation dans « 296 localités, touchant 5 285 personnes et formant 234 relais en éducation au risque des engins explosifs. »

 

 

Retour des déplacés : 203 villages repeuplés, 941 ménages encore en attente

 

Face à ce tableau sécuritaire, Iba Sané a présenté l’autre versant de la reconstruction : le repeuplement des villages abandonnés. Les chiffres qu’il a exposés témoignent d’une dynamique progressive mais encore insuffisante. « Nous sommes passés de 197 villages retournés selon notre décompte initial à 203 villages après l’évaluation de novembre 2025 », a précisé le DG de l’ANRAC indiquant qu’en un an, « 1126 ménages supplémentaires ont réintégré leurs foyers, portant le total à 6781 ménages retournés contre 5655 en 2024. »

 

Les villages en attente de retour, qui étaient au nombre de 47 au lancement du Plan de Désenclavement de la Casamance (PDC), sont désormais 41, grâce aux interventions du programme qui ont permis le retour de 6 villages. De même, les ménages en attente sont passés de 992 à 941, soit une réduction de 51 foyers.

 

Djibidione et le Fogny : l’épicentre du déplacement

 

La cartographie du déplacement révèle des disparités géographiques marquées. La commune de Djibidione arrive largement en tête avec 24% de l’ensemble des villages en attente de retour. « C’est là où le conflit a réellement eu des conséquences dramatiques. Jusqu’à présent, dans le Fogny, beaucoup de villages ne sont pas encore retournés », a souligné Iba Sané. Sur les 59 villages que compte Djibidione, 19 étaient déplacés, soit près d’un tiers des localités vidées de leurs populations. D’autres communes, toutes situées le long de la Nationale 6, restent des zones les plus affectées. Leurs populations ont fui vers la Guinée-Bissau voisine, se sont réfugiées sur l’axe plus sécurisé de la Nationale 6, ou ont migré vers Dakar et d’autres villes du pays.Si l’on raisonne en nombre de ménages, « Ziguinchor arrive en tête avec 301 ménages en attente de retour, suivie de Bignona avec 292 ménages », rappelle Iba Sané.

 

53 milliards mobilisés : Ziguinchor capte plus de la moitié

 

Le Plan de désenclavement de la Casamance dispose d’une enveloppe de 53,6 milliards de FCFA, répartie en fonction de l’ampleur des besoins. Ziguinchor, épicentre du conflit depuis 1982, capte 29,1 milliards de FCFA, soit 54,4% du budget total. Sédhiou bénéficie de 13 milliards (24,2%), tandis que Kolda reçoit 10 milliards (18,6%).

 

Cette répartition reflète la concentration des zones affectées dans la région de Ziguinchor, où se croisent les défis du déminage et du repeuplement. La prédominance de Bignona dans les zones contaminées (42 zones sur 75) et de Djibidione dans les villages déplacés (24% des cas) explique, selon l'État, cette allocation budgétaire.

 

Les interventions croisées de l’Ambassadeur Diop et d’Iba Sané ont mis en lumière l’interdépendance entre déminage et repeuplement. Sans sécurisation des terres, impossible d’envisager un retour durable des populations. Sans accompagnement au repeuplement, le déminage perd une partie de son sens humanitaire. « Les choses ont commencé à évoluer au Sénégal », a laissé entendre l’Ambassadeur Diop, suggérant une possible évolution vers une plus grande autonomie nationale dans la gestion des opérations de déminage, longtemps confiées à des organisations internationales intervenant dans des zones de conflit comme l’Afghanistan, l’Ukraine ou l’Angola.

 

Alors que la Casamance aspire à retrouver une paix durable, ces deux défis restent plus que jamais d’actualité. Avec 1,3 million de m² encore à sécuriser et près de 1 000 ménages en attente de retour, le travail des démineurs et des agents de l’ANRAC demeure essentiel pour permettre à cette région au potentiel agricole et touristique considérable de tourner définitivement la page d’un conflit de 40 ans.

 

Le directeur du CNAMS rappelle que le Sénégal mène régulièrement un plaidoyer dans les instances internationales et célèbre chaque 4 avril la Journée internationale de lutte contre les mines. Ce qui témoigne, dit-il, de son engagement constant sur cette question humanitaire majeure. 

Lundi 22 Décembre 2025
Dakaractu