VIEILLE FRANCE ET JEUNE AFRIQUE (Oumou Wane)

République est supérieure à toute loi religieuse. Mais plus que le droit au blasphème, nos intellectuels s’imposent un droit de réserve afin de ne blesser personne et au nom du savoir vivre ensemble


VIEILLE FRANCE ET JEUNE AFRIQUE (Oumou Wane)
Mais que s’est-il passé au juste à la rédaction parisienne de Jeune Afrique et qui a eu cette idée folle d’illustrer un sujet sur le sac à main dit efféminé de l’artiste sénégalais Waly Seck par une caricature de Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du Mouridisme ?

Une erreur, selon Marwane Ben Yahmed, le directeur de publication de Jeune Afrique qui s’est prononcé sur ce qu’il a appelé «un accident». «Ce dessin, ajoute-t-il, est de l’un de nos caricaturistes qui n’est pas Sénégalais, qui ne maîtrise pas forcément tous les codes et qui surtout ne voulait pas porter atteinte à la figure du chef religieux.»

Je le crois bien sûr, mais est-ce bien sérieux quand on sait où a mené la décision de Charlie Hebdo de publier les caricatures danoises du prophète Mahomet, considérées comme une offense par l’ensemble de la communauté musulmane ?

À n’en pas douter, il s’agit bien là de l’influence d’un certain esprit français, une contagion de ce caractère ingérant et donneur de leçons, une culture de la provocation en guise de liberté d'expression et qui voudrait imposer ses idées, dont le droit de blasphémer au reste du monde. Résultat au contraire, cela crée des débats violents dans la société musulmane et fait des dégâts dans la tête des jeunes dont des Sénégalais qui partent faire le Djihad en Syrie alors qu'ils avaient un brillant avenir promis, de futurs médecins et ingénieurs pour certains.

Heureusement, ce déni de la différence n'existe pas chez les anglo-saxons, plus attentifs à ne pas provoquer et blesser bêtement et inutilement. Nous sommes là en présence d’une spécificité bien française en matière de pensée- «il est interdit d’interdire»-, le blasphème fait partie des droits de l'homme et voudrait même s’exporter pour devenir universel et venir se mêler dans le monde entier de la manière dont chacun vit sa foi.

Car le problème est bien là, le droit au blasphème d’un coté, ce droit d’insulter n’importe qui, n’importe quoi et n’importe où, contre le droit au respect et à la dignité. Que je sache, au Sénégal, nous ne mangeons pas de grenouilles, mais nous pouvons nous flatter de la tolérance de nos religions et croyances et du fait que les fêtes musulmanes et chrétiennes sont fêtées et respectées par les différentes confréries musulmanes et les autres communautés.

Chez nous aussi, pourtant, la loi de la République est supérieure à toute loi religieuse. Mais plus que le droit au blasphème, nos intellectuels s’imposent un droit de réserve afin de ne blesser personne gratuitement et de donner aux jeunes générations un exemple de civisme et de savoir vivre ensemble.

Tout ceci est donc très choquant, mais Jeune Afrique a retiré son dessin de la version papier du journal et je considère pour ma part la menace de l’interdiction de la publication au Sénégal tout à fait disproportionnée. D’autant que Marwane Ben Yahmed a indiqué que des excuses ont été présentées au Khalife général des mourides qui les a acceptées.

Mais revenons un instant sur le fond du sujet ! Le journal traitait de l’affaire du cabas efféminé de Waly Seck pour dénoncer l'appréciation hypocrite des Sénégalais face à une démarche artistique. En tant qu’être humain et sénégalaise, je ne peux que soutenir, du coup, la liberté d’expression de la presse et des artistes, dont le rôle est de nous déranger afin que nous avancions dans nos idées.

Waly Seck est un artiste qui affirme ne pas défendre les pratiques homosexuelles et n’être même pas homosexuel lui-même. Il invente des codes esthétiques pour l'Afrique, qui ne peuvent que faire avancer la tolérance et la compréhension des différences.

Quant à l'homosexualité, elle est punie, au Sénégal, aux termes de l'article 319 du code pénal. Rien ne laisse augurer un changement prochain dans l’appréciation de cette pratique sexuelle au Sénégal. Souvenons-nous ce que Macky Sall a rétorqué à Barack Obama, en visite dans le pays : le Sénégal n’était pas prêt à légaliser l’homosexualité tout comme d’autres pays ne sont pas prêts à abolir la peine de mort !

Pourtant, cette fois en tant que femme, je ne peux qu’inviter chacun à la retenue, la compréhension et la réflexion car ainsi qu’il est écrit dans une célèbre chanson : «Nul n’a le droit en vérité, de les blâmer, de les juger, et je précise, que c'est bien la nature qui, est seule responsable si, ils sont des hommes, oh ! Comme ils disent.»
Vendredi 5 Février 2016
Dakar actu




Dans la même rubrique :