Un Elitisme Inclusif pour Restaurer la Qualité dans l’Ecole Sénégalaise ! (Le concept Par Mathiam Thiam)


Un Elitisme Inclusif pour Restaurer la Qualité dans l’Ecole Sénégalaise ! (Le concept Par Mathiam Thiam)

Il n’est possible, dans aucun domaine des savoirs scientifiques, sociaux, culturels, technologiques ou même religieux de faire l’économie d’une élite dont les leçons d’excellence et d’intelligence bien apprises ont la vertu rédemptrice de tirer  des l’homme des abimes de la médiocrité et de l’échec résigné aux cimes de la réussite retrouvée. Cette vertu libératrice est la fonction éducative que lui assigne Alain, le grand pédagogue français pour qui « l’idéal démocratique ne se réalise que si l’élite instruit le peuple »: Jésus et ses apôtres, Mouhamed (PSL) et ses compagnons, Voltaire et les philosophes du Siècle des Lumières étaient des corps d’élites qui ont illuminé leur temps et l’éternité quand leurs congénères croupissaient dans la misère intellectuelle, lit de tous les obscurantismes ou dans la dégénérescence spirituelle, lit de toutes les pratiques irrationnelles! C’est cette même mission salvatrice que Gustave le Bon confère à l’élite quand il dit que « le véritable progrès démocratique n’est pas d’abaisser l’élite au niveau de la foule, mais d’élever la foule vers l’élite.»  
Pourquoi donc avoir peur des élites ? Avons-nous bien appris les leçons d’Outre-Mer ? Les universités Ivy Leagued’Amérique  telles que Harvard, Yale, Princeton, MIT …, les OxBridges d’Angleterre (Oxford et Cambridge), les Grandes Ecoles de France (Polytechnique, Centrale, HEC …) ont formé pour leurs pays et le monde entier des élites dont l’expertise est partout sollicitée: n’y rentre pas qui veut!

Que veut dire le concept d’Elitisme Inclusif qui a apparemment les atours d’un paradigme antinomique car il est vrai que dans l’absolu, tout élitisme porte les germes de l’exclusion  par la sélection-marginalisation. Cependant ces stigmates peuvent bien être atténués si la constitution des élites est astreinte à la norme républicaine d’égalité des chances pour tous à travers le territoire national. Le concept ne pourra pour autant s’accommoder de l’illusion d’un égalitarisme républicain qui confond l’égalité des chances pour tous avec la garantie de réussite pour tous.

Le concept dans le réel

Pour opérationnaliser le concept de manière inclusive et restaurer la qualité dans l’Ecole, il faudra créer à travers le territoire national, des Pôles d’Excellence Scolaire mixtes ouverts aux élèves du primaire et du secondaire (cinq pôles), garçons et filles tous recrutés sur une base très sélective dans leur localité et astreints au régime d’internat. Les enseignants recrutés par voie de concours, bénéficieront d’un statut particulier dans un espace pacifié où la grève sera prohibée sous peine de licenciement. Les pôles ainsi constitués installeront dans la communauté éducative  nationale une culture méritocratique inclusive parce que républicaine, capable de faire rêver et d’accompagner le garçon de Goudiryou la fille d’Oussouye dont les talents ont été jusqu’ici étouffés par l’enclavement et la pauvreté. 

La réhabilitation du système éducatif classique

Constituer des élites ne veut point dire abandonner à leur triste sort les « Fabriques de Cancres » du système éducatif classique. Par des efforts soutenus dans la durée, les écoles primaires, les lycées et collèges peuvent bien se transformer en centres d’excellence  si des mesures d’accompagnement et d’assistance pédagogiques et de régulation institutionnelle sont prises, à savoir:

• La réhabilitation du Français : Langue de travail, de construction et de transmission des connaissances, le Français fait partie de notre patrimoine culturel et scientifique parce que présent dans notre histoire depuis trois siècles. Le Français est ainsi la matrice des savoirs sans laquelle nous n’aurons pas de bons mathématiciens encore moins de bons philosophes, voire de bons anglicistes. Gare aux sirènes d’undiscours idéologique ou religieux inspiré par un nationalisme vindicatif qui veut régler des comptes avec l’histoire par des replis identitaires dans les langues nationales ou étrangères. Kagamé du Rwanda est  en train de faire un transfert d’agressivité ruineux pour son système éducatif en reniant le Français pour régler des comptes avec la France : renier Napoléon pour Albion ne libère point du giron du colon; c’est plutôt se fourvoyer dans lesimpasses linguistiques d’un ghetto scientifiqueA la limite, une utilisation pragmatique et circonstancielle des langues nationales dans un « bilinguisme limité » pourrait alléger la «charge conceptuelle» d’un apprentissage dans une langue seconde mal maîtrisée. Pour la petite histoire, rappelons aux jeunes générations que l’un des meilleurs journaux des années 80, aussi bien par le contenu que la qualité de la langue Andde Soppi- était animé par des mathématiciens: Maguette Thiam et Samba Diouldé Thiam. Le professeur Sakhir Thiam, brillant mathématicien peut décliner les Ensembles en Wolof parce qu’il les a bien structurés en Français qu’il maîtrise à ravir et grâce auquel il peut publier à l’international et attirer à l’Université Bourguiba des milliers de jeunes Africains.
• La réhabilitation de « Monsieur l’Instituteur, modèle social ! »: Toutes les élites qui ont  dirigé ce pays, dans la haute administration et le secteur privé des années soixante à quatre-vingt, années d’effervescence politique, syndicale, intellectuelle  et de brillance scolaire ont été façonnées par des instituteurs dont l’élégance de la chemise blanche immaculée et de la cravate noire de jais ajustée  au col amidonné, transpirait une révérence pour le savoir porté par un discours châtié et un posture altière, image rassurante pour tout parent d’élève de passage en visite de courtoisie! Aujourd’hui, en lieu et place nous avons des « Maîtres » dépenaillés en Jeans élimés, à la coiffure hirsute ou des « Maitresses » dépigmentées pour qui l’élégance n’est plus dans  la sobriété et la finessevestimentaires mais dans la vulgarité des tenues osées, des enseignants pour qui la langue françaiseest aussi étrange qu’étrangère!
• Le recadrage des filières: Récemment un discours decontempteur des filières littéraires s’est subtilement profilé en arrière plan de la critique fort légitime du déséquilibre entre les matières littéraires et scientifiques. En vérité, les questions pertinentes suivantes ont été évacuées: la désaffection pour les filières scientifiques, n’est-elle pas la résultante d’une mauvaise didactique des matières scientifiques ? Etre bon mathématicien ou chimiste émérite signifie-t-il automatiquement être bon pédagogue de ces matières? En outre, les facteurs psycho affectifs liés à la personnalité du professeuront souvent fait basculer l’élève de la fascination à l’aliénation ! Combien de génies ont été inhibéscombien d’ambitions anéanties par des professeursde sciences au discours rébarbatif, plus maîtres de leurs savoirs savants et théoriques que maîtres de leur art pédagogique et pratique? Cependant, les professeurs de lettres devraient prendre conscience des immenses chantiers qui les attendent dans le champ de la didactique d’une langue qui doit êtreenseignée pour porter un discours scientifique, pour véhiculer par des contenus pertinents les fonctions communicatives dont la pensée et les métiers modernes ont besoin: comment peut-on enseigner Rabelais dans un Lycée technique, même si « Science sans conscience, ruine de l’âme » peut nous éclairer sur les rapports entre la science et les humanités? C’est aussi erratique que gaver des physiciens d’alexandrins! Il faudrait inventer une culture pragmatiste bien éloignée de tout humanismecontemplatif et béat des belles lettres et du bel esprit! Chaque civilisation sa culture, ses valeurs et ses urgences: nous vivons un siècle où l’information instantanément disponible nous accule à cultiver des capacités d’analyse complexe pour prendre des décisions rapides et faire face aux défis de l’instant.

L’enseignement des langues devrait aussi se conformeraux stipulations de la Loi d’Orientation qui nous exhorte à « Lier l’Ecole à la vie  … pour transformer la société», c’est-à-dire socialiser et professionnaliser la langue qui ne sera plus qu’un objet d’étude scientifique mais un outil de communication, un outil de prise de décision et d’action. Que dire de l’Histoire et la Géographie ?

Les nouvelles technologies, bien utilisées, peuvent faire l’économie des longueurs et pesanteurs encyclopédiques de certains cours qui, ironiquement font recours à des fascicules pour compléter à domicile un programme déjà pondéreux. L’assassinat du Duc de Sarajevo et les évènements qui ont mené à la Première Guerre ou toute autre chronique de guerre ne méritent pas des prises de notes fastidieuses: les images d’archives cinématographiques  peuvent être bien être projetées économiquement à plusieurs classes dans des salles spécialisées et discutées intelligemment. Gain de productivité intellectuelle oblige!

• Une formation permanente obligatoire dans les cellules pédagogiques, coordonnée par l’Inspection Générale, accompagnée par la FASTEF, assistée par les Inspecteurs de l’Enseignement Moyen Secondaire, les inspecteurs de l’Enseignement Primaire et les Conseillers pédagogiques. D’ailleurs, cette nouvelle structuration sera l’occasion pour revaloriser les ressources humaines  de qualité dormantes dans les régions où des retraités de talentne demandent qu’à aider. La structure devra bénéficier de moyens logistiques et matériels adéquats et dotée de moyens de sanction positive ou négative. D’ailleurs, le principe de subsidiarité de l’Acte Trois de la Décentralisation facilitera l’effectivité de ces mesures de régulation et de contrôle sans avoir à remonter au sommet de l’état central où elles dormiraient dans les tiroirs du dilatoire ou de l’impunité.   
• Généralisation de l’Anglais au primaire: C’est une simple question d’équité car dans la plupart des écoles primaires privées, l’Anglais est déjà enseigné. De plus, la Commission de Réflexion sur l’Enseignement Supérieur a préconisé l’utilisation de l’Anglais pour enseigner les sciences, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques en Anglais. Pour ne peut pas être qu’une vue de l’esprit, cette recommandation doit être d’abord confortée à la base par une culture linguistiqueanglo-saxonne dès le primaire car les élèves d’aujourd’hui seront les étudiants de demain qui étudieront en Anglais : tout raccourci aujourd’hui prépare à de cuisants échecs demain. Dès à présent, des cohortes de professeurs d’Anglais devraient être formées pour prendre en charge ces défis pédagogiques qui cachent une plus-value extraordinaire en emplois et production de matériel didactique.
• Rompre avec le fétichisme du tout-numérique : Il est ahurissant de se plaindre de la désaffection des enfants pour la lecture due à l’utilisation abusive des gadgets électroniques et  d’autre part leur  distribuer  des tablettes comme des sucettes. Au lieu de libérer l’esprit des stratégies de mémorisation pour s’engager dans des activités de réflexion critique participant à la création de savoir et à la structuration de la pensée, beaucoup de jeunes usagers de ces tablettes utilisent ces gains de productivité cognitive pour assouvir leurs appétitsludiques et commencent même à développer une accoutumance pathologique et une nouvelle forme d’asservissement mental dans un paradoxe tragi-comique où le libérateur se mue insidieusement en dictateur! Il faut réhabiliter le livre par la lecture pédagogique obligatoire, avec comme slogan, « un/e élève, un livre (de culture générale ou scientifique), un crayon une gomme et un cahier de compte rendu de lecture »Loin de nous toute velléité  de repli primitiviste: tous mes cours à la FASTEF et animations pédagogiques nationales sont en PowerPoint! 

C’est aussi le moment d’encourager la création extra muros dans les écoles secondaires d’espaces d’affinitéintellectuelle, de sociétés savantes, clubs de philosophie, de mathématiques, d’informatique, de géographie où seraient invitées des personnalités du monde de l’entreprise, des arts, de l’université et de la vie publique.Ces espaces seraient des substituts plus crédibles auxfameux « Foyers » qui ne sont en vérité que des foyers de subversion et de déperdition. Quand j’étais professeur au Lycée Seydou Nourou Tall dans les années 80, notre club d’Anglais publiait un journal Challenge et remplissait avec entrée payante l’auditorium de l’Ecole Normale Supérieure pour mettre en scène  des représentations en Anglais, couvertes par la télévision nationaleHommage à Makhtar Guèye, journaliste talentueux, que Dieu ait pitié de son âme! Récemment, dans un amphithéâtre rempli, les stagiaires-anglicistes de la FASTEF ontanalysé didactiquement une prestation de Kader, l’artiste comédien en utilisant la taxonomie de Bloom. 

Conclusion

Pour conclure, notre modeste analyse nous mène à une évidence même si la conviction qui la sous-tend peut ne pasêtre partagée: le salut de notre école passera nécessairementpar la refondation de l’école de base confiée à des hommes et femmes de valeur capabled’engendrer des élites. Rejeter cette culture élitiste fondée sur le mérite et la territorialisation de l’excellence, c’est ériger la médiocrité en valeur d’égalité pseudo républicaine. Comme le pense Alexis Carrel, « le principe démocratique a contribué à l'affaissement de la civilisation en empêchant le développement de l'élite»  car la massification est comme une massue qui écrase la qualité en fragments de médiocrités. Par contre, ouvrir les portes de l’excellence aux seuls méritants de la République, c’est installer des balises d’espoir à travers le territoire national à toutes et à tous ceux qui l’avaient perdu dans les ténèbres de l’exclusion

 

Dédié à mon Maître, Sékhou Diagne, Instituteur, Ecole Cerf-Volant 1956-62.

Mathiam Thiam 
Inspecteur Général de l’Education Nationale 
Formateur  à la FASTEF 
Département de Didactique de l’Anglais

MT/015Page 1/4

 

Dimanche 2 Août 2015




Dans la même rubrique :