« Un Califat Islamique au Sahel à l'horizon 2025 » : surenchère ou réalité sur le terrain ?


« Un Califat Islamique au Sahel à l'horizon 2025 » : surenchère ou réalité sur le terrain ?
Lors d’un entretien avec une radio de la place le dimanche 20 août 2017, un ancien Ministre des Affaires étrangères agitait le spectre d’un Califat Islamique du Sahel à l’horizon 2025.
Surenchère ou réalité, un examen des récents développements sur le terrain où coexistent difficilement deux obédiences Jihadistes à savoir Al Qaeda et Daesh peut permettre une appréciation objective de la situation.
AL Qaeda au Sahel
Le 1/03/2017, cinq des grands leaders Jihadistes du Sahel (Algeria, Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger) ont annoncé dans une vidéo la mise sur pied d’un groupe de support à l’Islam et aux musulmans (GSIM). Ce groupe est la résultante d’une fusion entre Ansar Dine   le Front de libération du Macina, Al Mourabitoune et Al Qaeda au Maghreb Islamique ou AQMI.Le GSIM a prêté allégeance à Al Qaeda. Le 5 Mars 2017 ce groupe revendique l’attaque sur Boulikessi à la frontière avec le Burkina avec a la clef, 11 soldats Maliens tués sans compte l’attaque du Mécanisme Opérationnel de Coordination (MOC) de Gao.
Des problèmes subsistent cependant à l’intérieur du groupe rendant sa cohésion aléatoire.
-la querelle de leadership entre Aqmi et Al Mourabitoune continue à couver.
-les têtes de file d’Aqmi et d’Almourabitoune qui ont institutionalisé le GISM sont Algeriens tandis que ceux d’Ansar dine et du Front de libération du Macina sont Maliens, Touaregs ou Peulhs ce qui impacte la structure de commandement et de contrôle du groupe et influence forcement le choix des cibles à frapper et les zones ou s’implanter. Les premiers préfèrent agir au Nord de l’Algérie, les seconds choisissent de frapper et progresser au Mali.
-Au total, ce groupe affilié à Al Qaeda fait face à des problèmes d’organisation, de choix stratégiques et opérationnels et de mutualisation des moyens.
La création du GISM coïncide avec l’effondrement progressif de Daesh en Irak et en Syrie. En se positionnant comme rassembleur et initiateur d’un front commun des groupes se reconnaissant en Al Qaeda, ce nouveau groupe cherche sans conteste à redorer le blason de Al Qaeda pour attirer de probables combattants islamistes rescapés de de la déconfiture annoncée de Daesh au Moyen Orient et à lui barrer la route éventuellement au cas où ce dernier projetterait de s’installer effectivement et durablement au Sahel.
L’Etat Islamique au Sahel
En plus de ces balbutiements organisationnels sous la bannière Al Qaeda, et pour ajouter au factionnalisme jihadiste dans le Sahel, un groupe a été mis sur pied, en Mai 2015 cette fois ci sous la bannière de Daesh sous le nom d’Etat Islamique dans le Grand Sahara (EIGS), organisation reconnue un an plus tard après moult hésitations par le leadership central de Daesh en Octobre 2016. Ce groupe qui est responsable de plusieurs attaques contre les forces de sécurité et de défense Burkinabè et du Niger, est une aile dissidente d’Almourabitoune sous la houlette d’un certain Abou Walid AlSahraoui. On peut mettre à son actif l’attaque à l’arme légère du 2 Septembre 2016 du poste de gendarmerie de Markoye, celle de la position militaire de Intangom au Burkina et celle plus complexe de la prison de Koutoukale au Niger (ou étaient détenus des combattants d’Aqmi et de Boko Haram) le 17 Octobre 2016.
Les deux premières attaques ont été revendiquées par AlSahraoui au nom de « l’Etat Islamique du Grand Sahel » et pour le compte de Daesh par le biais d’un journal Mauritanien ‘AL AKHBAR, et celle du Niger par le truchement de « AlJazeera » le 18 octobre 2016. Ceci ne signifie pas pour autant que Daesh a déjà sa wilayat ou province dans le Sahel de façon formelle et effective. En cause, la petite taille du groupe, la modicité de sa capacité opérationnelle (2 attaques à l’arme légère et un seul attentat suicide) et le fait que Al Sahraoui n’a pas pu faire basculer l’ensemble du groupe Almourabitoune dans le giron de Daesh. De plus, l’ensemble du leadership salafiste et jihadiste de la sous-région a condamné la position de ce groupe et rejeté tout concept jihadiste base sur le modèle Daesh. Pour le moment on peut considérer que Daesh utilise la reconnaissance de ce groupe comme une opération médiatique destinée faire croire que son Califat en voie dislocation (Syrie/Irak) est global et s’épanouit sur d’autres terres notamment aux confins du Mali, du Niger et du Burkina ou les appareils sécuritaires sont plus que perméables.
Les obstacles au « projet » de Califat Islamique au Sahel.
A ce jour on est loin d’un Califat Islamique au Sahel, tant les obstacles à surmonter sont nombreux.
-  Al Qaeda tente d’agréger ses groupes dans la même zone et la concurrence est donc lancée entre ces deux obédiences jihadistes dont les idéologies sont presque inconciliables. Le GSIM ne laissera pas le terrain aux affidés de Daesh sans réagir et vice-versa.
-Le niveau d’armement de l’EIGS, ses ressources humaines (quantité et qualité) et donc son expertise au combat est très loin de celui de Daesh en Syrie et en Irak.
-Les nombreux revers militaires sur le terrain du fait de la présence de forces internationales dans la région continuent d’affaiblir peu ou prou toutes ces organisations sur le terrain.
-La probabilité d’une jonction entre Daesh et Al Qaeda au Sahel est très faible et mettrait du temps à se matérialiser le cas échéant.
-Au niveau de la dimension messianique et prophétique, le Sahel n’a pas la même valeur symbolique que l’Irak ou la Syrie connue sous le nom de AL Sham dans les écritures saintes et désignée dans certaines prophéties Islamiques et dans l’imaginaire collectif des combattants de Daesh comme le lieu de la bataille finale contre les infidèles. Dans ce contexte, un Califat au Sahel ne peut servir que d’ersatz a ses éventuels promoteurs.
Surveiller les signes précurseurs.
Cependant, il faut rester vigilant et surveiller l’évolution du groupe en termes de capacité opérationnelle létale, de tactique et de cibles, tout changement qualitatif pouvant refléter une implication plus importante de Daesh.  
Al Sahraoui et son groupe risquent de continuer leurs attaques contre les forces de sécurité Burkinabè, Nigériennes et Maliennes pour installer un conflit de faible intensité durable qui pourrait prendre une plus grande ampleur si le groupe est carrément intégré à Daesh et fait jonction avec Boko Haram et Daesh en Lybie qui réapparait progressivement dans le désert Libyen.
« Endurance » a été le premier slogan choisi par le leadership de Daesh lors de sa confrontation en 2007 avec les troupes Irakiennes et Américaines en Irak. En 2010, Daesh se déporte en Syrie et ajoute un autre vocable a son premier slogan : « expansion ». On connait la suite : création d’un califat à cheval entre l’Irak et la Syrie, puis la déconfiture. Mais l’organisation est toujours là en action avec une série d’attaques, d’attentats, d’enlèvements de par le monde avec des modus operandi de plus en plus élaborés et imparables avec comme viatique un vieil adage militaire Chinois (Sun Tzu) ; faire en sorte que l’ennemi soit toujours préoccupé par des problèmes internes. Sécuritaires de préférence.
Il faut donc agir. Sur le plan technique, il s’agit de travailler sur la base du pire scenario et moduler en fonction des circonstances et du contexte, les autres choix restent politiques.
                                                 

Mamadou Diouf.
 Commissaire de Police Divisionnaire CE /RT.
  Expert certifié en sécurité des Nations Unies.     
   doudoudiouf@yahoo.fr
Mercredi 6 Septembre 2017




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