Trump est soluble dans l’Amérique (Par Yoro Dia)




Dans un cours intitulé les «lectures du politique» que je donnais à l’Iam, je disais aux étudiants que la constitution des Etats Unis est la meilleure synthèse de l’héritage des Lumières et surtout le meilleur texte politique fait par des hommes depuis les fameux codes d’Hammourabi, roi de Babylone, aux environs de 1750 avant Jésus Christ. La constitution adoptée en 1787 (deux ans avant la révolution française) a permis à d’anciennes colonies de la couronne anglaise de devenir la plus grande démocratie du monde, la nation la plus puissante et le plus prospère, et de rester l’une des plus vielles républiques du monde, grâce à ce texte rédigé par les pères fondateurs qui se sont inspirés de l’héritage de la Rome antique et du siècle des lumières. Ce texte est le fondement de la stabilité politique des Etats Unis, de sa prospérité économique, de sa puissance militaire et diplomatique depuis plus de  deux siècles. Le miracle de ce texte réside dans le fait que le système l’emporte sur les acteurs, qui s’adaptent forcement au système. C’est pourquoi Trump, malgré ses excès et ses extravagances, sera soluble dans le système démocratique américain. L’Amérique n’est pas la Russie où l’Acteur (Poutine) se substitue au système. Trump a déjà commencé à s’adapter au système.  Son discours de victoire marque la fin de la démocratie (déclarations excessives par électoralisme, opposer la plèbe aux élites et au système) et le retour de la République (Hommage à Hillary Clinton après les insultes, rendre hommage à Obama après avoir douté qu’il soit né aux Etats Unis, aller voir le congrès et oublier les luttes fratricides au sein du parti). Apres la poussière du Colisée (campagne), Trump se familiarise avec le marbre du Sénat. La parenthèse de la démocratie et des excès qui lui sont inhérents  a été fermée dès le moment qu’il a été proclamé élu. Le système et la république ont repris le dessous. Le système américain est solide. C’est comme notre système. L’ouragan Wade a été soluble dans notre démocratie. Trump le sera aussi dans le système américain. Aucune raison d’avoir peur. Au contraire,  le mandat de Trump va être très marrant. On va avoir de la téléréalité au bureau ovale pendant 4 ans, parce que ce n’est pas en entrant à la Maison Blanche que Trump va cesser d’être au centre du Jeu, au propre comme au figuré.  Cette élection marque une fracture entre deux Amériques. L’Amérique qui voulait continuer à s’ouvrir à l’avenir en élisant une femme après un Afro-américain à la Présidence, et celle qui voulait freiner le processus en élisant Trump, qui symbolise le passé.  La bataille de l’Amérique ouverte  de Hillary Clinton contre l’Amérique fermée de Trump me rappelle le livre de John Sperling, The great divide : Retro versus Metro America. J’avais dévoré ce livre passionnant lors d’un Thanksgiving que j’avais passé à Cape Cod. Ce livre qui relate le grand schisme entre Metro America (l’Amérique moderne et ouverte sur le monde) et le Retro America (l’Amérique fermée des conservatismes). Le retro America constitue la base de l’électorat de Trump alors que le Metro America qui a élu  un noir est prêt à donner les clés de la Maison Blanche. Malgré le résultat de l’élection, l’Amérique reste un grand pays. Dans ce pays, en 1960, la discrimination était légale et moins de 50 ans après, on y élisait un Président noir. Après un noir, on s’apprêtait à élire une femme mais le retro America a estimé que le changement était trop rapide. Trump et ses électeurs ont  arrêté cette dynamique, mais on n’arrête pas la mer avec ses bras. Avec l’arrivée de Trump, l’histoire se répète. Toute l’élite américaine était prise de panique à l’élection de Reagan, cet acteur de série B que Norman Mailer qualifiait de «Président le plus ignorant», qui ne connaissait rien à la politique extérieure. Pourtant, Reagan est aujourd’hui considéré comme un des plus grands présidents des Etats Unis. «L’ignorant» a remporté la bataille de la guerre froide grâce au système. Si les Etats Unis sont passés en moins d’un demi-siècle de la discrimination légale des Jim Crow Laws (separate but equal) à l’élection d’un noir, cela veut dire qu’on est passé du racisme d’Etat à un racisme privé et résiduel. Les deux mandats de Obama constituent la preuve que le racisme est devenu un phénomène résiduel car, si l’Amérique était aussi raciste qu’on le dit, Obama n’aurait pas été élu et encore moins réelu. Obama aura été un grand Président américain mais aussi un grand Président pour l’Afrique. Le fait qu’il ait fait moins que Bush en termes de coopération ou d’aide n’a aucune importance. Il aura été un grand Président parce que ses mandats sans tache ont grandement contribué à décomplexer les africains. Si Obama avait eu son affaire Lewinsky, ou son Watergate, ce ne serait pas sa personne ou son administration qui serait ciblée, mais sa race serait stigmatisée. Sur le plan politique, son mandat est comparable à Nations Nègres et cultures (le livre le plus audacieux qu’un nègre ait osé écrire selon Césaire) de Cheikh Anta Diop sur le plan intellectuel. Si vous voulez savoir pourquoi Metro America finira par triompher, lisez l’intellectuel français Guy Sorman, devenu américain. Sorman nous dit qu’en devenant Américain, on vous demande de ne pas renoncer à vos origines et votre culture, car cette diversité va enrichir l’Amérique. Aujourd’hui, pour devenir français, Sarkozy exige l’assimilation c’est-à-dire, effacer vos origines et votre culture. C’est cette ouverture qui est la force de l’Amérique et qui lui a permis d’avoir Obama, les Allemands Einstein et Kissinger, le Polonais Brezinski, l’un des fondateurs de Google, le Syrien Steve Jobs et de nous envoyer bientôt un Congolais comme ambassadeur. Les Sénégalais vont faire des origines du prochain ambassadeur un évènement, alors que c’est d’une banalité extraordinaire pour les Américains, comme l’a été d’ailleurs les origines de Obama qui n’a été un débat que pour les Africains. L’élection de Trump est une vraie histoire américaine (ce pays où tout est possible avec de la volonté). La détermination de Trump est comparable à celle du capitaine Achab poursuivant la baleine blanche dans Moby Dick. Pour conquérir la Maison Blanche, l’obsédé capitaine Achab est un bon modèle mais le système l’empêchera de gouverner comme Achab, pour éviter que les Etats Unis ne coulent comme le Pequod.

 

Yoro DIA

Politologue

diayero@gmail.com
Lundi 14 Novembre 2016




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