Traque des biens mal acquis : Les cinq juges de Karim

Après avoir fait l’objet d’un an d’instruction, Karim Wade et ses présumés complices inculpés pour enrichissement illicite vont comparaître aujourd’hui devant la Cour de l’enrichissement illicite (CREI). EnQuête dresse le profil des cinq juges chargés de juger le fils de l’ex-président Wade et Cie.


Traque des biens mal acquis : Les cinq juges de Karim
Pour bien des Sénégalais, Karim Wade, incarcéré depuis avril 2013, sera jugé avec ses présumés complices devant la Haute Cour de justice et à huis clos. Que nenni ! Le fils de l’ex-président Wade comparaît aujourd’hui en audience publique devant la Cour de répression de l’enrichissement. Celle-ci est composée de cinq magistrats professionnels. D’après l’article 2 de la loi 81-54 de juillet 1981 portant création de la Cour de répression de l’enrichissement (CREI), la Cour de cette juridiction spéciale est formée d’un président et de quatre assesseurs.

Nommés par décret, ils sont choisis parmi les magistrats des Cours et Tribunaux ayant atteint au moins le 1er groupe du 2ème grade ou parmi les juges de paix de classe exceptionnelle. Même si nous sommes devant une Cour, les magistrats ne seront pas en rouge, comme c’est le cas lors des procès en Assises. Le président et ses assesseurs sont vêtus en toge noire.

Pour en revenir à l’affaire Karim Wade, c’est le juge Henry Grégoire Diop qui a l’honneur de diriger la Cour. Il a pour assesseurs Hamath Diouf, Emmanuel Corréa, Magatte Diop et Yaya Amadou Diop. Du côté du Parti démocratique sénégalais et d’une partie de la défense, l’on a beaucoup épilogué sur le sens de ce procès qualifié de ‘’politique’’. En quelque sorte, la crédibilité de ces magistrats est mise à rude épreuve, avant même l’ouverture du procès.
‘’Je ne dis pas que j’ai confiance ou j’en manque’’, a déclaré Me Amadou Sall, un des conseils de Karim Wade. Pour lui ‘’la justice, ce sont les institutions et les hommes’’ or, souligne-t-il, ‘’ces derniers ont leurs faiblesses, angoisses, moralité…’’. L’ancien ministre de la Justice de poursuivre : ‘’comme chez les avocats, il y a des magistrats corrompus’’. Toutefois, Me Sall se garde de faire un quelconque commentaire sur les membres de la Cour. ‘’J’attends de les voir à l’œuvre pour les juger’’, soutient-il.

‘’Une composition équilibrée, conciliante et mature’’

Pourtant, les quelques témoignages recueillis par EnQuête se disent confiants à l’endroit du président et de ses assesseurs. ‘’C’est une composition équilibrée, conciliante et mature. Il y a trois magistrats (Henry Grégoire Diop, Amath Diouf et Emmanuel Corréa) qui ont blanchi sous le harnais, mais aussi un moins jeune (Yaya Dia) et un jeune (Magatte Diop)’’, tranche un des conseils de l’Etat dans cette procédure. Notre interlocuteur qui a préféré garder l’anonymat confie ‘’qu’il n’est pas très inquiet’’ car ‘’il a sentiment que le droit sera dit’’. ‘’Ils brillent par leur absence de célébrité, à l’exception de Magatte Diop, parce qu’il est du bureau de l’Union des magistrats sénégalais (UMS) et porte le nom d’un célèbre et redoutable magistrat’’, ajoute la robe noire.    

Henry Grégoire Diop : ‘’Sérieux et professionnel’’

S’agissant du président, les témoignages sont unanimes. ‘’Sérieux, pondéré et professionnel’’, sont les qualificatifs utilisés par des avocats et magistrats à l’endroit de Henry Grégoire Diop. Le Premier président de la Cour d’appel de Kaolack est également décrit comme étant quelqu’un qui ‘’cherche toujours à être juge jusqu’au bout des ongles’’. Le témoignage émane d’un des avocats des personnes inculpées par la CREI. Selon lui, le juge Diop ‘’ne fait pas dans les débats politiques et ne s’intéresse qu’à l’aspect technique des dossiers’’. C’est pourquoi, avise la robe noire : ‘’Si jamais nous pensons gérer le dossier sur le plan politique, nous risquons de nous casser la figure, car il cherche toujours à se coller aux textes.’’

Yaya Amadou Dia : ‘’Réservé et proche de la lettre’’

Le même jugement est fait à l’endroit d’un de ses assesseurs. Yaya Amadou Dia, président du Tribunal régional de Tamba, est dépeint comme quelqu’un de ‘’très réservé et proche de la lettre’’. ‘’Lorsqu’il y a un débat, il ouvre le code’’, renseigne notre interlocuteur. ‘’Beaucoup plus ouvert’’ que le président Henry Grégoire Diop jugé ‘’très effacé’’, l’ancien commissaire de Police devenu magistrat, Hamath Diouf, est aussi qualifié de ‘’sérieux’’ dans le travail. ‘’C’est un bon juge’’, soutient un avocat. Quant à l’assesseur Emmanuel Corréa, ses collègues affirment qu’il fait partie ‘’des magistrats les plus intègres’’. ‘’La rigueur’’ semble être aussi le sacerdoce du collègue d’Amath Diouf à la Cour d’appel de Dakar.

Magatte Diop, le benjamin

Le benjamin de la Cour, qui est par ailleurs président du Tribunal régional de Fatick et vice-président de l’UMS, au-delà d’être ‘’un syndicaliste’’, est réputé être ‘’très soucieux de la justice et de l’équité’’. Magatte Diop est aussi présenté comme quelqu’un de ‘’sérieux’’. A l’image de ses pairs, il a été présent dans de grands procès. Parmi ceux-ci, il y a l’affaire Diombass Diaw qu’il a jugée, en tant que président de la 4ème Chambre correctionnelle du tribunal régional hors classe de Dakar.

Si nos interlocuteurs sont d’avis que ces magistrats devant juger Karim Wade et Cie sont ‘’intègres’’, l’un d’eux ne manque pas d’avoir une certaine réserve. ‘’On ne peut pas sonder le cœur et l’esprit d’un homme, tant qu’il n’est pas à l’œuvre’’, souligne le conseil. Et d’ajouter : ‘’Jusqu’où va leur intégrité ? Est-ce qu’ils ont une forte personnalité pour résister à un pouvoir ?’’ ‘’C’est la question à un milliard’’, conclut notre interlocuteur.


L’Enquête
Vendredi 1 Août 2014




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