TRAFIC D’ÊTRES HUMAINS EN LYBIE : L’enquête de la DIC qui confirme le scandale

Un dossier pendant devant le doyen des juges d’instruction de Dakar permet de comprendre que le trafic de migrants en Lybie est entretenu par un vaste réseau parfois lié à des entreprises terroristes.


L’affaire est actuellement en instruction devant le doyen des juges d’instruction de Dakar. Il y a de cela quelques mois, la Police judiciaire sénégalaise avait reçu des renseignements faisant état d’un réseau de trafic d’êtres humains vers l’Europe entre le Sénégal, le
Mali, le Niger et la Libye.
Parmi les membres du réseau figuraient la dame Mame S. D. et son frère Adama S. D. domiciliés à la Cité Soprim de Dakar, et qui sont en relation avec leur frère Saliou, alias Baye Zale, basé en Libye, pour coordonner le voyage vers l’Europe avec ses partenaires. Elle recevait auprès des famvarientes candidats de l’argent qu’elle transmet aux passeurs associés de Baye Zale tout au long du voyage suivant l’itinéraire précité.
Par ailleurs, la source avait révélé que Mame S. D. était fiancée avec le djihadiste Mouhamed M. avec qui elle devait se marier. Ce dernier ferait partie d’un groupe de jeunes combattants sénégalais de Boko Haram qui avait quitté le Niger pour rejoindre le terroriste présumé Diokhané qui a été extradé vers le Sénégal et écroué depuis.
Pour vérifier ces informations, mission a alors été donnée aux éléments du Groupe de Recherches et d’Interpellations (GRI) de recouper lesdites informations. A l’issue, il a été établi de manière formelle que la dame Mame S. D., qui porte le voile, et son frère Adama S. D., tous deux étudiants, sont effectivement impliqués dans le réseau d’émigration clandestine vers l’Europe via la Libye, entretenu par leur frère Baye Zale.
Ils se chargent régulièrement de réceptionner, notamment directement à leur domicile, des fonds versés pour le compte des candidats qu’ils renvoient à des tiers sur instructions de Baye Zale, via les sociétés de transfert d’argent. Les mis en cause ont été appréhendés à leur domicile et la perquisition effectuée a permis de saisir notamment des ordinateurs et téléphones portables qui ont été mis à la disposition de la Brigade Spéciale de Lutte contre la Cybercriminalité (BSLC) pour exploitation, des reçus d’envoi et de réception d’argent, et plusieurs documents rédigés en arabe.

Un vaste réseau criminel

Conduits à la DIC et interrogés sous le régime de la garde à vue, Mame S. D. et son frère Souleymane D. se disant des «Akhlou Souna» - c’est-à-dire ayant pour seule et unique référence le Prophète (PSL) - avaient reconnu avoir été sollicités régulièrement depuis 2015 par leur demi-frère, parti en Libye deux ans plus tôt mais présentement en Algérie, pour réceptionner des envois d’argent dont les montants varient entre 200.000 et 1.000.000 FCfa. En dehors de la prise en charge des dépenses familiales, ils réacheminaient ces montants au profit de tierces personnes, associées à leur frère mais qui leur sont inconnues, résidant au Niger, au Mali et au Burkina Faso.
Ils ont été interpellés sur l’identité des personnes qui venaient leur déposer de l’argent pour le compte de leur frère ou bénéficiaires des envois, Mame S. D. a déclaré ne pas s’en souvenir car c’est son frère précité qui l’appelait via les applications WhatsApp et Viber pour lui communiquer ces informations et notamment l’utilisation qu’ils devaient faire des fonds.

Liaisons avec des organisations terroristes

Quant à Souleymane D., il a précisé qu’il a commencé à travailler pour le compte de son frère dans le courant de l’année 2017. La seule personne à qui il a envoyé de l’argent sur ses instructions se nomme Y. A. Wahab, son principal partenaire vivant à Bamako ou à Niamey, et les sommes variaient entre 500.000 et 1.000.000 FCfa. D’après leur frère, cet argent était versé par des candidats au voyage pour l’Europe ou par leurs proches, et il servait à couvrir leurs frais de transport et de nourriture en terre libyenne.
Ils ont soutenu qu’ils percevaient de modiques sommes en guise de commission variant entre 2500 et 10.000 FCFA et rarement 50.000. Ils ont déclaré qu’ils ignoraient que leur frère, qui se disait cambiste, était impliqué dans un réseau d’émigration clandestine jusqu’à un passé récent quand ils ont reçu des coups de fils d’individus appelant d’Italie et qui remerciaient vivement Baye Zale de les avoir aidés à regagner l’Europe.
Sommés de s’expliquer sur les documents en arabe trouvés lors de la perquisition, ils ont expliqué qu’il s’agit de supports didactiques pour leurs études. En outre, Mame S. D. a souligné que le manuscrit relatif à la libération des étudiantes de Cheybook au Nigéria provient de son brouillon lors des examens de l’année dernière à l’UCAD. Des déclarations qui n’ont pas convaincu les enquêteurs.
Par ailleurs, Souleymane D. et Mame S. D. ont confirmé connaître le nommé Mouhamed M., un proche de Matar Diokhané, djihadiste présentement en détention pour activités liées au terrorisme. Ils ont précisé qu’il a eu à leur enseigner le Coran avant de partir en République de Guinée. Mame S. D. a juré que Mouhamed M. et elle se seraient mariés s’il n’y avait pas eu de divergences entre les
deux familles sur le montant de la dot. A signaler que ce dernier, qui ferait partie du groupe de combattants sénégalais de Boko Haram qui avaient quitté le Niger pour rejoindre Matar Diokhané au Sénégal, a récemment été arrêté par la Section de recherches de la gendarmerie.
Interpellés sur les relations supposées entre leur frère, basé en Algérie selon leurs dires, et le présumé djihadiste Mouhamed M., ils ont confirmé qu’ils se connaissaient et qu’ils ont même séjourné ensemble en Mauritanie en 2015 pour parfaire leur apprentissage de la religion musulmane. Souleymane D. a ajouté qu’en 2015, alors qu’il venait d’adhérer au mouvement «Akhlou Souna», Mouhamed M., après une longue absence, est réapparu en lui disant qu’il était parti en Mauritanie pour des études islamiques qui lui ont permis de mieux comprendre la pratique de la religion. Il se serait donc radicalisé après ce séjour parce qu’il lui vantait souvent les mérites du djihad à l’occasion de ses prêches.
Après le départ de Mouhamed M. en Guinée, il a découvert son vrai visage et s’est estimé heureux de n’être pas tombé dans le piège de la propagande djihadiste qu’il lui tendait à travers son discours, a-t-il ajouté.
Le dossier est actuellement en instruction devant le doyen des juges de Dakar et sûrement qu’il n’a pas encore révélé tous ses secrets.

Un autre dossier qui confirme le scandale

Auparavant, il aura fallu le témoignage d’un rescapé pour que la DIC mette aussi fin aux agissements d’un réseau international actif dans le trafic d’êtres humains. Deux de ses membres, A. Seck et P. N. Padame, tous les deux agents à l’aéroport Léopold Sédar Senghor avaient été interceptés.
En effet, les candidats au voyage versaient aux membres du réseau la somme de deux millions de FCfa pour espérer rejoindre l’Espagne. C’est ainsi que du Sénégal, ils embarquaient dans un avion pour le Maroc avant d’être mis dans des zodiaques pour la traversée en direction de l’Espagne. Mais le dernier « voyage » organisé par le réseau a été une tragédie.
Selon les informations de Libération, le zodiaque transportant 43 candidats au voyage de diverses nationalités a chaviré. 3 Sénégalais sont morts sur le coup dont le nommé A. Dicko. C’est d'ailleurs le père de ce dernier qui a alerté les enquêteurs qui ont pu retrouver sur ses indications un des rescapés du drame qui leur a ensuite conté sa mésaventure avant de donner le nom des deux membres du réseau. Ceux-ci sont sous le coup d’une procédure pour association de malfaiteurs, trafic d’êtres humains et homicide involontaire. A noter que le réseau était actif depuis cinq ans.
Lundi 20 Novembre 2017




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