Souleymane Téliko, Président de l’Union des Magistrats du Sénégal (Ums) en exclusivité au « Témoin » et « Enquête » « Notre ambition, c’est de défendre les intérêts matériels et moraux des magistrats »

Courant août dernier, Souleymane Téliko a été élu à la tête de l’Union des Magistrats du Sénégal (Ums) par ses pairs à une majorité écrasante de 125 voix contre 77 pour le président sortant, Magatte Diop. Magistrat de carrière, l’actuel président de Chambre à la Cour d’Appel de Thiès vient de prendre fonction pour un mandat de deux ans. Quelques semaines après sa prise de fonction, « L’Enquête » et « Le Témoin » ont combiné leurs efforts aux fins de traquer et localiser le président Souleymane Téliko pour une interview exclusive. Interview à laquelle le nouveau président de l’Ums s’est prêté de très bonne grâce !


Souleymane Téliko, Président de l’Union des Magistrats du Sénégal (Ums) en exclusivité au « Témoin » et « Enquête » « Notre ambition, c’est de défendre les intérêts matériels et moraux des magistrats »
de l’Ums s’est prêté de très bonne grâce !
« Le Témoin »/ »L’Enquête » : Deux mois après votre élection à la tête de l’UMS et après votre prise de fonction, pouvez-vous revenir sur ce qui avait réellement motivé votre candidature ?

Ma candidature  est le fruit d’une conviction  et d’un contexte. La conviction, c’est que le magistrat est un  haut cadre de la République dont la  mission  est de servir la justice. Cette mission ne peut se limiter à l’accomplissement de tâches quotidiennes  telles que : aller aux audiences, rédiger des décisions ou des rapports.  En tant qu’intellectuels, il est de notre devoir de  réfléchir  en permanence sur le fonctionnement de la justice et d’essayer, dans la mesure du possible, d’améliorer les services ou, à défaut, de proposer des pistes de solution. En un mot, le modèle de justice que nous voulons, c’est à nous de le construire. Comme le disait avec pertinence M. Guy Canivet, ancien premier président de la Cour de cassation française, «  Seul l'engagement personnel et collectif des juges au service de leur profession fera progresser la justice ». C’est fort de cette conviction que nous avons présenté notre candidature lors de l’élection des membres du Conseil supérieur de la magistrature en Août 2016. Le contexte, c’est qu’au mois de novembre  2016, le gouvernement a initié des projets de réforme portant sur le statut de la magistrature et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). L’UMS et des magistrats dont moi-même, ont publiquement dénoncé certaines dispositions du projet. Par la suite, en avril 2016, j’ai adressé à mes mandants, les collègues composant le collège que je représente au sein du CSM,  un courriel dans lequel je critiquais l’usage abusif de la procédure de consultation à domicile. Cela m’a valu une notification d’ouverture d’une procédure disciplinaire à  mon encontre. Vous connaissez la suite. Lorsqu’à la veille du renouvellement du  bureau de notre  association, des collègues sont venus me demander de présenter ma candidature, je me suis dit, après réflexion, que c’est effectivement, la meilleure tribune pour défendre la cause de la justice.
 
Le juge Téliko a été considéré comme un va-t-en guerre aux raids solidaires pour des combats de principe, surtout sous le magistère de Sidiki Kaba. Verra-ton le même Téliko, devenu entretemps le président de tous les magistrats de ce pays, mener les mêmes combats sous l’ère du tout nouveau ministre de la Justice, le Pr Ismaila Madior Fall ?

En réalité, je n’ai jamais mené de combat personnel. Je ne suis ni contre la personne de M Sidiki Kaba, ni  avec celle de M Ismaela Madior Fall. Notre ambition, c’est de  défendre les intérêts matériels et moraux des magistrats et au-delà,  la cause de la justice. Par ailleurs, je ne crois pas que l’expression « va-t-en guerre » soit appropriée. Que je sache, un va-t-en guerre, c’est quelqu’un qui  est, en permanence, dans une posture de confrontation. Je sais que vous pensez aux articles  que j’ai fait publier pour critiquer les réformes adoptées l’an  dernier. Mais justement, vous me permettrez de faire une mise au point qui me semble importante notamment pour souligner le  droit des magistrats  de contribuer au débat public. C’est le statut de la magistrature qui, en  son article 8, reconnaît à chaque magistrat, le droit  de traiter, même   en public, de tout sujet à caractère professionnel  ou technique. Cette disposition n’est que l’illustration d’une  vérité banale mais bonne à rappeler quand même : c’est que l’obligation de réserve n’est pas une négation de la liberté d’expression. Elle n’en est que l’encadrement. Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) français a eu l’occasion de le rappeler dans  une affaire  qu’il a  jugée en  1987. Un magistrat avait, lors d’une audience solennelle de rentrée des Cours et tribunaux,  ramé à coutre- courant de la politique pénale  adoptée par le Gouvernement français. Le Garde des Sceaux avait  décidé d’initier des poursuites contre lui. Mais le CSM l’a finalement relaxé  en considérant que «  si l’atteinte au devoir de réserve peut résulter de propos injurieux, elle ne peut être constituée par la simple expression d’une opinion non conformiste ». Je l’ai déjà dit et je me répète : c’est dans le dialogue et non dans la confrontation que nous pourrons faire avancer la cause de la justice. Nous devons  donc  nous évertuer à  encourager l’instauration d’un débat  sur la justice qui soit libre mais sain, dépouillé de toute forme de subjectivisme. Naturellement, en tant qu’association chargée de défendre les intérêts matériels et moraux des magistrats ainsi que l’indépendance de la justice, l’UMS ne  peut  rester en marge de ce débat. Il reste entendu que, pour nous, il est important que le  fil du dialogue soit toujours maintenu avec les autorités. A ce titre, je dois d’ailleurs préciser  que le bureau de l’UMS  a rencontré  le  nouveau Garde des Sceaux  le jeudi  19 septembre 2017 et que nous  avons été  heureux de  constater que sur la nécessité de privilégier la voie du dialogue, nous sommes totalement en phase avec le Garde des sceaux.
 
Quel est le point de vue de l’UMS sur la sempiternelle question de l’indépendance de la Justice ? Est-ce un problème d’hommes ou de textes ?

Les deux. On entend beaucoup de personnes dire qu’en la matière, tout  est question de comportement personnel du juge. Mais en réalité, considérer que l’indépendance de la justice  se résume à une question de comportement procède d’une approche très réductrice  du sujet. Pour clarifier le  débat, il me paraît important de distinguer l’indépendance de la justice prise globalement en tant que corps, de l’indépendance des magistrats pris individuellement. Les magistrats, pris individuellement,  sont dans leur écrasante majorité, des hommes et  femmes épris de justice et  à cheval sur les principes. Mais dans un Etat de droit, le plus important, ce n’est pas que des magistrats soient indépendants ; il faut aussi que la justice, en tant que pouvoir,  soit indépendante des autres pouvoirs et en particulier de l’Exécutif. Et cela ne peut se faire que si le système judiciaire  est organisé de  telle sorte que l’Exécutif  ne  puisse, en aucune manière, l’instrumentaliser. La seconde distinction qui me paraît fondamentale  concerne d’une part, la reconnaissance formelle de l’indépendance du magistrat du siège à travers la Constitution et la garantie de cette indépendance. Ces garanties sont d’ordre statutaire (c’est le cas du principe d’inamovibilité) et d’ordre personnel. La garantie essentielle de l’indépendance se trouve être le principe d’inamovibilité qui protège  le juge dans l’exercice de son office en le mettant à l’abri de toute mesure de représailles.  Le juge  qui rend sa décision doit avoir la garantie que,  quel que  soit le  sens dans lequel il aura  tranché, il ne pourra pas être ni déplacé, ni muté. Lorsque cette garantie n’est pas effective, certains juges  peuvent  être tentés de se soumettre à la volonté de l’Exécutif. Dans un tel cas de figure, vous aurez beau  avoir un nombre important de juges indépendants, l’Exécutif  pourra toujours  compter sur quelques magistrats pour instrumentaliser la justice. Il est donc essentiel que le principe d’inamovibilité soit strictement respecté. Mais il est important de  relever que les atteintes à l’indépendance peuvent provenir d’autres secteurs que l’Exécutif.  Le juge peut, en effet, être soumis à des pressions venant de sa famille, de milieux religieux et même tout simplement,  de l’opinion.  Pour ces formes de pressions, le seul véritable rempart en  mesure de  protéger  le juge est sa conscience professionnelle et son sens de la responsabilité.  Sous ce rapport, l’indépendance est, incontestablement, une affaire de conviction personnelle. Au total, on voit que l’indépendance ne peut se résumer à une question de comportement du juge. Car elle interpelle autant le magistrat que l’Etat. Elle exige du  juge un sens élevé de responsabilité ; elle constitue aussi un devoir pour l’Etat qui est tenu de prendre les mesures destinées à rendre effectives les garanties statutaires prévues  par les textes notamment par la Constitution. Je tiens d’ailleurs à ajouter qu’au-delà des magistrats, la question de l’indépendance interpelle tous les citoyens, surtout les autorités politiques. On a vu ici des députés voter une motion de  soutien en faveur d’un Ministre qui  avait décidé de ne pas appliquer une décision rendue par la plus haute juridiction nationale, en l’occurrence, la Cour suprême. Ce sont des attitudes qui sapent les fondements  de notre Etat de droit.  S’il y a une  question sur laquelle un consensus doit être trouvé, c’est bien celle de l’indépendance de la justice car sans elle, pas de justice digne de ce nom, pas d’Etat de droit  ni de respect des droits et libertés. Par conséquent, nul n’a intérêt à fragiliser l’institution judiciaire. Les dirigeants d’aujourd’hui doivent garder à l’esprit que  demain, lorsqu’ils quitteront le pouvoir, ce qui est inéluctable, ils auront besoin d’une justice forte et indépendante pour défendre leurs droits et libertés.
 
Certains de vos collègues ne cessent de réclamer plus de transparence dans la gestion de la carrière des magistrats. Pensez-vous comme eux qu’il y a un manque de transparence à ce niveau ?
La  transparence est une exigence fondamentale à nos yeux. Car c’est elle qui garantit l’équité dans la gestion du personnel. De plus, elle  favorise le culte du mérite et de l’excellence, l’épanouissement professionnel de même qu’elle constitue un facteur de performance des tribunaux. Son importance tien également au fait que la gestion de la carrière est un aspect fondamental  de l’indépendance de la justice. Quand dans un pays, l’Exécutif parvient à s’assurer le contrôle direct de la carrière des juges, dites –vous bien qu’il contrôle indirectement le  fonctionnement de la justice. La transparence suppose l’existence d’un processus décisionnel clair, fondé sur des critères objectifs, préalablement définis et débattus de façon libre. C’est ce que nos amis enseignants sont parvenus à instaurer à travers ce qu’ils appellent la « gestion démocratique de la carrière ». Chez nous, rien  de tout cela n’existe.  Pas d’appel à candidature, pas de critères de sélection préalablement définis pour la nomination aux postes. Aux  termes de l’article 8 du statut, c’est le Ministre de la justice qui propose aux postes de nomination selon des critères  qui ne sont pas définis à l’avance et qui ne peuvent donc être discutés. Dans de telles conditions, les membres du CSM qui, parfois, n’ont même pas  le temps de discuter le bienfondé des propositions de nomination, ne peuvent jouer le rôle d’écran protecteur que l’on est en droit d’attendre d’eux.
 
Si vous aviez à lister les principales revendications de vos pairs, celles à la satisfaction desquelles vous comptez vous atteler en priorité, quelles seraient-elles par ordre d’importance ?
Naturellement, les priorités sont le respect des garanties d’indépendance notamment le principe d’inamovibilité, l’instauration de la transparence dans la gestion de la carrière et le renforcement des moyens alloués à la justice en général et aux juridictions en particulier. D’abord sur l’indépendance. Nous en faisons une priorité car la garantie essentielle de l’indépendance, qui se trouve être le principe d’inamovibilité, est complètement vidée de sa substance.
Comment cela ?
Par le recours à deux notions : les nécessités de  service et l’intérim. D’abord, s’agissant des nécessités de service, il faut  relever que lorsqu’on parle d’indépendance de la justice, il est capital de distinguer ce à quoi  renvoie cette notion de ce qui la garantit. L’indépendance renvoie non seulement à une question d’état d’esprit, mais également aux rapports que la justice entretient avec les autres pouvoirs ou groupes de pression.  Cependant, pour être effective, l’indépendance doit être garantie de manière à ce que le juge soit assuré de pouvoir exercer son office en son  âme et conscience sans s’exposer à des mesures de représailles de la part de l’exécutif ou d’un quelconque autre pouvoir. C’est précisément l’objet de l’article 6 de la loi organique n° 2017-10 du 17 janvier 2017 portant statut des magistrats qui pose la règle de l’inamovibilité, les juges ne pouvant en principe être affectés sans leur consentement, sauf en cas de nécessité de service. Dans l’esprit du texte, le recours à la notion de nécessités de  service doit évidemment être exceptionnel. Or, dans la pratique, c’est plutôt la règle. Ce recours systématique à la notion de « nécessité de service » installe les juges dans une situation très précaire et vide le principe d’inamovibilité de son objet.
Vous avez  parlé de la notion de nécessités de service. Qu’en est-il de celle de l’intérim ? En quoi vous pose-t-elle problème ?
 
En principe, la qualité d’intérimaire est donnée à celui qui occupe, provisoirement, un emploi  correspondant à un grade supérieur à celui auquel il peut normalement prétendre. Celui  qui est intérimaire à son poste ne peut naturellement revendiquer l’inamovibilité puisque dans les normes, il n’a pas  encore le grade requis pour occuper l’emploi. Dans la pratique, bon nombre de juges, qui occupent pourtant des  emplois correspondant à leur grade, sont nommés en qualité d’intérimaires. Ce qui revient à les priver du bénéfice de  l’inamovibilité. Finalement, la combinaison de ces deux pratiques (recours systématique à la notion de nécessités de service et nomination par intérim)  fait qu’à quelques exceptions près, les juges peuvent être déplacés avec la même facilité que n’importe quel magistrat du Ministère public. Certains sont déplacés  au bout de quelques mois d’exercice ; d’autres sont  affectés du siège au  Parquet  sans aucune  explication. Bref, c’est l’aléa et la précarité qui règnent en maîtres, excluant toute possibilité de se tracer un plan de carrière.
Sur la question des moyens, que voulez-vous dire ?
Depuis plusieurs années, le gouvernement est entrain d’initier des projets destinés à moderniser la justice. Je tiens au passage à saluer le travail remarquable que la Direction des Services judiciaires du Ministère de la  Justice est entrain d’effectuer dans le cadre  de cette modernisation. Elle travaille actuellement à l’élaboration d’un logiciel de gestion du personnel qui, s’il est mis en œuvre correctement, pourrait nous valoir d’énormes progrès en termes de transparence et de mobilité professionnelle. Mais encore faudrait-il que les  moyens  et la volonté politique suivent.  Actuellement, les budgets des juridictions, notamment des Cours d’appel  sont d’une modicité telle qu’il leur est difficile de faire face à certains besoins relatifs, par exemple à la formation continue ou à la documentation. Je voudrais préciser un point : toutes ces priorités (indépendance, transparence et moyens budgétaires) concourent à un seul objectif : l’administration d’une justice de qualité. Si le magistrat  en est le bénéficiaire immédiat, le bénéficiaire final n’est personne d’autre que le  justiciable  et l’usager du service public  de la justice qui sont comme dirait l’autre «  les consommateurs  souvent invisibles de la justice ».
 
Que pensez-vous de la courageuse décision du Conseil constitutionnel kenyan ayant annulé l’élection du président sortant ? Pensez-vous que des magistrats de la partie francophone du continent, notamment du Sénégal, puissent prendre une telle décision dans un contexte similaire ?
Je ne veux pas donner l’impression de prêcher pour ma chapelle. Mais honnêtement, le Sénégal regorge de magistrats extrêmement compétents et d’un courage à toute épreuve. Le reste, c’est une question de contexte et d’opportunité. Mais je ne me fais aucun doute quant à la capacité de la justice sénégalaise à se montrer tout aussi exemplaire.
Beaucoup de décisions, surtout dans les affaires politico-judiciaires, font aujourd’hui l’objet de critiques acerbes de la part de l’opinion. N’est-ce pas là des signes d’une crise de confiance entre les magistrats et le peuple ? Si oui, que comptent faire les magistrats pour restaurer cette confiance avec le peuple au nom duquel la justice est rendue ? 
Les critiques à l’égard de la justice sont à la mesure des attentes des citoyens et de l’intérêt qu’ils lui portent. A mon avis, il ne faut pas s’en offusquer. Il faut plutôt les analyser  avec lucidité. Il y a parfois, de la dramatisation dans certaines critiques. Mais il y a aussi, incontestablement, une part de vérité. Je crois que ce vous appelez crise de confiance découle d’un sentiment largement partagé chez nos concitoyens que, dans certaines  affaires, la justice a été instrumentalisée. La solution, c’est qu’il faut d’abord communiquer et rétablir la vérité s’il y a lieu. Ensuite, nous magistrats, nous devons nous soucier de la perception que nos concitoyens peuvent avoir de la justice et éviter d’adopter des postures qui laissent penser que nous sommes davantage soumis à l’autorité politique qu’à la loi. Comme le  disent nos amis anglophones, «  la justice ne doit pas seulement être  rendue ; elle doit aussi être perçue comme étant bien  rendue ».L’UMS, en ce qui la concerne, compte tout mettre en œuvre pour contribuer à renforcer  l’indépendance  de la justice. A partir du mois de novembre prochain, les comités de ressort  vont se pencher, à  travers des journées d’études, sur le thème de l’indépendance et plus spécialement, sur le principe de l’inamovibilité et la gestion de la carrière. Les conclusions issues de ces réflexions  serviront de  base de travail pour la tenue d’un colloque national  que nous comptons organiser incha Allah  vers la fin du mois de décembre. L’objectif de ce colloque  est  de s’accorder avec  les principaux acteurs judiciaires sur des réformes destinées à renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire.
 
La France a récemment signé avec le Sénégal une convention portant sur la construction d’un tribunal de commerce, la formation de magistrats, la mise en ligne de textes de lois. Une partie des fonds débloqués constituant une subvention. Ce type de coopération ne pose-t-il pas les germes d’une future ingérence ? 
A mon  avis, c’est  dans l’ordre normal des choses que le Sénégal bénéficie de l’appui  d’un pays comme la France. Le Sénégal est tout de même un Etat souverain  et je ne vois pas comment une juridiction nationale pourrait être sous l’influence d’un Etat tiers. Il faut que l’on s’inscrive dans une logique constructive.  Nous comptons initier des rencontres sur les tribunaux de commerce et au besoin, nous ferons  les  recommandations  nécessaires.
Que reproche l’UMS à la tutelle dans l’utilisation de la procédure des consultations à domicile, un combat que vous avez particulièrement porté ?
Les mesures de nomination sont, en principe, prises à l’occasion des réunions du CSM en présence des membres de cet organe. La tenue de telles réunions dépend de la disponibilité du Président de la  République. Or, on peut être confronté à des cas d’urgence qui requièrent des décisions immédiates. C’est le cas des admissions à un stage, (par exemple à la CPI) ou à une université étrangère ou encore de détachement dans un cabinet ministériel. Le  texte sur le CSM permet, dans de tels  cas de figure, de procéder à ce qu’on appelle la consultation à domicile. C’est-à-dire que chaque membre du Conseil est trouvé à son domicile (ou à son bureau) et invité à donner son avis favorable ou défavorable sur la mesure envisagée. Il se trouve qu’en  2016, il y a eu une inflation de procédures de consultation à domicile. On a utilisé cette procédure dans des cas qui ne revêtaient aucune urgence et de surcroît, pour des postes de prestige comme celui de procureur général. A l’époque, l’UMS avait vigoureusement dénoncé ce procédé. Cette pratique, outre qu’elle viole la lettre et l’esprit du texte qui organise le CSM, contribue également à rendre la situation du magistrat encore plus précaire. Je dois tout de même reconnaître que depuis cet incident et le tollé que cela a soulevé, la consultation à domicile n’a été utilisée que pour des situations d’urgence. En tout état de cause, l’UMS continuera de veiller au grain. Mais au-delà de cette posture de sentinelle, il nous faut trouver un moyen de verrouiller davantage cette procédure afin de fermer la voie à toute possibilité d’abus. Je  pense que les réflexions en cours permettront de faire des propositions dans ce sens.
La réforme du statut des magistrats a fait l’objet de vives controverses. Quelles étaient les dispositions qui posaient problème à l’UMS ? Et quelle suite l’Etat avait-il donnée à vos revendications sur cette question ?
Dans la  réforme adoptée   en janvier 2017,  il a  été prévu le relèvement de l’âge de la retraite pour une catégorie de magistrats à savoir les chefs de Cour (premiers présidents et procureurs généraux de la Cour suprême et des Cours d’appel, présidents de chambre de la  Cour suprême. Cette réforme est à  condamner pour deux raisons essentiellement : elle est discriminatoire et attentatoire à l’indépendance des juges. Elle  est discriminatoire car elle institue au sein du même corps, deux régimes de retraite sans que rien ne le justifie. On a essayé de justifier cette réforme en invoquant l’expérience des concernés et le vide que leur départ  à la retraite risquerait de créer. Cet argument ne me semble pas pertinent pour une raison simple : Je rappelle que les promotions de magistrats sont composées, en moyenne, d’une dizaine de personnes et qu’il existe souvent des différences d’âge de 2 à 5 ans. Ce qui fait  que quand un magistrat atteint l’âge de la retraite, on  trouve toujours dans sa promotion ou dans celles qui suivent immédiatement,  une dizaine de ses collègues qui  peuvent se prévaloir de la même  ancienneté,  voire de la même expérience et qui peuvent  donc valablement le remplacer. En outre, il faut relever que, selon la formule utilisée dans le texte, la prorogation est liée à l’occupation de la fonction. Et puisque c’est le Ministre qui, aux termes de l’article 8 du statut des magistrats,  fait les propositions aux postes de nomination, cela veut dire que le sort du magistrat qui atteint l’âge fatidique de 65 ans est suspendu à la volonté  de l’Exécutif. Cette situation est, le moins qu’on puisse dire, difficilement compatible avec l’esprit d’indépendance. Mais il y a pire. Une fois qu’il a bénéficié de la prorogation,  le magistrat  va demeurer dans l’incertitude et la précarité  totales puisque dès  qu’il cesse d’exercer l’une des fonctions donnant droit à la prorogation, ce sera pour aller directement faire valoir ses droits à la retraite. Si vous ajoutez à tout cela le fait que la quasi-totalité des concernés sont des membres du CSM chargés de veiller  au respect des garanties d’indépendance de la justice,  vous comprendrez à quel point cette réforme a contribué à fragiliser le système judiciaire.

 A présent que la loi  est votée, quelle est la position de l’UMS ?

Cette réforme n’a fait qu’alimenter le sentiment d’injustice au  sein du corps et de surcroît, elle contribue à semer les germes de la division entre des personnes qui sont censées former une seule famille. En un mot, elle divise la famille judiciaire de l’intérieur et la fragilise de l’extérieur. Ce que réclame l’UMS, c’est que l’on mette fin à cette discrimination  en  uniformisant l’âge de la retraite. Et si, par extraordinaire, cette prorogation devait être  maintenue, qu’elle soit adossée au grade ou à l’ancienneté et qu’elle ne dépende pas  du bon vouloir  de l’Exécutif. Toute situation de fragilisation  qui expose les magistrats doit être bannie car elle constitue un danger pour les justiciables.

Les défis que vous venez d’énumérer sont pour le moins  énormes. Pensez-vous être en mesure de les relever ?

Je pense qu’on a le droit, pour ne pas dire le devoir, d’être ambitieux sans pour autant, être prétentieux. Il est clair que les difficultés  ci-dessus évoquées ne peuvent être résolues par le seul bureau de l’UMS, encore moins par son président. Il est impératif que tous ceux qui sont associés d’une manière ou d’une autre, à l’administration de la justice assument leur responsabilité. L’Etat, les magistrats  ainsi que les autres acteurs judiciaires, notamment les avocats. A mon avis, dans la vie, l’essentiel, c’est de faire ce qu’on a à faire. Notre devoir, c’est, comme disait le poète Pindare, « d’épuiser le champ du possible »  afin qu’au bout  du compte, à l’heure du bilan, on  ait le sentiment du devoir  accompli. C’est la responsabilité de l’UMS de poser le débat  sans aucune dose de subjectivisme mais avec clarté et responsabilité. C’est aussi son rôle de faire des propositions.  C’est ce que  nous nous évertuerons à faire durant ce mandat. C’est la responsabilité des pouvoirs publics de mettre en œuvre des  véritables réformes qui soient de  nature  à faire avancer la cause de la justice.  Nous espérons qu’ils le feront. Après tout, la justice est un bien commun. Nous devons tous travailler à son rayonnement. Je reste persuadé que si tous les  acteurs judiciaires parlent d’une même voix  et affichent une détermination dans la défense de la cause de la justice,  on peut obtenir des  avancées significatives  pour notre système judiciaire.

 
 

Propos recueillis par :
Pape Ndiaye (Le Témoin) et Ibrahima Khalil Wade (Enquête)
 
Jeudi 19 Octobre 2017




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