Retour de Wade : Panique à bord du navire APR !


Retour de Wade : Panique à bord du navire APR !

Que signifie la forte débauche d’énergie déployée par l’Etat pour empêcher Abdoulaye Wade, président déchu et quasiment contraint à l’exil depuis deux ans, de revenir goûter au délice d’être accueilli par les siens dans la ferveur et l’allégresse ? Déjà, dès la veille de son arrivée prévue, des milliers d’agents des forces de l’ordre ont été mobilisés et mis en « alerte Gaïndé»*, les principaux responsables du Pds mis sous surveillance, les militants de ce parti et simples citoyens«priés» de ne pas participer à quelque accueil populaire que ce soit et les manifestations politiques prévues pour fêter son retour interdites.Et le jour prévu pour son arrivée, Dakar était quasiment bouclée en certains endroits, notamment les alentours de la Vdn (où se situe le siège du Pds) et l’aéroport de Yoff. Tant et si bien que l’ambassade de France, très soucieuse de la sécurité de ses concitoyens, a envoyé des textos aux ressortissants du pays de Marianne pour leur demander d’éviter ces endroitsprécisément ciblés par les forces de l’ordre et, donc, potentiellement sujets à des agitations.

Pendant ce temps, les rédactions des journaux, radios et télévisions étaient toutes sur le qui-vive, assiégées par les leaders politiques de tous bords qui souhaitaient tous s’exprimer sur le sujet de l’heure : l’arrivée du président Wade à Dakar après 22 mois d’absence. «Non événement» se sont écriés les partisans du pouvoir. Assertion aussitôt démentie par l’intérêt grandissant que l’opinion prêtait au retour de l’ancien président pour des raisons évidentes : Wade est absent du pays depuis deux longues années, son parti, le Pds, est en proie à une entreprise de musellement de ses dirigeants par des procédures judiciaires qui tirent en longueur et certains d’entre eux interdits de sortie du territoire national, son fils est emprisonné dans le cadre d’une traque des biens «supposés mal acquis», sa succession n’est pas encore assurée à la tête du Pds et, last but not least, beaucoup de Sénégalais avouent aujourd’hui leur regret de l’avoir congédié car, depuis lors, rien n’a vraiment changé en mieux. Rasions politiques, certes, mais aussi nostalgie d’un pays qu’il a dirigé pendant douze ans, où il compte encore des milliers (pour ne pas dire des millions) d’admirateurs, d’amis, d’alliés, de parents et de… marabouts.

Mais Wade est précédé d’une réputation largement usurpée d’homme à problèmes. Son parti est souvent présenté par ses adversaires comme un rassemblement de gens violents. Lui-même est souvent dépeint comme «nitu fitna», quelqu’un qui appelle, rien que par sa présence, le sang et la violence. Sa persévérance est perçue comme aussi comme un entêtement à vouloir imposer ses vues… Le tout dans tout, il fait peur à ses adversaires politiques, qui clament partout que sa «capacité de nuisance» est hors du commun.

Aussi son retour au moment où des élections locales sont en vue pose problème aux tenants du pouvoir qui ne souhaitent, en aucune manière, que sa présence galvanise leurs adversaires et mette à nu, face aux populations, leur incapacité à conduire les ruptures promises et à respecter les promesses de «yokkuté» faites durant la campagne. Abdoulaye Wade, c’est évident, ne vient pas pour «  faire libérer son fils», il n’en a pas les moyens. Il ne vient pas non plus pour empêcher le président Macky Sall et les siens de travailler. Mais il est venu faire son travail de politicien chevronné. Car, ne l’oublions pas, le père de Karim n’a jamais dit qu’il renonçait à la politique après sa défaite à la présidentielle. Il s’était retiré de Dakar en confiant le Pds à un «Coordonnateur» en attendant un congrès qui désignerait son successeur, ce qui n’est pas encore été fait. Il est donc resté le chef de son parti et c’est à ce titre que ses militants ont voulu l’accueillir pour démontrer que, malgré la traque et la stigmatisation dont ils sont victimes,ils sont restés debout et prêts à aller à la conquête de nouveaux suffrages.

Mais ce retour a été présenté comme l’occasion pour Wade de semer le trouble, pire, de déstabiliser le pouvoir. Il voulait donc marquer le coup en annonçant publiquement la date exacte de son arrivée afin de voir quelles actions seront menées pour le contrecarrer politiquement. Et le résultat est sans doute allé au-delà de ses espérances.Car, en l’espace de 48 heures, il a réussi à ébranler la sérénité de tous ses adversaires au pouvoir rien qu’à l’évocation de son retour au pays. La panique s’est emparée des plus hautes autorités politiques qui ont multiplié, du coup, les atteintes aux libertés des Dakarois. Lesquels  n’ont pu ni circuler à leur guise ni accueillir dans la joie un Sénégalais, il est vrai pas ordinaire, qui rentre dans son pays. Quel phénomène quand même ce maître Wade !

Moussa Sy

Article paru dans « Le Témoin » N° 1162 –Hebdomadaire Sénégalais (AVRIL 2014)

*Alerte Gaïndé : Dans le jargon militaire sénégalais, il s’agit du niveau le plus élevé de consigne, qui peut donner lieu à un engagement, c’est-à-dire pour le soldat, jusqu’à la possibilité d’exécuter l’ordre d’ouvrir le feu.

 
Vendredi 25 Avril 2014
Dakar actu




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