Réné Massiga Diouf : « Les périodes d’insécurité posent un réel problème d’accès à l’information pour les journalistes »

Le journaliste René Massiga Diouf, Président de African Journalists Forum, lors de la journée internationale de la liberté de la presse célébrée autour d’un panel à l’UFR/CRAC de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis/ Sénégal, est revenu dans un exposé sur les problèmes d’accès des journalistes à l’information pendant les conflits. Selon le journaliste, « les périodes d’insécurité posent un réel problème d’accès à l’information aux journalistes ».


Réné Massiga Diouf : « Les périodes d’insécurité posent un réel problème d’accès à l’information pour les journalistes »
Pour le journaliste, Docteur en science politique d’ailleurs, la première question « est celle de savoir si l’univers du journaliste est caractérisé par le confort au sens large du terme puisque l’insécurité, n’est pas seulement pour le journaliste, la particularité d’une période trouble, de guerre. »
Il implique aussi selon lui, « des prises de risques dans la diffusion des informations, la non satisfaction de toutes les règles qui tournent autour de son traitement et avant sa diffusion par les médias. Des séquences d’insécurité qui ponctuent la production de l’information pour la délivrer vraie, libre et indépendante relèvent de cette affirmation. »


Voilà son intervention :
Le deuxième aspect de cette problématique concerne le travail du journaliste en période de conflit, et dans des zones d’insécurité proprement dite. Posons-nous la question de savoir quelle différence existe-t-il entre le traitement de l’information en période ordinaire caractérisée par la paix, et celle qui s’opère en temps de guerre ? En d’autres termes, la couverture par un journaliste d’un conflit obéit-elle à la même logique professionnelle et aux mêmes risques que dans le traitement d’autres sujets et dans des circonstances normales ? Il est évident que nous sommes en face de ce que mes amis philosophent désignent par le mot « aporie » dans la mesure où les règles qui définissent le travail de l’information ne changent jamais car elles sont universelles, mais le mode opératoire peut l’être.
Pour des raisons de sécurité, le journaliste peut choisir de privilégier le téléphone et les informations délivrées par les acteurs principaux sur le terrain, plutôt que le déplacement. Il court ainsi le risque d’être à la solde de la source qui cherchera toujours à le manipuler. De toute façon, dans les grands conflits qui touchent le monde actuel, la principale caractéristique est la manipulation de l’information qui passe par  le fait que les médias soient d’abord les branches armées des parties en conflit dans la mesure où ils n’ont jamais un total accès aux zones de production de l’information. Ce sont les différentes armées et les acteurs, pour des raisons propagandistes, qui font ou produisent l’information et la transmettent aux journalistes pour diffusion ; les médias étant obligés d’en parler, d’informer les citoyens, en dire quelque chose, chacun selon les informations à sa portée. Les périodes d’insécurité posent un réel problème d’accès à l’information aux journalistes. Elles permettent aussi de distinguer entre journalistes professionnels et bidonneurs professionnels, journalistes conscients et journalistes de pacotille, journalistes soucieux de la vérité des faits et journalistes sans éthique puisque ces périodes sont celles pendant lesquelles, sous le tintamarre des crépitements des kalachnikovs, des bombes et autres armes de guerre, le journaliste consciencieux se soucie d’avoir l’information vraie, la vraie information et non information circonstancielle et circonstanciée.
Aujourd’hui, rien, je dis bien rien, ni les conditions, ni les circonstances ne doivent dénaturer l’idéal du journaliste qui est de crédibiliser les productions à travers un traitement fiable, libre et indépendant des informations. En zone de conflit, le journaliste ne doit pas prétexter l’insécurité pour tordre la rigueur journalistique. Cette dernière doit être appliquée et applicable en toute circonstance. Mieux vaut qu’il n’y ait pas du tout d’information, que d’avoir des informations invraisemblables, taillées sur mesure, sans aucune valeur informationnelle. Un journaliste  incapable de la moindre honnêteté professionnelle doit être traité comme un emmerdeur par la société.
Ce constat appelle trois remarques  principales  aujourd’hui que nous célébrons cette journée si prestigieuse consacrée aux médias. La première est de savoir que la presse est globale et identifiée à travers tous les médias, y compris ceux qu’on peut suspecter de ne pas toujours respecter les principes basiques du traitement de l’information pour des raisons clientélistes, de  survie financière, d’intérêts idéologiques, etc. Cela ne nous empêche pas de dire que nous vivons  dans des sociétés fragiles, en transition politique permanente pour certains, où les médias doivent refuser de faire le jeu des hommes politiques, des hommes d’affaires, des lobbys, et des courtisans de toute sorte. Les médias doivent être d’excellentes forces de contribution au service exclusif du développement, d’instauration de paix définitive.
Le deuxième aspect est consécutif à ce premier : comment concevoir la liberté de la presse dans des sociétés où l’attachement au dirigisme politique des journalistes demeure un obstacle à l’éclosion d’un journalisme désintéressé. La frontière qui va du journalisme à la politique, a toujours été franchie par des professionnels des médias  en tout temps et en toute circonstance, cela prouve peut-être que le simple terrain médiatique est, en un moment, très étroit pour permettre l’expression individuelle des convictions et un besoin d’actions. Toutefois, journalisme et politique ne font toujours bon ménage. Le journaliste informe, y compris sur les choses que souhaiterait cacher l’homme politique, alors que ce dernier n’a d’yeux que pour sa promotion personnelle. Par conséquent, au lieu de prendre en otage la déontologie journalistique et tout ce qui gravite autour, il serait plus honnête, quand on ne peut plus s’habiller de manteau du journaliste, le déshabiller et porter publiquement celui du politicien ou du politique.
Par ailleurs, il faut faire la différence entre journalisme ontologique et journalisme factuel. Le premier s’appuie sur l’essence du journalisme qui est la liberté d’informer sur tous les sujets, le reste résultant de conventions ; le second a trait aux éléments objectivement visibles. L’essence de la liberté ne suffit pour faire éclore celle-ci. Il faut qu’elle soit guidée par le principe du réel qui est l’expérimentation de la liberté dans la pratique quotidienne. Le factuel a pour mission d’être l’objectivation de l’essence. En vertu de cela, le journalisme factuel incarne mieux le journalisme dans la mesure où il allie l’essence et la pratique. Or, l’essence journalistique s’appuie exclusivement sur les principes de sauvegarde du journalisme authentique, principes liés à l’éthique et à la déontologie. Et c’est cela qui doit faire du journalisme un principe professionnelle factuel. Ce principe est valable universellement, et l’est plus encore en période de conflit qui représente une insécurité pour les journalistes.
C’est ce que je souhaitais partager avec vous à l’occasion de cette journée. Je ne monopoliserai pas encore plus la parole pour l’avoir déjà trop fait. Je vous remercie de votre aimable attention.
                                     Prononcé à l’Université Gaston Berger de SaintLouis                                ce 03 Mai 2016
                                                                        René Massiga Diouf
                                                                        Docteur en Science Politique
                                                        Président de African Journalists Forum
 
 
Vendredi 6 Mai 2016




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