Rapport IGE 2014/Monument de la Renaissance africaine : Cas illustratif de mal gouvernance


Rapport IGE 2014/Monument de la Renaissance africaine : Cas illustratif de mal gouvernance
Le rapport IGE 2014 dans sa section gouvernance économique et financière est marquée, révèle dans beaucoup de secteurs, des pratiques assez éloignées de l’efficacité et de l’efficience. C’est le cas du monument de la Renaissance Africaine ou de multiples violations de la loi s’entrechoquent. « Le financement du Monument de la Renaissance africaine a été confié à un particulier, en contrepartie d’un paiement en nature, improprement dénommé « dation en paiement ». Pour rappel, la "dation en paiement" est « une opération juridique par laquelle, en paiement de tout ou partie du montant de sa dette, un débiteur cède la propriété d'un bien ou d'un ensemble de biens lui appartenant ».
A ce sujet, les investigations menées ont permis de constater de multiples violations de la loi et une absence totale du souci de préserver les intérêts de la Collectivité.
Multiples violations de la loi
Le marché passé pour la réalisation de l’ouvrage, l’a été sans appel à la concurrence et donc, sans aucune autre forme de publicité.
Le coût des travaux a été pris en charge, pour le compte de l’Etat, par une société privée en contrepartie de l’attribution, en pleine propriété, d’immeubles domaniaux. Cette convention ainsi que le mode de financement des travaux sont caractérisés par la violation systématique du Code des obligations de l’Administration et du Code des marchés publics ainsi que du Code du Domaine de l’Etat.
Violations du Code des Obligations de l’Administration et du Code des Marchés publics
Diverses règles de passation de la commande publique n’ont pas été respectées. Les travaux de réalisation du Monument de la Renaissance africaine ont été engagés sans que les crédits nécessaires à la couverture de leur financement n’aient été prévus au budget, en violation des dispositions des articles 17 du Code des Obligations de l’Administration (COA) et 6 du Code des marchés publics (CMP).
En effet, selon l’article 17 du COA « La conclusion d’un contrat susceptible d’engager les finances de la personne administrative contractante est soumise à l’existence de crédits budgétaires suffisants et au respect des règles d’engagement des dépenses publiques ».
De même, l’article 6 du CMP énonce que « La conclusion d’un marché public qui engage les finances de l’Etat, des collectivités locales, des établissements publics, des sociétés nationales et des sociétés anonymes à participation publique majoritaire est subordonnée à l’existence de crédits budgétaires suffisants et au respect des règles organisant les dépenses des dits organismes ».
Au cours des investigations, toutes les parties rencontrées ont reconnu que la réalisation de l’ouvrage a été confiée à l’entreprise sous la forme d‘un marché de gré à gré donc, sans appel à la concurrence.
C’est dire que certaines normes essentielles de la commande publique, notamment la publicité et l’appel à la concurrence pour l’acquisition des biens et services d’une certaine valeur, n’ont pas été respectées.
Il est, en effet, fait obligation de recourir à un marché (publicité et appel à la concurrence par voie d’appel d’offres) lorsque le montant des travaux est égal ou supérieur à vingt-cinq millions (25 000 000) de francs CFA.
Si un marché public peut valablement être passé de gré à gré ou par entente directe, en revanche, la réalisation du Monument de la Renaissance africaine n’entre dans aucun des cas de figure prévus par l’article 76 du Code des Marchés publics.
 Violations des règles sur les mentions obligatoires des marchés
Aux termes de l’article 18 du Code des marchés publics, les marchés qui définissent les engagements réciproques des parties contractantes doivent contenir au moins certaines mentions. Parmi ces éléments, figurent : - le montant du marché et le mode de détermination de son prix ;
- l’imputation budgétaire ;
- le comptable assignataire du paiement ;
- les modalités de paiement.
Dans le cas d’espèce, aucun des éléments précités n’est déterminé et en lieu et place, il est fait référence à un « protocole d’accord et à ses avenants signés entre l’Etat du Sénégal et la personne qui prend en charge le financement ». Eu égard à ce qui précède, l’un des principes de base d’un marché public, à savoir le mode de fixation des prix, n’a pas été respecté. En effet, en l’absence d’un dossier complet, il n’a pas été possible de disposer des éléments permettant de fixer les prix conformément au Code des marchés publics. Du reste, aucun dossier technique n’a été produit pour la détermination du coût de l’ouvrage, tout comme pour les travaux supplémentaires.
Le coût initial de l’ouvrage a été fixé de manière forfaitaire à douze milliards (12 000 000 000) de francs CFA. A la fin du chantier, il a été enregistré des travaux supplémentaires de huit milliards (8 000 000 000) de francs CFA.
Ce montant de huit milliards (8 000 000 000) de francs CFA a aussi été fixé de manière forfaitaire dans la mesure où aucun dossier technique justificatif n’a été produit. Les autorités d’alors s’étaient contentées d’un simple « mémoire en réclamation » du responsable des travaux listant les éléments qui ont entraîné l’augmentation du prix initial, à savoir, entre autres :
- l’accélération des travaux pour le raccourcissement des
délais ;
- l’adaptation de l’étude aux contraintes du site ;
- les coûts de rattrapage des périodes d’allongement des délais
d’origine dus à des contraintes de nature administrative ;
- la hausse des prix de certains matériaux.
Il s’agit là, d’une violation manifeste de l’article 23 du décret n° 2002-550 du 30 mai 2002 portant Code des marchés publics, modifié, alors en vigueur, qui prévoit que « l’augmentation des fournitures, services ou travaux résultant d’un ou de plusieurs avenants ne doit en aucun cas dépasser 25% des quantités prévues au marché initial, ni 50% de son montant pour les travaux, après application des éventuelles clauses d’actualisation et de révision ».
Dans le cas d’espèce, les quantités de travaux supplémentaires sont supérieures à soixante-six pour cent (66%) du marché initial.
Comme indiqué plus haut, une convention dite « dation en paiement », sous la forme d’un « Protocole d’Accord » et ses avenants, a été passée entre l’Etat du Sénégal et une société civile immobilière pour le financement du projet. De nombreuses insuffisances ont été relevées au niveau de ces documents.
Le « protocole d’accord », liant l’Etat à son cocontractant, ne fait pas partie des actes prévus par la loi n° 76-66 du 02 juillet 1976 portant Code du Domaine de l’Etat, en ce qui concerne la gestion du Domaine privé de l’Etat.
Il est vrai qu’en matière d’acte administratif, l’intitulé est moins important que le contenu, dans la mesure où c’est celui-ci qui permet d’apprécier sa nature juridique.
Dans le cas d’espèce, ce protocole est, en effet, tellement sommaire qu’il ne contenait pas toutes les mentions devant régir les relations entre l’Etat et ses cocontractants, sur les dépendances de son domaine privé.
Les actes ont été signés, directement, par le Ministre délégué auprès du Ministre de l’Economie et des Finances, chargé du Budget, avec la signature conjointe, selon la période, du Ministre du Patrimoine, de l’Habitat et de la Construction ou du Ministre d’Etat, Ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat, de l’Hydraulique urbaine, de l’Hygiène publique et de l’Assainissement. Il s’agit d’une violation de la loi, car celle-ci confie au Ministre de l’Economie et des Finances le pouvoir d’approuver ces actes et non de les signer.
En effet, selon les articles 56 du Code du Domaine de l’Etat et 24 de son décret d’application n° 81-557 du 21 mai 1981, « les actes intéressant le Domaine de l’Etat sont dressés par le Service des Domaines » et l’Etat y est représenté par « le Gouverneur dans la Région du Cap-Vert et par le préfet territorialement compétent dans les autres régions ». En conséquence, ceux- ci ne peuvent pas en être dessaisis.
Quant à l’intervention du Ministre chargé de l’Urbanisme, elle n’a pas, non plus, de base légale.
 Absence de protection des intérêts de l’Etat
Ce constat peut être illustré par le choix d’un mode de financement inapproprié, la défaillance de la Commission de Contrôle des Opérations domaniales et l’existence d’un conflit d’intérêts.
. Mauvais choix du mode de financement
Comme indiqué plus haut, il n’a été trouvé aucune trace, dans les comptes de l’Etat, du financement de l’ouvrage. C’est parce que celui- ci a été pris en charge par un particulier pour vingt milliards (20 000 000 000) de francs CFA, en contrepartie de l’attribution, en pleine propriété, de terrains domaniaux d’une superficie de cinquante-six hectares, trois ares et cinquante-six centiares (56 ha 03 a 56 ca).
En effet, c’est le protocole signé avec le partenaire de l’Etat qui a déterminé le coût initial du projet soit douze milliards (12 000 000 000) de francs CFA qui sera porté à vingt milliards (20 000 000 000) de francs CFA, compte tenu des travaux supplémentaires de huit milliards (8 000 000 000) de francs CFA. Pour matérialiser cette transaction, un acte constatant une « dation en paiement » a été signé.
La société civile immobilière, partie à la transaction a, par la suite, procédé à la vente, à l’Institut de Prévoyance Retraite du Sénégal (IPRES) et à la Caisse de Sécurité sociale (CSS), c’est- à- dire des démembrements de l’Etat, de deux parcelles de terrains d’une superficie de cent quatre-vingt-quatre mille trois cent cinquantetrois (184 353) mètres carrés et de quatorze mille trois cent dix (14 310) mètres carrés, à respectivement, vingt-sept milliards six cent cinquante-deux millions neuf cent cinquante mille (27 652 950 000) francs CFA et deux milliards quatre cent trente-deux millions sept cent mille (2 432 700 000) francs CFA. Elle a, donc, réalisé un gain de sept milliards six cent cinquantedeux millions neuf cent cinquante mille (7 652 950 000) francs CFA, compte non tenu des trente-six (36) hectares restants. Dans cette transaction, il apparait de toute évidence que les intérêts de l’Etat n’ont pas été sauvegardés.
 
Défaillances de la Commission de Contrôle des Opérations domaniales
L’article 55 du Code du Domaine de l’Etat, soumet, entre autres, toutes les opérations intéressant le domaine de l’Etat, à l’avis de la Commission de Contrôle des Opérations domaniales qui est tenue de se prononcer sur leur opportunité, leur régularité et leurs conditions financières.
Composée des responsables de huit (08) services techniques de l’Etat et présidée par le représentant du Ministère de l’Economie et des Finances, elle était à même de faire un meilleur choix. En effet, devant l’option de contracter avec une structure privée à ces conditions, elle aurait dû émettre un avis défavorable et proposer aux autorités une autre solution.
L’Etat aurait pu, par exemple, transiger directement avec l’IPRES et avec la Caisse de Sécurité sociale, d’autant que ceux-ci sont ses démembrements. En ne le faisant pas, la Commission de Contrôle des Opérations domaniales qui est chargée de veiller aux intérêts de l’Etat, a manifestement failli à sa mission.
Conflit d’intérêts
Au cours des investigations menées, les enquêteurs ont eu à constater un conflit d’intérêts, manifestement, préjudiciable aux intérêts de l’Etat.
En effet, c’est l’Architecte-Conseil du Président de la République qui a proposé, au Chef de l’Etat, pour la réalisation du Monument de la Renaissance africaine, un entrepreneur et signé, avec celui-ci, un « Contrat d’assistance globale à la conception architecturale, aux études techniques et au suivi des travaux ».
Il devait, ainsi, l’accompagner dans la réalisation de l’ouvrage commandé, alors qu’il lui revenait d’être aux côtés de l’Etat pour veiller à la bonne conception de l’ouvrage et en assurer le suivi de l’exécution. Entré en relations d’affaires avec le cocontractant de son employeur, il a été rémunéré par ce dernier à hauteur de neuf cent vingt millions (920 000 000) de francs CFA, se plaçant ainsi dans une situation manifeste de conflit d’intérêts. Dès lors, il n’était plus en position de défendre ceux de l’Etat.
Mercredi 30 Juillet 2014




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