Pouvoir et femmes: les linguères du Walo


Pouvoir et femmes: les linguères du Walo
A  la veille de la célébration de la journée mondiale de la femme, en hommage à la femme sénégalaise nous voulons revisiter l’histoire politique  de l’ancien royaume  Walo ou  la femme à travers les célèbres Linguère  eurent à jouer des rôles de premier plan
Dans la société traditionnelle  wolof, la filiation maternelle a toujours joué un rôle central dans la trame de la société. A titre d’illustration  dans la tradition wolof les hommes portent comme second prénom celui de leur mère et les fidèles de nos différentes  confréries vénèrent en plus du saint fondateur  leur sainte mère.
Le xeet ou meen est un lignage qui regroupe l’ensemble des descendants d’un ancêtre commun par filiation matrilinéaire.
      Au Waalo il y avait trois familles xeet  garmi  et pour être élu Brack par l’assemblée des grands électeurs  le Seb Ak Baor il fallait impérativement appartenir  à ces trois lignées royales matrilinéaires : Tediek, Dyoos et Loggar et porter le patronyme Mbodj c
Pour rappel de  l’origine des trois lignées matrilinéaires princières du Walo tout d’abord la lignée  Loggar c’est Barka Bo,le demi frère de Ndiadiane Ndiaye qui épousa  Fadouma Youmaiga  qui appartenait à une tribu  berbére venant de l’Est et qui s’était  installée à Ménguégne Boye  plus précisément à Gouyar  Mboyoro Ngaar  tout prés de l’actuelle ville de Saint Louis .De cette union,  Barka Bo eut  deux fils et  une fille Déguene Mbodj qui sera l’ancêtre matrilinéaire des Loggar.
Ensuite pour la seconde lignée d’origine peule celle des Tediek c’est le même Barka Bo qui épousera en secondes noces, Tegue Dioumougue  et eut   une fille Yacine  Mbodj ancêtre matrilinéaire des  Tedieks.         
Pour résoudre l’énigme de l’apparition mystérieuse  de Ndiadiane Ndiaye le lamane Diaw  envoya une  délégation  au Sine à  Ndiakhao chez Méissa Waly Ndione .A son retour au Walo, parmi la délégation se trouva  une femme sérére  Ndoye Demba,qui sera épousée par le Brack Thiaka Mbaar Mbodj . De ce mariage naquit le brack Dyoos Yérim Mbagnick Ndoye Demba  Mbodj et  sa soeur   Bokhal Demkhal qui sera l’ancêtre matrilinéaire de la lignée Dyoos d’origine sérère
 
 
 
 
Chacune de ces lignages  constituait une personnalité morale supérieure aux membres qui la composaient, il assurait l’appropriation collective, la jouissance et la transmission de la propriété foncière, des biens, esclaves et des  privilèges  (Ndombo Tank.)
   La doyenne de chaque xeet  appelée Dié ou Linguere bénéficiaient de saas , d’apanages   et elle était chargée de veiller au patrimoine , de maintenir son intégrité et de répartir de façon juste  entre les membres, les biens et terres relevant du domaine lignager.      
Pour l’élargissement de la clientèle du matrilignage, les femmes de xeet garmi organisaient des xawaré  qui étaient d’importantes fêtes de prestige ou des cadeaux étaient distribués. Ces xawarés étaient des cadres leurs permettant  d’afficher une grande générosité, d’être entouré de courtisans  richement vêtus.
Avec ce pouvoir économique les doyennes de ces familles xeet  eurent  à jouer des rôles très importants  dans la conquête  et la conservation du pouvoir des Brack au Walo.
    Au début les Linguères se contentaient  avec leurs stations stratégiques d’influer sur l’élection du Brack et des différents Kangames   mais avec le concours des circonstances elles arriveront à un contrôle absolu du pouvoir politique du Royaume.
On pourra illustrer ce  rôle d’influence par la lutte pour le pouvoir entre les Tédiek et les Loggar à la fin du  XVIIeme siècle sous le règne du Brack  Bër Tyaaka,
 La Linguère Dyambourguel tante maternelle du Brack chef du matrilignage loggar pour conserver le pouvoir de sa famille imposa  au Roi de nommer les deux fils de sa sœur de même père et même mère Dégeune Mbodj à savoir Natoogo Dégeune au poste de Kadjj (premier vice roi) et au poste de Briock  (deuxième  vice roi) pour Démbané Dégeune. Ces nominations se firent au détriment des princes tedieck  fils de sa demi-sœur de même père Aram Bakar  à savoir Yerim Mbagnick  Aram Bakar ,Ndiack Aram Bakar  et Natoogo Aram Bakar .
Évincés ces princes, se révolteront  et à la fin d’une guerre civile qui verra la mort de Brack Beur Thiaka  ils finiront par prendre le pouvoir et le conserveront jusqu’au milieu du XVIIIeme siècle.
Le début du  19 eme siècle verra une prise totale du pouvoir par les  trois Linguères  Tedieck Fati  Yamar Khouryaye  et ses deux filles  Les Linguères Ndieumbeut , et Ndaté Yalla Mbodj qui eurent  à exercer directement le pouvoir  cohabitant avec des Bracks  honorifiques sans pouvoir réel.
 
 Ce fut  un précédent unique en Sénégambie ; des femmes exerçant le pouvoir suprême dans un royaume. Il faudra comprendre les circonstances exceptionnelles qui ont permis l’irruption de ces femmes  au devant de la scène.
 La famille royale Tedieck avait deux branches : Une branche aînée descendant de Aysa Naalew qui a fourni la quasi-totalité des bracks Tédiecks.
Une branche  cadette descendant de Niasse Yatma qui n’a  eu qu’un seul Brack mais dont les femmes étaient utilisées  dans des alliances matrimoniales pour renforcer le pouvoir de la lignée.
   Durant tout le 18eme siècle  de façon continue  la  lignée Tedieck  de Keur Aysa Naalew eut à exercer le pouvoir  à travers les règnes successifs des bracks Yérim Mbagnick Arame Bakar  Ndiack Arame Bakar et  Naatoga Arame Bakar.
L’exercice continu du pouvoir de la famille Tedieck  de Keur Aysa Naalew avait permis à celle-ci d’accumuler avec le commerce atlantique  beaucoup de biens et d’esclaves, de renforcer leur clientèle  et de s’attacher les esclaves de la couronne.
A la mort du Brack  Loggar Fara Peinda  Tégue  Rella vers 1795 c’est son fils  le Tedieck Ndiack Coumba Khouriyaye Mbodj qui lui succédera. Ce fut le début  de la mainmise directe des femmes tediecks  sur le  pouvoir.
  A prés quelques années de règne le Brack   Ndiack Coumba Khouriyaye Mbodj  fut atteint de folie, sa sœur, la Linguére Tegue Rella  Khouriyaye Mbodj assura la plénitude du pouvoir ; la folie du Brack fut soigneusement cachée  et il sera éloigné de la capitale Nder et  exilé à Dagana ou il mourut.
  La linguére Tegue Rella Khouriyaye Mbodj  proposa au Dyoss Saayoodo Yacine Mbodj de partager avec lui le pouvoir mais le régné  de ce dernier ne dura que 5 ans .
A la mort du Brack Dyoss Saayoodo Yacine  Mbodj la Linguére tedieck Fati  Yamar Khouryaye  qui avait remplacé  sa sœur La Linguère Tegue Rella  Khouriyaye i le pouvoir mais le régne ne dura que 5 ans .a ou il mourrut. Mint la mére s proposa  au Seb ak Baor la candidature de son cousin utérin tedieck  demeurant à Sagatta au Cayor, le Bargueth Kouly Mbaba Diop . Ce fut l’unique fois au Walo qu’un tagne fut élu Brack.( c'est-à-dire  un prince  appartenant à l’une des trois matrilinéaires et ne pas porter le nom Mbodj).
 
 
 
 
La  réalité du pouvoir était ainsi dans les mains de la Linguere Tégue Rella  Khouriyaye i le pouvoir mais le régne ne dura que 5 ans .a ou il mourrut. Mint la mére s qui avait réussi à faire élire un Brack qui n’avait pas toute le légitimité constitutionnelle, dont le père était originaire du Cayor.
   Pour mieux contrôler le  nouveau Brack , la Linguére  Fati  Yamar Khouryaye lui  donna en mariage  sa cousine   Arame Bakar Adam Sall Mbodj qui appartenait à la branche cadette  Tedieck (Niasse Yatma).
 A la mort du brack Kouly Mbaba Diop la Linguere Fati  Yamar Khouryaye  proposa aux Dyoos de partager avec le  pouvoir. Elle épousa  le Dyoos Amar Fatim Borso qui fut élu Brack , mais pour sauvegarder les intérêts des Tediecks, il fera nommer  Kaddj  (premier vice Brack) son neveu le fils de sa grande soeur Tegue Relle Khouriyaye ,  Yérim Mbagnick  Tegue  Rella .
De cette union naquirent les princesses  NDieumbeut et Ndaté Yalla.
Le  8 Mai 1819 , le Colonel  français  Schmaltz  rescapé du célèbre radeau de la Méduse  signa avec   le Brack Amar Fatim  Borso Mbodj  le traité de Ndiao ,qui  devait permettre  à la France  de créer des établissements de culture  et de construire des forts  pour les protéger des peuples  voisins  à Dagana et  sur la rivière Taouey près du village de Ndioukouk.
     Ce fut la levée de boucliers des  peuples voisins .Le 21 Septembre 1819 le Brack Amar Fatim Borso et ses principaux ministres furent attaqués à Thiaggar  par le roi du Trarza  Amar Ould Moctar .Le Brack sera blessé et évacué à  Saint Louis.
 Le 7 Mars 1820 la capitale Nder fut prise  malgré la résistance organisée, par le Kaddj    Yérim Mbagnick  Tégue  Rella.
Refusant de se laisser capturer la Linguere Fati Yamar Khouryaye choisit de se brûler vive dans la grande case avec ses courtisanes. Elle avait pris le soin de  faire évacuer  ses deux filles les princesses NDieumbeut et Ndaté Yalla vers  Ronkh chez leur tante paternelle NDickou Fatim Borso.
 Le Kaddj  Yérim Mbagnick  Tegue  Rella organisa la contre offensive du Walo. Il  battit et poursuivit  le roi du Trarza  Amar Ould Moctar jusqu’au cœur du pays maure .Les Trarzas eurent plus  plus de 150 hommes tués.
 Le Kaddj  Yérim Mbagnick  Tégue  Rella captura la smala d’Amar Ould Moctar  et coupa les deux oreilles de toutes les princesses maures dont celles de Mrasse Mint la mére  Mohamed Ould Habib (qui sera  plus tard l’époux de la  Linguére  NDieumbeut).
 
Quoique très jeune la princesse NDieumbeut Mbodj succéda à sa mère et  fut proclamé Linguére.
 A la mort de son père le  Brack Amar Fatim  Borso Mbodj  en 1825 le Kaddj    Yérim Mbagnick  Tegue  Rella accédera au trône. Il n y avait plus de bicéphalisme   car la Linguére Fati  Yamar Khouryaye et son cousin  le  Brack étaient de la même lignée matrilinéaire tedieck ,de la branche ainée de Aissa Nalew.
    Le règne  de  Brack Yérim Mbagnick  Tegue  Rella  fut de courte durée car il mourut en décembre 1827.
Le pouvoir vacant était entre les mains de  la Linguére  NDieumbeut qui cherchait  un candidat Brack qui ne lui  ferait pas ombrage. Elle jeta son dévolu sur le  Tedieck  (de la branche cadette Keur NiasseYatma ) Fara Peinda Adam Sall Mbodj qui bien que  aîné de Yérim Mbagnick  Tegue  Rella   n’avait pas été proposé Brack lors de la mort de Amar Fatim Borso. Il fut un Brack par  défaut , l’essentiel du pouvoir était exercé par  la Linguère  NDieumbeut qui  épousera le roi du Trarza .L’ambition de la Linguére  NDieumbeut  était que l’enfant issu de ce ménage puisse avoir   une double légitimité  car étant de lignée matrilinéaire tedieck,, il pouvait prétendre  à la tête du royaume du Walo et par le patriarcat devenir aussi roi du Trarza.
A la mort du Fara Peinda Adam Sall Mbodj le 30 Octobre 1840 la Linguère   NDieumbeut  usa de toute son influence   auprès du Seb ak Baor  afin de faire triompher son candidat Meu Mbodj Malick  au détriment du candidat de la colonie  Yérim  Mbagnick Mbodj.
   Pendant les trois  jours de consultation pour l’élection du Brack à Ndiaw  la Linguère envoya chaque jour la somme de 500 francs à l’assemblée des grands électeurs. Au troisième jour le Diawdine  Charles Duprat  demanda à la Linguere   NDieumbeut de lui présenter un candidat .La Linguère  proposera le Loggar Meu Mbodj Malick   qui sera élu.
  D’emblée on peut comprendre que le Brack Meu Mbodj Malick   ne pourra être que sous  l’influence  de celle qui l’a fait roi en l’occurrence la Reine NDieumbeut Mbodj .  Le Brack sera éloigné  du centre du pouvoir, de la capitale Nder et va résider à  Khouma. La Linguere Njeumbeut donnera  en mariage au Brack sa cousine utérine  Isseur  Diop de la branche cadette des Niasse Yatma  (fille du Brack Kouly Mbaba Diop  et nièce du Brack Fara Peinda Adam Sall Mbodj).
De fait  La Linguère Njeumbeut gouvernera le pays avec son mari Mohamed el Habib le roi du Trarza.
 
À la mort de la Linguère  NDieumbeut  sa sœur Ndaté Yalla sera proclamé Linguère avec tout le faste requis  le 1er octobre 1840 ; la colonie avait même envoyé Monsieur Caille Directeur des affaires extérieures pour la représenter.
 Le mariage de la Linguere NDieumbeut  avec le roi du Trarza avait crée  de forts ressentiments au niveau de la classe dirigeante du Walo.
Les tediecks pour apaiser le courroux des kangams donnèrent en mariage la princesse Ndaté Yalla  au  puissant  Béthio Sakoura Diop.
 La Linguère Ndaté Yalla choisira de se marier en secondes noces avec Tassé Diop. Ce dernier était le fils du Brack Kouly Mbaaba  Diop et  d’une princesse guelewar. La Linguère va gouverner de fait avec son mari  qu’il va nommer Maaroosso (gouverneur de la province de Rosso) et lui confier la direction des armées.
Toutes les correspondances entre la colonie du Sénégal et le Walo portérent la signature de la  Linguère  Ndaté Yalla.
Durant son règne la Linguère  Ndaté Yalla eut à faire  face  aux velléités coloniales du gouverneur Faidherbe .La  Linguère adopta une politique  d’hostilité et de résistance .A travers toutes ces correspondances à la colonie elle ne cessait de réaffirmer sa volonté de défendre sa souveraineté   sur toute l’étendue du Walo.
En 1847 elle imposa un blocus autour de l’ile de Saint Louis  et revendiqua  ses droits aux iles de Boye et de Sor.
Au niveau  intérieur la Linguère  Ndaté Yalla est en butte face à   l’hostilité des kangams qui voyaient d’un mauvais œil  le pouvoir grandissant de « l’étranger » le mari de la Reine le Maarosso.
Fragilisée de  l’intérieur le pouvoir de la Linguére s’écroulera rapidement le 25 janvier 1855 face aux troupes coloniales du gouverneur Faidherbe .
Vaincue  Ndaté  Yalla s’exilera à Ndimb à la frontière  avec  la province  du Ndiambour. Ainsi prit fin le règne des bracks et le Walo devient  la première colonie française d’Afrique noire.
  La constitution de monarchie élective du Walo excluait les femmes  du pouvoir ,mais à la fin  du royaume  les Linguères NDieumbeut et Ndaté Yalla ont réussi à usurper le pouvoir de bracks . L’ascension de ces femmes aura paradoxalement fragilisé le fonctionnement des institutions du royaume et facilité les desseins coloniaux de la France.
Le regime des Brack avait débuté avec la femme, il se terminera avec la Linguere Ndaté  Yalla
 
Amadou Bakhaw DIAW Historien traditionaliste du Walo dioaogo.nilsen@gmail.com
Samedi 8 Mars 2014




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