Pleins Feux - Mbacké Faye, Chercheur d’or bleu

Dans les régions où l’eau est réellement une denrée rare, le sourcier fait figure de personnage mystique dont la tâche est primordiale pour la survie des hommes. Dans le Sénégal d’aujourd’hui, le mystère est toujours là. Le sourcier, qui revêt désormais les habits de tout le monde, n’en conserve pas moins son aura de sorcier des eaux.


Pleins Feux - Mbacké Faye, Chercheur d’or bleu
Chercheur d’or bleu : Mbacké Faye, sorcier des eaux

Quand on lui demande sa profession, Mbacké Faye répond tout de suite, «Technicien hydraulique». Mais en réalité, l’homme n’est pas que cela. Il est aussi et surtout, sourcier. L’eau qui s’écoule sous nos pieds, dans les méandres de la terre, ne possède aucun secret pour lui. Il lit en elle comme dans un livre ouvert. Certes, ce savoir est ésotérique, mais sa formation technique lui permet d’en parler avec tout le vocabulaire scientifique qui sied. A 50 ans passés, Mbacké Faye est un sérère bon teint originaire du Baol, et qui a puisé dans les croyances et connaissances de ses ancêtres pour se forger une réputation dans le microcosme des «sorciers de l’eau». 
A Thiès ou à Mbour, difficile de l’éviter quand vous voulez creuser un puits ou installer un forage. Sa science, il  l’exporte même au-delà des frontières sénégalaises, jusqu’au Cameroun. Pourtant, cette science séculaire dont les origines remontent aux temps bibliques, quand le prophète Noé jeta les prémices de cet art. De cette science devenue occulte sous les cieux africains, Mbacké Faye ne fait pas toujours étalage. «J’appartiens à une famille d’érudits qui possède ce savoir», se contente-t-il de dire pour expliquer l’origine de sa science.
«Mon père m’a donné une partie de ce que je sais, mais je ne me suis pas arrêté là, puisque je suis allé vers d’autres gens qui m’ont donné des choses. Parfois, c’étaient des gens qui, par reconnaissance envers mon père, m’ont donné des connaissances». Il cite l’exemple d’un vieil ami de son père qui, approchant la centaine d’années, lui a transmis quelques connaissances ésotériques comme celles destinées à soulager les enfants souffrant de problèmes de dentition. «Il m’a demandé de faire pareil pour son enfant le jour où celui-ci voudrait apprendre», rapporte Mbacké.

Un héritage ancestral

Cette transmission des con­naissances ne s’est toutefois pas faite aussi facilement que Mbacké le raconte aujourd’hui.  En effet, c’est après une véritable mise à l’épreuve que son père l’a jugé digne de relever le flambeau.  Pas très convaincu de ce cadeau, il lui faudra plusieurs années avant d’oser franchir le pas et utiliser ses nouvelles connaissances. «La première fois, je l’ai fait sans beaucoup de conviction», se rappelle-t-il. On est a la fin des années 90, dans le quartier de Keur Khadim, à la sortie de Thiès. Mbacké est sollicité pour déterminer avec exactitude où il faut creuser le puits dont les habitants du quartier ont tant besoin.
Contre toute attente, il s’en sort de main de maître. «Le puits est encore là et tout le quartier vient y puiser», raconte-t-il, le regard nostalgique. Mais aujourd’hui, le temps du doute est bien passé et Mbacké est un expert incontournable dont la zone de confort englobe Mbour et Thiès, jusqu’aux Niayes. Pour autant, Mbacké ne perçoit pas cette activité comme un gagne-pain. «Je ne le fais pas pour de l’argent. Je veux juste aider les gens et je le ferais même pour une poignée de sable.»


A la recherche de l’or bleu

A notre première rencontre, rendez-vous est pris à Bambilor. Mbacké doit rencontrer des Portugais désireux de remettre en état leur exploitation agricole.  Dans ce terrain situé vers Gorom, Mbacké raconte que trois puits ont été creusés par les maîtres des lieux sans trouver une seule goutte d’eau. Un autre n’en avait qu’un faible volume. «Il y  a de l’eau dans la parcelle. J’ai même trouvé trois points d’eau», dit-il avec toute l’assurance de celui qui sait avoir raison. Sa science, elle est presque infaillible, à l’entendre. Elle est surtout indispensable avant d’acheter un champ, tient-il à préciser. Précaution qui se justifie si l’on sait que forer un puits peut revenir entre 800 mille et 3 millions de francs Cfa. 

Plus tard, installé dans le salon dans sa maison de Keur Khadim à Thiès, Mbacké étale à ses pieds ses instruments de recherche. Une fourche en bois, un masque biface et un pendule. «Ce n’est pas moi qui me déplace, mais une fois que j’arrive à un endroit où il y a de l’eau, je ne peut plus partir. Je suis comme aimanté vers ce point», révèle-t-il. «Je vois là où se trouve la source. Mais j’utilise beaucoup de choses à la fois pour chercher de l’eau. Il y a là une fourche. Si par exemple tu tiens la fourche, dès que tu arrives à la source, tu ne peux plus bouger. Ça fonctionne comme un aimant. Bien sûr, ca ne va pas tout seul», révèle le sourcier.
La preuve, «même si la baguette était en plastique, ça aurait marché, parce que c’est moi qui la fais marcher», assure-t-il. «Imagine que tu piques ta peau avec une aiguille. Les flots de sang ne seront pas les mêmes suivant que tu piques la peau, un nerf ou une veine. C’est pareil pour l’eau. Suivant que tu creuse au niveau de la veine ou d’une traverse, la qualité de l’eau ne sera pas la même. Et quand on regarde sous la terre, les cours d’eau suivent des dessins clairs comme les nervures d’une feuille. L’eau a son chemin sous le sol. C’est la nature et il faut en comprendre le fonctionnement et surtout se dire que c’est l’œuvre de Dieu», précise-t-il de son langage imagée. 

Côtoyer les djinns

Ses collaborateurs et autres partenaires chantent ses louanges. A l’église Saint Jean Baptiste de la cité du Rail, les sœurs ne jurent que par leur sourcier. Dans la cour ombragée par un immense baobab, l’arrivée de Mbacké fait sortir les religieuses de leur antre. «C’est vraiment un plaisir de travailler avec lui. On peut compter sur lui», témoigne Sœur Noëlle. Dans cet espace voué à l’adoration du Seigneur, Mbacké a su gagner la confiance des maîtresses des lieux. Le puits qui alimente la maison est son œuvre. Mais dans un métier comme celui-ci, les aventures et mésaventures s’entrelacent pour former un livre dont il accepte avec circonspection de tourner les pages. 
«Il arrive que dans une prospection, on se rende compte que la veine sert déjà aux djinns. Ce n’est pas pour rien que nos anciens interdisaient la fréquentation des puits à certaines heures. Parmi les djinns, il y en a que ça ne dérange pas de partager, d’autres vont tout simplement changer de puits. Mais il y en a qui vont chercher à se venger. Il y en a aussi pour qui il faut faire des libations. Donc, il vaut mieux être préparé avant de s’y attaquer. Mais dans ces situations, il m’arrive de ne pas tout dire au propriétaire. Si je juge qu’il n’est pas capable de gérer une telle information, je lui conseille juste de creuser ailleurs.»
L’action de ces êtres invisibles peut même être plus sournoise encore, assure-t-il. «Une fois, il est arrivé qu’un moine sourcier découvre un puits. Normalement, à 16m, il y avait de l’eau. Mais on a creusé  jusqu’à 82m  sans rien voir et on a laissé tomber. C’est seulement six ans après qu’on a repris le chantier. Et l’eau était là. Aux 16m indiqués. Le moine avait eu raison mais il s’est passé quelque chose qui a fait qu’on n’a pas pu accéder à l’eau. Ce sont des situations qui arrivent. Mais même quand on sait qu’on a raison, il vaut mieux ne pas divulguer tous les détails.» Ce secret  qui entoure son activité, Mbacké s’en accommode fort bien. Difficile de l’amener à évoquer les éléments ésotériques de cette science somme toute exacte, et qui utilise les battements du cœur pour déterminer la profondeur d’un forage. Mais une science capable de lui jouer des tours. Ce qui explique sans doute l’extrême prudence de ses propos. «Il arrive également, quand on est en présence d’un terrain calcaire, de ne pas bien distinguer l’eau. Parce que quand on voit une surface blanche, on se trompe facilement en estimant les profondeurs.» 

Mbacké Faye possède de multiples facettes qui se découvrent les unes après les autres. Ses connaissances dans le domaine du solaire lui permettent aujourd’hui d’ajouter une nouvelle corde à son arc. Technicien hydraulique, il est aussi très actif dans l’humanitaire et collabore avec l’Ong française Enfance et Partage. Dans son quartier de Keur Khadim, à quelques encablures de Touba Peycouck, ses voisins sont les premiers à louer sa générosité. Aussi bien l’eau que l’électricité sont partagées avec les voisins. Une électricité qui lui vient des panneaux solaires installés sur le toit et qui fait fonctionner le forage qui alimente la maison en eau. Devant sa porte, une énorme citerne est constamment mise à la disposition de ceux qui en ont besoin.

Le Quotidien
Mercredi 28 Septembre 2016




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